
10.000 baptisés dans la nuit de Pâques : leur démarche de foi interpelle. Qu’est-ce qui motive ces hommes et ces femmes ? Pourquoi croire en Dieu ? Faut-il en attendre quelque chose ? Au fond, croire, qu’est-ce que ça change ?
"Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !" s’écrie l’insensé du "Gai savoir" de Nietzsche, celui qui s’exclame : "Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous ?"* Des mots qui ne cessent de nous interpeller. Que cherche-t-on quand on cherche Dieu ? Croit-on pour être consolé ? Croire en Dieu, est-ce chercher, douter, traverser la certitude ou l’incertitude ? Être confiant ou inquiet ? Pour parler de la croyance en Dieu, Sarah Brunel reçoit Marion Muller-Colard, théologienne et directrice des éditions Labor et Fides, où elle publie "Croire qu'est-ce que ça change ?" en 2025.
"Comment peux-tu être encore angoissée alors que tu es croyante ?" C’est pour répondre à cette question de son fils que Marion Muller-Colard a écrit l’essai "Croire qu’est-ce que ça change ?" La foi guérit-elle de l’angoisse ? Est-ce pour cela que l’on est croyant : pour échapper à cette donnée terrifiante de la condition humaine ? Mais alors croire serait un contrat…
"Le système théologique que j’ai bâti dans mes études et dans mon parcours pastoral, aujourd’hui éditorial, c’est une théologie qui dépasse la relation contractuelle entre Dieu et l’humain." Dans la Bible, le Livre de Job décrit de manière presque caricaturale la façon dont le malheur s’abat sur un homme, un juste qui avait tout pour plaire à Dieu. Ce Livre "témoigne d’une remise en cause de ce que l’on appelle classiquement le système rétributif", analyse la théologienne.
Apporter une explication au mal et promettre des moyens de s’en préserver, "toutes les religions ont beaucoup joué de ça", note Marion Muller-Colard. "Laisser entendre qu’en retour d’une certaine piété, d’une certaine ferveur... on pourrait récolter de la part du bon Dieu le bon-heur en réponse à notre bonne attitude… en fin de compte, cette religion-là, à mon sens, a produit beaucoup de fausses promesses, beaucoup de déresponsabilisations, beaucoup de nervosité. Et il me semble assez loin des Évangiles qui sont à la source de ma foi de chrétienne."
Dans l’Évangile, le récit de la naissance de Jésus inverse la logique rétributive ou contractuelle de la foi. "La construction narrative de Noël, elle dit : Mais est-ce que je peux me mettre entre vos mains sous la forme la plus dépendante et la plus vulnérable qui soit, c’est-à-dire un bébé ? Et est-ce que vous serez à la hauteur est-ce que vous serez responsables ? Est-ce vous pouvez vous rendre garants de moi ?"
Cette inversion au cœur du message de Noël, Marion Muller-Colard regrette qu’elle soit finalement "très peu pensée". Or, "elle nous convoque dans un élan de vie et de protection de la vie. Elle me paraît plus porteuse de sens, au sens de direction et d’élan pour aujourd’hui."
Et si la foi impliquait quelque chose comme une prise de décision ? Que décide-t-on ? Qu’est-ce qu’on décide ? "Je n’ai pas eu d’épiphanie à la Paul Claudel", confie Marion Muller-Colard. Née d’un père protestant et d’une mère athée, la théologienne a "su très tôt qu’il y avait quelque chose de l’ordre de la décision". Pour elle la foi est un "parti-pris" - mais non pas un pari à la Pascal, car il y a chez lui "quelque chose d’intéressé".
"On ne vit pas la même vie, je crois, selon qu’on suppose ou qu’on croit ou qu’on émet l’hypothèse que cette vie est désirée, fait partie d’un projet qui nous échappe, proviendrait d’un créateur. Ou selon qu’on croit que la vie est le fruit d’une pure succession de hasards biochimiques. Ça change quelque chose, j’en suis convaincue, dans notre rapport au monde, à soi, aux autres."
Pour autant, si l’on peut faire entrer la démarche de foi dans un processus de décision, "on ne peut pas être dans le registre de la certitude puisqu’on n’est pas dans la registre de la connaissance". La foi renvoie sans cesse le croyant à une réalité qui lui échappe. "J’ai posé un pas qui m’a placée du côté de ceux qui traversent la vie avec le sentiment, le pari, le parti pris, la décision, qu’elle est fondée en amont dans autre chose que du hasard, témoigne Marion Muller-Colard. Je ne peux pas dire beaucoup plus que ça mais ça, je peux le dire."
* traduction Henri Albert, Société du Mercure de France, 1901
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