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Nostra Aetate, le texte qui a tout changé entre juifs et catholiques

Nostra Aetate, le texte qui a tout changé entre juifs et catholiques

Un article rédigé par Odile Riffaud - RCF, le 5 septembre 2025 - Modifié le 28 octobre 2025
Connaître le judaïsmeNostra aetate, le texte qui a tout changé entre juifs et catholiques (1/2)

Votée il y a 60 ans, la déclaration Nostra Aetate a provoqué un changement considérable dans les relations entre juifs et catholiques. Après des siècles d'antijudaïsme, il a permis un dialogue. Ce texte qui est l'un des plus courts du concile Vatican II a été l'un des plus débattus. Quels ont donc été les points d’accord et les points de blocage ?

"Ce qui est très intéressant, c’est qu’au fur et à mesure qu’on essayait d’élaborer un texte sur les juifs, la rédaction s’est élargie peu à peu aux autres religions." ©wikimedia commons"Ce qui est très intéressant, c’est qu’au fur et à mesure qu’on essayait d’élaborer un texte sur les juifs, la rédaction s’est élargie peu à peu aux autres religions." ©wikimedia commons

Il y a 60 ans, la déclaration Nostra Aetate a provoqué un basculement considérable dans les relations entre juifs et catholiques. L’article 4, qui concerne la religion juive, a fait de ce texte "le point d’appui et la boussole de l’enseignement de l’Église catholique sur les relations entre les catholiques et les juifs, le christianisme et le judaïsme". C’est ce que nous explique Danielle Guerrier dans Connaître le Judaïsme. Elle est déléguée au judaïsme pour le diocèse de Saint-Denis et membre du Comité directeur de l’Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF). En 2025, elle est intervenue dans les différents diocèses et associations pour raconter l’histoire mouvementée de l’élaboration de Nostra Aetate, votée le 28 octobre 1965, lors du concile Vatican II.

Alors que le conflit en Israël suscite des divisions, y compris entre chrétiens, il est utile de rappeler ce que représente ce texte et ce à quoi l’Église catholique s’est engagée. Comme le précise Danielle Guerrier "un texte magistériel, c’est fondamental... C’est un engagement irrévocable de l’Église."

 

Nostra Aetate nous oblige à revoir des pans de notre théologie tout en étant fidèle à notre tradition

 

L’un des textes les plus débattus du concile

Cela a été répété maintes fois : l'article 4 de Nostra Aetate représente "une révolution copernicienne" dans l’histoire des relations entre catholiques et juifs. Pour Danielle Guerrier, c’est "le fruit d’une longue histoire de techouva, un mot hébreu pour dire le retour vers soi, vers Dieu, vers les autres". Techouva signifie aussi la repentance. Par ce texte, les catholiques sont passé "du mépris à l’estime", pour reprendre les mots de Jules Isaac. Et l’Église a fait un premier pas pour mettre fin à des siècles d’antijudaïsme.

En 1960, c’était un "décret sur les juifs" - et non sur le judaïsme, cela a son importance - qu'attendait Jean XXIII. Le pape qui a convoqué Vatican II "avait été très marqué et engagé dans le sauvetage des enfants juifs pendant la guerre en Turquie", rappelle Danielle Guerrier. Jean XXIII avait rencontré, avant la tenue du concile, Jules Isaac, le fondateur, en 1948, de l’Amitié judéo-chrétienne (AJCF), avec Edmond Fleg.

Ce concile, Jean XXIII l’a voulu pour favoriser avant tout "l’unité", souligne Danielle Guerrier. Ce qui va naître de ces trois années de réflexion entre les pères conciliaires n’est pas forcément ce qui était prévu à l’ouverture en 1962. Ainsi, le décret sur les juifs demandé en septembre 1960 au cardinal Augustin Béa, jésuite allemand à la tête du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, a donné une déclaration sur les religions non chrétiennes – judaïsme, islam, bouddhisme, etc. Comment est-on passé de l’un à l’autre ? Que s’est-il passé entre 1960 et 1965 ?

"Ce qui est très intéressant, c’est qu’au fur et à mesure qu’on essayait d’élaborer un texte sur les juifs, la rédaction s’est élargie peu à peu aux autres religions." Le texte voté le 28 octobre 1965 "n’était pas le projet de départ, rappelle Danielle Guerrier. Et moi je trouve ça très intéressant parce que cela veut dire que le concile lui-même a produit quelque chose !" Ce qui s'est produit au concile, c'est un "retournement de relations de l’Église avec le monde, considère Danielle Guerrier. Le monde est bon, ce qui n’était pas énoncé avant ! Être présent au milieu du monde, c’est-à-dire écouter, comprendre, prendre en compte les cultures et donc les religions."

 

Connaître le judaïsmeHommage à Edmond Fleg, co-fondateur de l’Amitié judéo-chrétienne de France

La théorie de la substitution, un "écueil théologique" au concile

Nostra Aetate a beau être l’un des plus courts du concile Vatican II, c’est aussi l’un de ceux qui ont été le plus discutés par les pères conciliaires. Il "aurait pu disparaître", explique même Danielle Guerrier. Sa version finale est "le résultat de discussions" et de "compromis". Quels ont donc été les points d’accord et les points de blocage ? La première version, rapidement abandonnée, "coïncide avec la première crise, explique Danielle Guerrier. Quand on touche aux relations avec le judaïsme et avec les juifs, il y a toujours deux écueils qui vous guettent." Des écueils d’ordre "théologique" et "historico-politique".

La question théologique était "loin de faire l’unanimité". "Dans l’Église, les pères conciliaires ne voyaient pas tous d’un bon œil l’abandon de la substitution. Parce qu'abandonner la substitution, ça signifiait reconnaître que l’Église arrivait en second après le judaïsme. Et quand on a été premier pendant dix-neuf siècles c’est un peu difficile de laisser sa place !"

La théorie de la substitution, érigée par saint Justin au IIe siècle, c’est l’idée que l’Église remplace le peuple d’Israël dans le cœur de Dieu puisque Israël n’a pas reconnu Jésus comme le Messie. On trouve chez les Pères de l’Église cette thèse de l’Alliance conclue entre Dieu et son peuple devenue caduque. Pendant des siècles, l’Église s’est définie comme "le nouvel Israël", le "verus Israël". "Toute l’histoire de la chrétienté, des catholiques, jusqu’au concile Vatican II a été marquée par cette théorie de la substitution", précise Danielle Guerrier. C’est l’un des fondements de l’antijudaïsme chrétien. Après cela, saint Augustin a développé aux IVe, Ve siècles l’idée du peuple errant et maudit.

 

Au concile Vatican II, la dimension politique s’est immiscée dans les débats

Pour revenir aux débats lors du concile, on ne peut nier que les questions politiques se sont immiscées dans les discussions. C’est même "l’écueil le plus prégnant", selon Danielle Guerrier. "Il va provoquer une vraie saga de la rédaction de ce texte ! La présence importante des évêques du Proche et du Moyen-Orient fait qu’ils vont être vent debout par rapport à ce texte, parce qu’ils ont toujours peur qu’il soit de dimension politique et qu’il soit la reconnaissance, dite ou non dite, de l’existence de l’État d’Israël. Et ils ont très peur pour les chrétiens de leurs diocèses et les réactions des musulmans de leurs diocèses."

L’avant-dernière version du texte votée lors de la troisième session a ainsi provoqué "des émeutes", rapporte Danielle Guerrier, à tel point que le cardinal Béa a dû faire "une tournée des évêques du proche et du Moyen-Orient pour leur assurer que ce texte n’était pas politique". Si, dans la version définitive on parle de "la religion juive" et non plus des "juifs", c’est "justement pour dire que notre texte n’est pas d’obédience politique mais qu’il est à un niveau spirituel et théologique".

Le Saint-Siège a pourtant finit par reconnaître l’État d’Israël en 1993... "Ce qu’il faut quand même que l’on se dise, précise Danielle Guerrier, c’est qu’en 1962, on était à quatorze ans de la création de l’État d’Israël. C'était tout récent et on ne savait pas trop quelle position avoir par rapport à cet État."

 

DialogueSionisme et judaïsme sous le regard de philosophes (1/2)

Des attentes exprimées côté juif

Avant la tenue du concile, il avait été demandé à des juifs de formuler leurs attentes dans des mémorandums. De manière synthétique on peut dire qu’elles portaient sur l’enseignement, la liturgie du Vendredi saint - que Jean XXIII avait corrigée dès 1959, souligne Danielle Guerrier - sur l’antisémitisme et la théorie du peuple déicide

On remarque que l’expression "peuple déicide" ne figure pas dans la version finale de Nostra Aetate. C’est que "définir les juifs comme peuple déicide n’a jamais fait partie de l’enseignement de l’Église, rappelle Danielle Guerrier. Le catéchisme du concile de Trente dit bien que ce ne sont pas les juifs ni d’hier ni d’aujourd’hui qui ont tué Jésus mais que Jésus est mort pour le péché de tous et que tous les hommes sont responsables par leur péché." 

Reste qu’on la trouve chez les Pères de l’Église, comme Méliton de Sardes, Jean Chrysostome ou Justin de Naplouse, et qu’elle s’est répandue dans le monde chrétien. "Le mot déicide a été supprimé parce qu’il n’a pas fait partie de l’enseignement de l’Église, mais la mention des responsabilités par rapport à la mort de Jésus est traitée", comme le précise Danielle Guerrier.

De manière étonnante, on constate que la Shoah"en 1962 on aurait dit Holocauste", souligne Danielle Guerrier - n’est pas citée dans la version finale. "Il est question de persécutions, d’antisémitisme, mais étant donné le choc de la Shoah on pouvait attendre quand même ce mot." Quoi qu’il en soit, "les données y sont".

 

Connaître le judaïsmeLe lien à la terre dans le judaïsme (1/2)

Pour une théologie de la terre

Il manque cependant un mot à ce texte, selon Danielle Guerrier : "la terre". "C’est mon avis personnel. Autant on a fait beaucoup de recherches au niveau biblique, ecclésiologique... Nostra Aetate nous oblige à revoir des pans de notre théologie tout en étant fidèle à notre tradition. On a beaucoup avancé sur beaucoup de plans. Mais la situation actuelle nous le montre dramatiquement, nous n’avons pas avancé sur la théologie de la terre." Il y a là "un manque flagrant pour notre Église catholique".

Soixante ans après Nostra Aetate, "l’amitié avec les juifs est quand même solide, elle est capable de passer les moments difficiles... nous sommes dans l’amitié confiante", se réjouit Danielle Guerrier. Parler de la terre, "aborder les questions sur lesquelles on est d’accord et celles sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord", est quelque chose dont les uns et les autres sont "capables", estime-t-elle. Développer une théologie de la terre en monde chrétien, "cela me paraît indispensable pour essayer d’avoir une parole juste, la plus juste possible".

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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