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Vatican II : comprendre le rapport de l'Église catholique au monde moderne

Vatican II : comprendre le rapport de l'Église catholique au monde moderne

Un article rédigé par Madeleine Vatel, avec OR - RCF, le 14 octobre 2025 - Modifié le 19 octobre 2025

Il y a soixante ans, dans la constitution Gaudium et Spes, l’Église catholique employait pour la première fois de manière positive le mot "moderne". Le concile Vatican II a-t-il mis fin au long contentieux entre Église et modernité ? A-t-il été une parenthèse optimiste pendant les "golden sixties" ? Et pourquoi donc l'Église a-t-elle été si réticente à l'égard de la modernité ? 

Concile Vatican II, les pères conciliaires sortent de la basilique Saint-Pierre ©wikimédia commonsConcile Vatican II, les pères conciliaires sortent de la basilique Saint-Pierre ©wikimédia commons

Libéralisme, positivisme, matérialisme, socialisme… l'Église a longtemps condamné les idéologies du monde moderne. Le modernisme lui-même a été condamné comme une hérésie puisque Pie X en a fait en 1907 le "rendez-vous de toutes les hérésies" (encyclique Pascendi Dominici Gregis, n°53). Le concile Vatican II a-t-il été une parenthèse optimiste de réconciliation et d'ouverture à la modernité ? Réponses d'Étienne Fouilloux, historien, spécialiste du catholicisme français, professeur émérite des universités, auteur de "Une Église en quête de liberté - La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II (1914-1962)" (éd. Desclée de Brouwer, 2006).

Qu’est-ce que le monde moderne ? 

Le terme "moderne" employé en milieu catholique a un sens particulier. Il désigne un ensemble d’idéologies que l’Église catholiques a jugées "hostiles" à son égard. Quand, en 1864, le Syllabus errorum sur les "principales erreurs de notre temps", condamne l’idée que "le pape doit se réconcilier avec la société moderne", cela vise la philosophie des Lumières et les principes de la Révolution française, résume l’historien. Plus tard, l’Église se montrera très critique à l’égard du libéralisme, du positivisme, du matérialisme, du socialisme… De toutes les "idéologies qui ont prétendu faire le bonheur de l’Homme en dehors de Dieu".

Vatican II a-t-il été le moment de la réconciliation entre l’Église et le monde moderne ? Pour Étienne Fouilloux, il marque en tout cas "une inflexion. L’Église n’accepte toujours pas les principes qu’elle a condamnés antérieurement au nom de sa tradition mais son attitude vis-à-vis du monde est sensiblement différente."

 

Rupture ou continuité : quand Vatican II fait débat

Une Église catholique qui infléchit son regard sur le monde moderne est-elle fidèle à la Tradition ? Pour comprendre les débats autour de Vatican II, il faut comprendre ce qu’est la Tradition, avec un grand "T", dans le monde catholique. "La Tradition, résume Étienne Fouilloux, c’est l’ensemble des documents depuis la fin de la période des évangiles : les déclarations des conciles, les textes des grands Pères de l’Église, et les dogmes définis après la fin de la période évangélique – comme l’Immaculée Conception ou l’Assomption en 1950 - et un certain nombre de déclarations solennelles de pontifes successifs du magistère ordinaire de l’Église."

Après la Réforme, l’Église catholique affirmé que les sources de la foi sont duelles : il y a la Bible et la Tradition, "partim-partim", disait-on au concile de Trente - là où Luther affirmait son Sola scriptura, "l’Écriture seule". "Vatican II de ce point de vue-là a apporté une nuance importante en réunifiant les choses en disant que la source de la foi c’était la Bible mais interprétée dans la Tradition."

Le respect de la Tradition questionne nécessairement toute idée de rupture. La continuité caractérise la Tradition : les textes ne peuvent donc se contredire. "C’est tout le débat autour de Vatican II, résume Étienne Fouilloux. Est-ce que c’est une réforme dans la continuité, comme a dit Benoît XVI, ou est-ce que c’est une rupture par rapport à ce qui précède ? L’Église dénie toute pertinence à la notion de rupture : l’historien est évidemment d’un avis un peu différent !"

Gaudium et Spes, un texte trop optimiste ?

Le 8 décembre 1965, jour de la clôture du concile Vatican II, la constitution Gaudium et Spes ("Joie et Espérance"), était promulguée par Paul VI. Pour la première fois, l’Église parlait des "bienfaits de la civilisation moderne" et utilisait "de manière positive le mot moderne". Un texte qui marque par son optimisme sur la nature humaine. Pour Étienne Fouilloux, c’est le signe de l’influence des "golden sixties, où on a l’impression que les pays colonisés sont en voie d’émancipation, que l’abondance est en train de gagner l’ensemble du globe, l’idée de crise économique paraît obsolète…" Le texte a "mal vieilli", pour l’historien il est "tombé à plat" dès les années 70, quand les conflits et les crises économiques sont réapparus.

Si la constitution Gaudium et Spes a été approuvée par la quasi majorité des évêques, "deux courants se sont affrontés au sein de la majorité conciliaire", rappelle l’historien. Le courant plus réservé a été minoritaire au concile, mais il a ensuite "dirigé l’Église jusqu’à François non inclut", puisqu’elle a compté dans ses rangs deux futurs papes : Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger. Ce sont eux qui soulignaient que "l’homme moderne c’est aussi celui qui a massacré des Juifs ou des Arméniens, rappelle Étienne Fouilloux. Si on devait réécrire ce texte aujourd’hui on serait bien moins favorable à ce développement."

Que faire donc de Gaudium et Spes ? Pour Étienne Fouilloux, la constitution marque "une étape" dans "cette évolution de prise en compte de plus en plus large des affaires du monde". Au XIXe siècle, Léon XIII avait tenter d’intervenir pour résoudre des conflits internationaux, "ça lui avait été refusé". Aujourd’hui, personne ne conteste l’autorité morale du Saint-Siège et le rôle d’interpellation dans le monde. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi l’on reproche à Pie XII son silence pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

Émission Halte spirituelle © RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Halte spirituelle, l'intégrale
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