Qu'est-ce que l'éducation chrétienne ?
L'éducation chrétienne, ce n'est pas que les cours de catéchisme ! En cette période de rentrée scolaire, près de deux millions d'élèves rejoignent les établissements privés catholiques. L'occasion de revenir sur la notion d'éducation intégrale. Ce principe pédagogique central dans la religion catholique est synonyme d'éducation "à la liberté"... Explications.
Éveil religieux dans une école de l'Enseignement privé catholique, le 17/10/2024 ©Corinne Simon / Hans Lucas67% des Français se déclarent attachés à la possibilité de choisir d’inscrire leur enfant dans un établissement scolaire public ou privé catholique sous contrat avec l’État. C’est ce que révèle un sondage exclusif de l’Ifop pour RCF-Radio Notre Dame et Famille chrétienne. La dimension religieuse ou spirituelle n’est cependant pas la principale raison qui incite les parents à se tourner vers l’Enseignement catholique. "Certains usagers ne perçoivent même plus la dimension confessionnelle de ces écoles", observe Jérôme Fourquet, de l’Ifop.
Qu’est-ce donc que cette éducation chrétienne si elle n’est pas qu’un enseignement religieux ? Y a-t-il une manière spécifiquement catholique d’éduquer ? Invité de Halte spirituelle en cette semaine de rentrée scolaire, le Père Jacques de Longeaux décrit la conception de l’éducation dans l’Église catholique. Philosophe, théologien, intervenant au Collège des Bernardins, il est curé de la paroisse Saint-Pierre-du-Gros-Caillou et aumônier de l’établissement privé La Rochefoucauld, à Paris.
Une "éducation intégrale"
L’engagement des catholiques dans l’éducation est une histoire ancienne. Saint Jean-Baptiste de la Salle, saint Jean Bosco ou saint Marcellin Champagnat, pour reprendre quelques-unes des grandes figures chrétiennes de pédagogues du XIXe siècle, se sont engagés pour lutter contre "l’ignorance religieuse" et la "misère spirituelle" des familles défavorisées. Mais, ajoute le Père Longeaux, ils voulaient aussi permettre aux jeunes de s’insérer dans la société et de s’élever dans l’échelle sociale.
"C’est très important pour le christianisme : on ne peut pas séparer le religieux de l’humain. On prend en compte toutes les dimensions de la personne humaine." Une "éducation intégrale" - selon l’expression du concile Vatican II sur laquelle le pape François est revenu dans "Amoris Laetitia" (2016) - qui comprend aussi bien l’apprentissage intellectuel que l’éducation physique, les règles d’hygiène, l’éducation au goût, à l’art, au beau, la découverte de la nature, l’éducation morale, savoir ordonner son désir, respecter des valeurs, etc.
Aujourd’hui, dans le contexte français de la laïcité, les établissements catholiques sous contrat avec l’État garantissent la liberté de conscience. "En même temps, défend l’aumônier de La Rochefoucauld, ce sont des écoles dans lesquelles l’enseignement religieux ne doit pas être marginalisé." Reste le principe de base de la vision chrétienne de l’éducation : "la famille est la première éducatrice de l’enfant". Et "l’école n’est que partie prenante", ajoute le Père de Longeaux - en complément de ce que proposent les mouvements de jeunesse, comme par exemple le scoutisme, et du catéchisme, pour les familles catholiques.
"Cette éducation intégrale est toujours une éducation à la liberté, insiste le Père de Longeaux. L’image de Dieu en l’Homme, c’est la liberté, selon le concile Vatican II. L’idée est d’aboutir à ce que l’enfant prenne en main sa propre vie." Dans son ouvrage "La Personne", Edith Stein "développe l’idée que ce qui est premier dans la personne humaine, c’est l’intériorité". Pour elle, "une éducation chrétienne doit à la fois faire droit à la personnalité propre de chacun et à la dimension sociale de l’existence", résume le prêtre parisien. Mais Edith Stein "insiste sur la valeur de l’intériorité et donc une éducation à la liberté".
Le Dieu de la Bible est un Dieu qui éduque l’Homme
L’idée d’un Dieu qui éduque l’Homme est une grille de lecture tout à fait pertinente et intéressante de la Bible. La pédagogie divine est d’abord une pédagogie "avec un peuple", précise le Père de Longeaux. "Je rappelle que la Bible trace essentiellement un chemin pour le peuple d’Israël, chemin qui va aboutir pour nous chrétiens dans la personne de Jésus Christ. Il y a une dimension essentiellement historique, temporelle, de la révélation divine. Dieu s’est fait connaître à travers l’histoire d’un peuple, l’histoire de l’Alliance avec Israël."
Mais Dieu "n’a pas choisi un peuple déjà saint pour se révéler à lui", précise Jacques de Longeaux. Comme le disent les prophètes de l’Ancien Testament, Dieu a choisi le peuple le plus petit et le plus faible pour le conduire et le faire grandir. La pédagogie divine se trouve d’abord dans la loi confiée à Moïse - l’épisode du don de la Torah sur le mont Sinaï est racontée au Livre de l’Exode. Dans cette éducation, il n’est pas tant question de résultat que d’établir une relation avec la transcendance, en même temps que de structurer une société.
"Au point de départ, il y a l’idée de lutter contre les tendances de l’Homme à l’injustice", résume le Père de Longeaux. Placer des interdits pour empêcher l’un de vouloir écraser l’autre, de l’utiliser pour son propre intérêt ou de le supprimer – ce que l’on retrouve dans les Dix commandements ou Dix paroles : Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas... "Les commandements sont les conditions de base d’une vie commune", commente Jacques de Longeaux. Avec pour principe fondamental qu’à partir du moment où le peuple fait alliance avec Dieu, ce n’est pas la loi du plus fort qui règnera, au contraire, le plus faible a le droit d’exister aussi bien que le plus fort."
L’éducation du cœur
Dieu éduque donc l’humanité par étapes, mais il ne fait pas que placer des interdits. "La loi s’accomplit dans le commandement de l’amour, insiste le Père de Longeaux. Il ne faut pas sauter à pieds joints par-dessus cette pédagogie de la loi." Dans son enseignement sur la loi de Moïse, Jésus insiste sur un aspect : aimer l’autre comme soi-même. Autrement dit, le message que porte Jésus est "qu’il ne suffit pas de ne pas tuer son voisin, il ne faut pas lui être indifférent", commente le théologien.
En racontant des paraboles, ces courtes histoires faciles à comprendre, Jésus s’est montré fin pédagogue. Pour Jacques de Longeaux, ces paraboles expliquent pourquoi son message continue à nous toucher aujourd’hui. Toutefois, recevoir l’enseignement de Jésus n’est pas une démarche intellectuelle en soi. Cela fait appel à une disposition du cœur. "Il faut que l’Esprit saint éclaire le cœur de l’Homme", si l’on veut que cette parole nous "éclaire" et nous "transforme". C’est ainsi que Jésus conclut un enseignement sur le mariage et la répudiation : "Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne !" (Mt 19, 12)
Ce que les chrétiens nomment "accomplissement de la loi" est une compréhension de la loi de Moïse telle que Jésus la présente. Un enseignement qui reste parfois difficile à comprendre encore aujourd’hui, admet le Père de Longeaux. Mais si le concile Vatican II a insisté sur la sainteté accessible à tous, c’est précisément pour rappeler l’idée essentielle de "la réalité du don de l’Esprit" qui rend la compréhension des Écritures possible pour tous. Et sans laquelle "l’Évangile devient quelque chose d’excessif, d’utopique, d’impossible". Le message de l’Évangile repose sur deux piliers : le kérygme, c’est-à-dire l'annonce, et la didaskalia, l'enseignement. Annoncer et enseigner, éveiller en même temps le cœur et la raison, c’est le cœur de la mission de l'Église.


Halte Spirituelle est une émission de radio animée par Madeleine Vatel et Véronique Alzieu et diffusée quotidiennement sur RCF. Des entretiens où l'on puise dans l'expérience chrétienne pour engager une réflexion spirituelle aussi profonde qu'accessible. L'émission de référence de RCF !




