Alice Gautreau: le témoignage poignant d'une sage-femme à bord de l'Aquarius
Alice Gautreau est sage-femme. Elle a passé cet été quatre mois à bord de l’Aquarius, le bateau affrété par SOS Méditerranée et MSF pour sauver les migrants qui se noient à bord d’embarcations de fortune. Elle raconte cette histoire dans un livre intitulé "Seuls les poissons morts suivent le courant" (éd. Pygmalion).
Des femmes qui ont connu l'enfer
Le livre débute par une naissance. Rien d’étonnant lorsqu’il s’agit d’une sage-femme qui écrit. La naissance de Christ. "C’était le bébé de Constance, âgée de 22 ans lorsqu’elle est partie du Cameroun. Elle a fait tout son périple en Afrique pour finalement arriver en Libye. Elle est tombée enceinte sur le trajet. Elle est séparée de son partenaire en Libye, dans les camps de détention. Lorsqu’elle réussit à s’en échapper, et à se retrouver sur la plage en Libye, c’est là que les contractions ont débuté. Elle a été poussée en mer par les passeurs alors qu’elle était en travail, et quand nous sommes arrivés avec l’Aquarius, elle venait d’accoucher. Elle a accouché toute seule au milieu d’une centaine d’hommes" raconte Alice Gautreau.
Il y a quelques jours, une chanson racontant une autre naissance à bord de l’Aquarius a été sélectionnée pour représenter la France à l’Eurovision, "Mercy". Des histoires qui parlent de mamans qui ont pris conscience du prix de la vie. "Pour Constance, la première chose qu’on lui a demandé, c’est le nom du bébé. Elle a dit Christ. On a eu cinq bébés qui sont nés sur le bateau, et tous ont des prénoms très engageants" ajoute la sage-femme.
La quasi-totalité des femmes qui arrivent sur ce bateau ont connu des violences sexuelles. "Elles sortent de l’enfer. Elles ont l’impression d’arriver au paradis en arrivant en Europe. Malheureusement, on connaît la situation des migrants lorsqu’ils arrivent chez nous. C’est donc un moment de répit sur le bateau. C’est en tout cas ce que l’on essaie de faire pour eux, en restaurant leur dignité le plus possible" précise Alice Gautreau, dont la mission principale était de s’occuper des femmes et des enfants en particulier.
"Eberlués d'être encore en vie"
Traiter ces gens là comme des êtres humains, pas comme des animaux. Les mots d’Alice Gautreau sont très forts. "La situation en Libye est dramatique. Le trafic d’êtres humains est dramatique. Le fait que ces gens doivent payer des sommes exorbitantes, soit avec de l’argent soit avec leur vie, il y a une multitude de souffrances. Ils passent par des tas d’épreuves avant d’arriver chez nous" lance encore la sage-femme, qui explique qu’en arrivant sur le bateau, les migrants sont "éberlués d’être encore en vie".
Pour les aider, les membres de l’équipage de l’Aquarius. Une population variée. "Il y a un peu de tout. Ce sont tous des personnes incroyables. Il y a quatre médicaux, un sage-femme, deux infirmiers et un médecin. Et après il y a toute une équipe de sauveteurs qui viennent de la société civile, des marins, des architectes navals, des gens qui font du marketing dans la vraie vie, et qui se retrouvent tous à bord du navire avec le même objectif, à savoir de réduire la mortalité en Méditerranée" explique la sage-femme.
La responsabilité de l'Europe, et l'inaction des Etats
Évidemment, du marketing au sauvetage en mer, il y a tout un chemin d’apprentissage. "C’est là le problème. La loi maritime internationale exige que chaque navire à proximité d’un bateau en détresse doive le sauver. Cela fait maintenant deux ans que l’Aquarius navigue, et nous avons perfectionné un système de sauvetage, et nous sommes devenus des professionnels du sauvetage. C’est toute une technique qui a été mise en place par les sauveteurs qui sont à bord depuis maintenant deux ans. Et le problème est que notre association dépend uniquement des dons des gens. Nous avons professionnalisé la chose mais nous ne sommes pas de vrais professionnels. Il faudrait qu’il y ait de vrais professionnels qui soient là-bas" analyse Alice Gautreau.
Cette dernière appelle les particuliers à soutenir SOS Méditerranée, et Médecins Sans Frontières. Elle conclue en pointant du doigt la responsabilité de l’Europe "qui dépense beaucoup d’argent pour contenir ces gens en Libye".
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