Migrants et réfugiés : les chrétiens ont-ils le devoir d'accueillir ?
Les catholiques qui célèbrent la 111e Journée mondiale du migrant et du réfugié, sont profondément divisés sur la question de l'accueil. Pour les uns, il est irresponsable d'accueillir des exilés sans condition. Pour les autres, ne pas accueillir serait n’avoir rien compris à l’Évangile ! Mais que dit vraiment la Bible ? Peut-elle aider à y voir plus clair ? Si les Écritures semblent souvent se contredire, il y a une constante dans l'enseignement de l'Église : "Ne jamais, au nom de la charité, sacrifier sa relation à Dieu."
Dans l'église construite par des Érythréens de la jungle de Calais, en 2015 ©Dragan Lekic / Hans LucasCe qu'il faut retenir :
- Dans l'ensemble, les catholiques sont divisés sur la question migratoire
- C'est depuis le XIXe siècle que l'Église catholique se penche sur la question des migrations
- Il y a plusieurs figures d'étranger dans la Bible
Les 4 et octobre 2025, l’Église catholique célèbre la Journée mondiale du migrant et du réfugié (JMMR). Habituellement fixée au dernier dimanche de septembre, elle s’inscrit cette année dans le programme du jubilé de l'espérance. Avec son thème : "Migrants, missionnaires d’espérance" la 111e édition de cette journée veut rendre compte de la façon dont les exilés peuvent être eux-mêmes des témoins d’espérance auprès de ceux qui les accueillent. "Ce rendez-vous mondial, décrit l’Église catholique, rappelle le rôle essentiel des migrants dans la revitalisation de la foi et le dialogue interreligieux, tout en soulignant la dimension spirituelle du cheminement humain vers une patrie commune." Où l’Église puise-t-elle cette image de l’étranger ?
Alors que l’accueil des migrants est un point de tension entre catholiques, Madeleine Vatel fait le point dans Halte Spirituelle. Elle donne la parole à Frère Jacques-Benoît Rauscher, dominicain du couvent de Saint-Nom-de-Jésus à Lyon, qui enseigne la morale sociale et politique à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon. Dans son livre "Les frontières d'un discours - Les papes et l'accueil de l'étranger" (éd. Cerf, 2024), il rend compte de ce qu’est la pratique chrétienne de l’accueil de l’étranger à partir de la Bible, des Pères de l’Église, mais aussi des discours des papes et de la doctrine sociale de l’Église.
Pourquoi l’Église se mêle-t-elle de l’accueil des migrants ?
Pour les uns, ce serait irresponsable d'accueillir sans condition : pour les autres, ne pas accueillir, ce serait n’avoir rien compris à l’Évangile... C’est ainsi que Jacques-Benoît Rauscher résume le clivage entre catholiques au sujet des migrants. Pour lui, "il faut prendre acte de cette division".
Mais s’il y a une chose dont il est absolument sûr, c’est que l’Église est pleinement dans son rôle quand elle se préoccupe des migrants. "Ma vie chrétienne, je ne la vis pas simplement une heure à l’Église le dimanche ou quand je fais ma prière ou quand je lis des livres de spiritualité. Je vis ma vie chrétienne et mon union au Christ quand je vais voter, quand je fais mes courses et quand je m’interroge sur les grandes questions de société."
C’est la raison même de l’existence de la doctrine sociale de l’Église (DSE). Cet ensemble de textes par lesquels l’Église propose, à partir de la Bible et de sa tradition, une réflexion sur les grandes questions économiques, sociales et politiques. Avec son encyclique Rerum novarum (1891), Léon XIII est considéré comme le père fondateur de la DSE. C’est d’ailleurs à lui que le nouveau pape doit son nom, Léon XIV. Il a identifié, tout comme Léon XIII à son époque, que nous vivions une période de grands bouleversements. Une période qui pose le défi de "tenir l’équilibre", comme le résume Jacques-Benoît Rauscher, entre l’instabilité propre à l’époque et la permanence du message chrétien.
L’Église catholique et les migrants : quelques repères historiques
"L’Église est une des premières grandes institutions à s’intéresser aux grands mouvements de migrations au sens moderne du terme", rappelle Jacques-Benoît Rauscher. Si Léon XIII s’est intéressé au sort des migrants, c’était d’abord aux catholiques qui ont fui en masse le continent européen pour au XIXe siècle. Les Italiens notamment sont partis peupler l’Argentine, le Brésil ou les États-Unis. "Léon XIII s’interroge en se demandant, Qu’est-ce que l’Église fait pour accompagner ces mouvements ?" Parmi les missionnaires envoyés auprès de ces populations, Françoise-Xavière Cabrini est partie fonder des écoles et des hôpitaux aux États-Unis. Elle est la patronne des migrants.
La figure du migrant a évolué au cours du XXe siècle. Il "n’est plus seulement celui qui cherche du travail", décrit Jacques-Benoît Rauscher, c’est aussi désormais un réfugié politique. Or, après la Seconde Guerre mondiale, "l’Église a énormément soutenu le développement des institutions internationales". Et encouragé la protection des réfugiés politiques, en particulier des pays du bloc soviétique. À la tribune de l’ONU en 1965, le pape Paul VI a déclaré : "Votre caractéristique reflète en quelque sorte dans l'ordre temporel ce que notre Église Catholique veut être dans l'ordre spirituel : unique et universelle."
Les migrations au XXIe siècle semblent cette fois soulever des débats au sein de l’Église. "Les migrations se sont considérablement massifiées et complexifiées quant à leur cause, explique Jacques-Benoît Rauscher. De plus en plus de personnes migrent pour des raisons économiques, politiques, climatiques…" Et les grandes organisations internationales qui perdent de leur influence, ont semble-t-il de plus en plus de difficultés à encadrer ce phénomène.
Que dit la Bible ?
La Bible peut-elle nous guider à discerner sur ce sujet clivant ? "Oui, mais…" nuance le dominicain. La Bible, pour un chrétien, c’est la référence : "mais attention de ne pas en faire un manuel de morale… Elle ne donne pas de solution clé en main !" D’ailleurs elle semble souvent se contredire. Ainsi on ne trouve pas une figure de l’étranger dans les textes, mais au moins quatre que le dominicain a recensées.
Il y a d’abord l’étranger aussi fragile que la veuve et l’orphelin, celui qui ne bénéficie pas de réseau de protection dans les civilisations anciennes. "Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte... Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri." (Ex 22, 20-22) "C’est le seul passage de l’Exode où Dieu parle à la première personne en disant : C’est moi qui vais venir le défendre, précise Jacques-Benoît Rauscher. Il y a quelque chose de très solennel."
Mais l’étranger représente aussi une menace dans la Bible. Et en particulier pour la foi. "Dans le Livre de Maccabées, il est question de Juifs qui se laissent fasciner par le prestige de la culture grecque et qui sont tentés d’abandonner leur foi au dieu d’Israël."
Émerge une troisième figure de l’étranger, "l’étranger richesse". "Où on voit que Dieu dit au peuple - c’est quand même très, très fort ça, souligne Jacques-Benoît Rauscher : Si tu ne t’ouvres pas aux cultures étrangères, il y a quelque chose de que j’ai à te dire que tu n’entendras pas." C’est l’exemple du prêtre païen Jethro qui donne des conseils à Moïse. "Dieu rappelle au peuple : Oui je me révèle à toi mais n’essaie pas de mettre la main sur moi, tu vas voir aussi que d’autres qui cherchent sincèrement la vérité peuvent t’instruire."
Enfin il y a "l’étranger icône", celui qui nous dit quelque chose de notre relation à Dieu. On trouve dans le Livre du Lévitique l’idée que nous sommes comme l’étranger de passage sur une terre qui ne nous appartient pas. Et nous invite à être comme lui des pèlerins sur la terre, attentifs aux pièges du confort et toujours en quête de Dieu.
C’est quelque chose qu’on pourrait dire au fond constant dans l’exercice de la charité chrétienne : ne jamais, au nom de la charité, sacrifier sa relation à Dieu
Plusieurs figures d'étrangers : comment interpréter les Écritures ?
Ces quatre figures d’étrangers peuvent provoquer "un tiraillement" chez le lecteur tant elles semblent contradictoires, admet le dominicain. "Je crois qu’il ne faut pas avoir peur de ce tiraillement." La Bible reflète tout ce que l’étranger peut représenter et se fait l’écho de ce qu’il suscite en nous. La peur et l’inconfort mais aussi l’élan de charité et l’ouverture du cœur : on ne peut pas écarter l’une au profit de l’autre.
"Je crois que d’abord la Bible nous dit : pas de romantisme, commente le dominicain. C’est très beau d’accueillir un étranger dans sa situation de pauvreté mais oui ça peut bouger, ça peut changer des choses en nous et parfois ce que ça fait changer, ça peut être positif. Mais ça peut être aussi dangereux pour la foi." Il y a tout de même une constante : la fidélité à Dieu. "C’est quelque chose qu’on pourrait dire au fond constant dans l’exercice de la charité chrétienne : ne jamais, au nom de la charité, sacrifier sa relation à Dieu."
Et qu'en dit Jésus, lui qui a commenté les textes et qui est pour les chrétiens l'incarnation de la Parole de Dieu ? Il s’inspire de ces quatre figures, répond le dominicain. Il est l’étranger pauvre - "J’étais un étranger vous m’avez accueilli." (Mt 25, 43) Mais il convoque aussi la figure de l’étranger qui menace : "Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël" (Mt 10, 6), recommande-t-il. Il présente aussi l’étranger comme une richesse. "Et la fin de sa mission révèlera que le but de Dieu c’est d’ouvrir son Royaume à tous", comme cela a été dit dans la Première Alliance. "Le projet de Dieu à l’égard de l’humanité, conclut Jacques-Benoît Rauscher, c’est de rassembler tous les Hommes sur sa montagne sainte, quelles que soient leurs différences, leur culture."


Halte Spirituelle est une émission de radio animée par Madeleine Vatel et Véronique Alzieu et diffusée quotidiennement sur RCF. Des entretiens où l'on puise dans l'expérience chrétienne pour engager une réflexion spirituelle aussi profonde qu'accessible. L'émission de référence de RCF !




