Vatican II : un souffle d'optimisme sur l'Église catholique
Comment expliquer "l’optimisme du concile" que constate l'historien Frédéric Gugelot ? Il y a soixante ans, le concile Vatican II a représenté un tournant considérable dans l'histoire du catholicisme. Une façon de faire confiance à la nature humaine et un "humanisme chrétien puissant" caractérisent Vatican II.
Vatican II, c’était "le catholicisme mondial" représenté par l’ensemble des évêques qui se rencontraient pour la première fois. ©Lothar Wolleh / Wikimedia commonsVatican II a-t-il été incompris, mal interprété ? Qu’il ait représenté un véritable événement, cela ne fait aucun doute au regard des historiens. Parmi eux, Frédéric Gugelot, spécialiste d'histoire culturelle et religieuse, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Reims. Co-auteur avec Étienne Fouilloux de l’article "Vatican II, un concile pour le monde ?" (dans la revue Archives de sciences sociales des religions, 2016/3 n° 175), il considère que si "l’événement Vatican II" est "totalement novateur", le problème reste sa "réception".
En quoi le concile Vatican II a-t-il été novateur ? Un concile, dans l’histoire de l’Église et du christianisme est chose courante. "Un concile, c’est une assemblée d’évêques et de supérieurs d’ordre, rappelle Frédéric Gugelot, qui se réunissent pour débattre des questions qui concernent directement l’Église." Il y est question de son fonctionnement, de ses rites ou de ses dogmes.
Clôturer le concile Vatican I pour marquer le changement ?
Jean XXIII a bien ouvert un nouveau concile et n’a pas voulu prolonger Vatican I. C’est déjà un signe de changement. Le premier concile œcuménique du Vatican n’avait jamais été clôturé officiellement. Ouvert en 1869, il a été interrompu par la prise de Rome par les troupes italiennes lors de la réunification de l’Italie, en 1870. Un concile qui "incarne le refus des valeurs modernes et la promotion de la figure du pape" - un texte sur l’infaillibilité pontificale avait été tout de même publié.
Dans l’esprit des cardinaux de la Curie, précise l’historien, achever Vatican I signifiait "reprendre l’ensemble des condamnations qui depuis le concile de Trente, le Syllabus [Syllabus errorum de 1864] et jusqu’à Humani Generis en 1950, rejettent le monde moderne". Il ne faut pas oublier que cette Église qui va voir se dérouler le concile Vatican II est une institution qui jusque-là se sentait "menacée par toutes les évolutions de la modernité, précise Frédéric Gugelot. Elle s’est perçue comme une citadelle assiégée et s’est repliée sur ses certitudes intellectuelles, dogmatiques et sur les fidèles qui lui étaient fidèles sur les terres de chrétienté."
L’Église catholique apparaissait depuis le XIXe siècle comme "s’opposant à toutes les avancées modernes", et parmi elles, la science. Or justement, les avancées de la science et les découvertes, notamment en archéologie biblique, sont venues mettre en cause à la fin du XIXe siècle l’exactitude des textes ou du moins l’interprétation qu’on en faisait. "C’est vraiment un fossé qui se dessine, décrit l’historien, quand on détient la vérité absolue, du moins qu’on en a le sentiment, et que brusquement cette vérité est ébranlée par toutes les connaissances historiques ou scientifiques qui se mettent en place."
Un souffle d’optimisme
Ils étaient environ soixante-dix au concile précédent : entre 1962 et 1965, ils ont été jusqu’à 2.700 réunis ensemble. C’était "le catholicisme mondial" représenté par l’ensemble des évêques qui se rencontraient pour la première fois. Il faut imaginer la joie de ces évêques participant à cette immense réunion inédite dans l’histoire du catholicisme. Et comprenant à quel point l’Église est mondiale…
Est-ce cet enthousiasme qui explique "l’optimisme du concile", que constate Frédéric Gugelot ? Ou bien la force de persuasion d’un Paul VI, le successeur de Jean XXIII qui a fait aboutir le concile, résolument ouvert à cette culture du dialogue venue de la philosophie politique ? Toujours est-il que cet optimisme se lit par exemple dans la façon qu’a eue le concile de remettre le Christ au centre. Et donc l’incarnation. "Dieu s’est fait Homme, et s’Il s’est fait Homme c’est qu’Il a considéré que l’état humain était noble." Cette façon de faire confiance à la nature humaine est le propre de cet "humanisme chrétien puissant" qui caractérise Vatican II.
La suppression en 1965 de l’index des livres prohibés illustre également cet optimisme quant à la nature humaine. "L’Église n’a plus à indiquer ce que vous allez voir ou ce que vous allez lire, on peut faire confiance au fidèle pour avoir un choix éclairé qui lui permettra de choisir le bon livre et le bon film." N’oublions pas qu’avant cela, "un vrai catholique demandait s’il pouvait lire ou non tel ouvrage qui était pas condamné mais sur lequel on annonçait une certaine méfiance".
On retrouve cet optimisme dans le rapport à l’art. Des artistes pas forcément croyants ni même catholiques ont été sollicités pour décorer des églises. Vatican II n’a pas produit de texte dédié à l’art, la musique ou la littérature, mais il y a "une mise en avant du créateur parce que la création est une œuvre divine. Et donc le créateur se doit de s’inscrire dans les pas de cette œuvre divine."
Dans l’Église, il faut, à chaque fois que l’on change quelque chose, faire appel à la tradition. Cette évolution proposée s’inscrit dans une histoire
Un concile audacieux ?
"Ce n’est pas le concile mais son application qui va conduire à des changements dans l’Église et la vie des fidèles", explique l’historien. Par exemple, dans le couvent des clarisses de Reims, les panneaux de la grille du chœur s’ouvrent, la clôture reste mais les fidèles peuvent voir les religieuses. La langue française "va envahir tout doucement le rituel". Dans les paroisses, l’autel est tourné vers les fidèles…
"Et à partir de là, évidemment, la mutation est décisive." Pour les fidèles mais aussi pour les prêtres et les enfants de chœur. "Ça va aller jusqu’à l’acceptation des petites filles comme enfants de chœur, ce qui n’est pas quelque chose de bénin en quelque sorte puisque on a des femmes qui s’approchent de l’autel, ce qui, jusque-là, ne s’était quand même jamais fait."
Une révolution ? Frédéric Gugelot précise bien que, "dans l’Église, il faut, à chaque fois que l’on change quelque chose, faire appel à la tradition. Cette évolution proposée s’inscrit dans une histoire. À chaque fois qu’une avancée surgit, il faut invoquer la tradition." Pour lui le concile n’est pas "révolutionnaire" mais certainement "audacieux". Au sens où "il fait le pari de l’humain, de l’humanité, à un moment où justement où a le sentiment que cette humanité et cet humain peut aller vers un meilleur".
Les bouleversements ont eu un impact sur le corps ecclésiastique. L’historien rappelle qu’entre 1960 et 1980, "à peu près 20% des clercs quittent l’état de cléricature, c’est beaucoup ! Vous ouvrez les portes, ça favorise l’entrée mais ça peut aussi favoriser la sortie." Selon lui, la vitesse avec laquelle les changements ont eu lieu a sans doute "bousculé les fidèles et l’Église au sens large".


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