MS 372 : un mystérieux manuscrit au Vatican
Toutes les deux semaines, Sophie Robert, chercheuse en théologie à l'Université de Lorraine, rejoint RCF Jerico Moselle dans l'émission Entre midi, entre Lorrains.
Ce lundi 2 juin, elle nous parle de ses travaux de recherche sur le MS 372, un mystérieux manuscrit, situé au Vatican.
Retrouvez sa chronique retranscrite juste ici.
© CanvaMS 372... Mais d’où vient cette nomenclature ?
MS, c’est l’abréviation pour "minuscule". Nous avons plusieurs catégories de manuscrits sur lesquels nous sont revenus le texte biblique :
Les papyri, qui, on peut le deviner facilement, sont réalisés en papyrus, ce qu’on appelle "les majuscules".
Ou les onciaux, qui sont de grands codices, les ancêtres des livres, qui sont écrits en majuscule sur des peaux d’animaux, sans espace entre les mots.
Enfin, au huitième siècle, on voit apparaître une nouvelle graphie, qui est la graphie minuscule. Elle permet d’écrire beaucoup plus rapidement, surtout que les scribes ont souvent recours aux abréviations, et donc elle s’impose rapidement dans l’Empire Byzantin. On donne alors a ces deux types de manuscrits le nom de leur graphie : majuscules pour ceux écrits en majuscules, et minuscules pour ceux écrits en minuscules.
MS 372 veut donc dire "minuscule", et 372 c’est simplement son numéro dans la numérotation standard des manuscrits néo-testamentaires.
Et qu’est-ce qu’il a de particulier ce manuscrit ?
En fait, et c’est ça qui m’a donné envie de l’étudier plus en détail, c’est que j’ai trouvé une très étrange description dans une des classifications usuelles des manuscrits du Nouveau Testament, qui s’appelle la classification de Claremont. Frédérik Wisse, en charge de cette classification, écrit que le MS 372 possède «a very weird text», c’est à dire un texte très étrange, qu’il n’a réussi à mettre dans aucune de ses cases prédéfinies. Il est de plus incomplet, et s’arrête brusquement en Jean 3.
Sans d’autres indications ? Pourquoi n’a t’il pas plus investigué ?
Ce manuscrit est un manuscrit très tardif qui a été copié au Vatican au milieu du 16e siècle, probablement par le scribe officiel de la bibliothèque Vaticane "Honorarius". Il s’agirait probablement de l’un des derniers textes copiés à la main avant l’ouverture de l’imprimerie officielle du Vatican, voire même peut être d’un modèle pour l’impression.
Ce texte est donc écrit juste avant ou bien pendant le concile de Trente, qui se déroule de 1545 à 1563, pour affirmer la foi catholique en réaction au protestantisme.
Les manuscrits très tardifs comme celui-ci ne sont que très peu étudiés par la recherche en néo-testamentaire, qui s’intéresse beaucoup plus à la question du "texte original", et donc ne considère pas que les manuscrits du XVIe siècle peuvent donner des informations sur le texte original, probablement a raison. Donc Wisse nous a laissé avec cette phrase mystérieuse, et à ma connaissance, personne sauf moi s’est penche sur la question !
Alors, mes investigations m’ont poussé à analyser le texte grec contenu par ce manuscrit, ce texte «très étrange» : une des ses particularités est qu’il est extrêmement proche du texte latin qu’on appelle la Vulgate, c’est à dire la version standard en vigueur dans l’Eglise catholique, telle que traduite par Jérôme de Stridon au milieu du IVe siècle.
Ce manuscrit pioche un peu dans tous les manuscrits grecs qu’on a à notre disposition pour former ce qui semblerait être la base du texte de la Vulgate, une espèce de traduction à l’envers du texte de Jérôme. Nous avons vraiment l’impression qu’il s’agit d’un travail de recherche de la base du texte grec sous-jacent a la Vulgate.
Mais pourquoi créer ce nouveau texte grec ?
Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : le XVe siècle et le XVIe siècle sont les siècles des traductions de la Bible, et notamment des traductions en latin. Vous avez tout un mouvement qui va remettre en cause la qualité de la Vulgate comme traduction du grec, notamment porté par Erasme, qui va refaire sa propre traduction en latin, en se basant sur des manuscrits grecs byzantins.
Vous avez donc la croyance qui se diffuse en Europe que la Vulgate est une mauvaise traduction, éloignée du texte grec qui serait l’original.
Je pense que le MS 372 est une tentative pour mettre fin à ses rumeurs : le Vatican veut prouver que la Vulgate est une bonne traduction du grec, en créant un texte grec qui va piocher dans plusieurs manuscrits du Vatican, et qui est très proche de la Vulgate. C’est une manière pour le Vatican d’affirmer que d’abord, eux aussi sont compétents pour travailler sur les questions des manuscrits grecs et de leurs traductions, et que les réflexions sur la qualité des textes ne sont pas que dans le camps protestant, mais aussi d’affirmer la qualité de la Vulgate.
Et qui serait à l’origine de ce travail ?
Mes investigations m’ont poussé à remonter au cardinal Sirleto, qui était le directeur de la bibliothèque Vaticane à l’époque où le manuscrit a été copié, et dont certains diront qu’il était l’homme qui connaissait le mieux le grec et le latin au XVIe siècle.
J’ai pu chercher les archives de ses correspondances, et j’ai trouvé une conversation particulièrement intéressante qu’il a eu avec celui avec un certain Cardinal Cervini : celui-ci est extrêmement déçu que l’Eglise catholique choisisse une approche dogmatique vis-à-vis de la Vulgate en voulant l’imposer comme seule traduction inspirée, plutôt qu’une démarche intellectuelle où il serait possible de démontrer qu’il s’agit d’une traduction supérieure. Il dit bien dans sa lettre que l’approche scientifique est pour lui la seule manière de convaincre Erasme et ses défenseurs, alors qu’imposer la qualité de la Vulgate par la force ne mènera qu'à l’affaiblissement de la qualité de celle-ci aux yeux des intellectuels de l’époque.
Et il réussi à convaincre Cervini ?
Et oui, Cervini est d’accord, et propose à Sirleto une bourse de recherche pour mener à bien son projet, qui donnera lieu au MS 372. Sauf que Cervini devient le Pape Marcell II en 1555, et ne règnera que 22 jours.
Il semblerait que le financement se soit brusquement arrêté, et c’est pour ça que le MS 372 s’arrête de manière abrupte au chapitre 3 de l’Evangile de Jean. Le concile de Trente a de plus imposé la supériorité de la Vulgate de manière purement dogmatique et l’utilisation de cette seule traduction a des fins liturgiques, et je pense que le Vatican n’a donc pas ressenti le besoin de continuer à financer Sirleto. Celui-ci est alors nommé à la tête de la commission chargée d’éditer un nouveau texte de la Vulgate, que l’on appellera la Bible Sixtine.


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