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Lubac, Congar, Chenu : trois théologiens français, figures majeures du concile Vatican II

Lubac, Congar, Chenu : trois théologiens français, figures majeures du concile Vatican II

Un article rédigé par Sarah Brunel, avec OR - RCF, le 17 novembre 2025 - Modifié le 17 novembre 2025
DialogueLes théologiens français et Vatican II

Yves-Marie Congar, Henri de Lubac et Marie-Dominique Chenu comptent parmi les plus grands théologiens catholiques du XXe siècle. Tous trois ont été frappés d'interdiction voire de condamnation au sein de l'Église. Et pourtant, ils ont eu la surprise de se voir convoqués pour participer au concile Vatican II.

Marie-Dominique Chenu, Henri de Lubac et Yves Congar, trois théologiens français au concile Vatican II ©wikimédia commonsMarie-Dominique Chenu, Henri de Lubac et Yves Congar, trois théologiens français au concile Vatican II ©wikimédia commons

Ils ont marqué l’histoire du concile par la profondeur de leur réflexion et la fermeté de leur engagement. Lubac le jésuite, Congar et Chenu, les dominicains : ces trois théologiens français appartiennent à des familles de pensée différentes. Mais ils ont en commun d’avoir été frappés d’interdiction et même de condamnation au sein de leur Église. Et d’avoir été convoqués pour participer à Vatican II. Conseillers, commentateurs, acteurs : quels rôles ont-ils joué lors du concile ? Quelles étaient leur pensée, leur sensibilité, leur rapport au monde, leur vision de l’Église ?

Explications de Brigitte Cholvy, théologienne, professeur honoraire à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Institut catholique de Paris (ICP), spécialiste de théologie dogmatique, d'anthropologie chrétienne et de théologie fondamentale. Elle est l’auteure d’une thèse de doctorat sur la pensée d’Henri de Lubac, et co-auteure avec Luc Forestier du livre "Un catholicisme sous pression" (éd. Salvator, 2022).

Des théologiens français marqués par la crise moderniste

Depuis les années 1900 et le début XXe siècle, la crise moderniste marque très profondément l’Église en particulier en France. "Les théologiens, les scientifiques prennent conscience de l’importance de l’histoire, et donc du temps dans le développement des Écritures, des dogmes, des rites, explique Brigitte Cholvy. Autrement dit, les dogmes, les Écritures, les rites ne tombent pas du ciel tout faits, ils se construisent au fil du temps. Et se construisent dans des débats, dans des discussions parfois difficiles, parfois viriles, on va dire !" Avec parfois "des condamnations graves, des excès"...

La première moitié du XXe siècle correspond pour les théologiens à une recherche de réponses à cette crise moderniste. C’est une période de « renouveaux tous azimuts », comme le résume Brigitte Cholvy : renouveau biblique, avec Joseph-Marie Lagrange, renouveau patristique avec Mgr Jean Daniélou, renouveau liturgique, amorcé au XIXe mais porté au moment du concile par Aimé-Georges Martimort, par exemple. Renouveau thomiste également, porté par Marie-Dominique Chenu.

 

Condamnés puis intégrés au concile

Figures majeures du concile, Lubac, comme Congar ou Chenu ont pourtant eu des relations compliquées avec l’Église et le Vatican. Après avoir vu le déploiement de leur œuvre et de leur réflexion théologique, ils ont été frappés de condamnations et d’interdictions autour des années 50.

Leurs textes étaient lus et connus au sein de l’Église. Il y a eu par exemple "Chrétiens désunis, principes d’un œcuménisme catholique", d’Yves Congar, "Une école de théologie, le Saulchoir", écrit la même année en 1937 par Marie-Dominique Chenu, que Brigitte Cholvy qualifie de "document majeur pour le renouveau thomiste". En 1938, Henri de Lubac a écrit "Catholicisme, les aspects sociaux du dogme".

Quelle ne fut pas leur étonnement de recevoir en 1960 "un appel à faire partie de la commission préparatoire" du concile ! Lubac et Congar en particulier ont été "totalement surpris car ils étaient encore dans une période d’interdiction". Ils se sont même demandés s’il fallait y aller...

 

Lubac, Congar, Chenu : comment ont-ils contribué au concile ?

Lubac apporte notamment une réflexion sur la Révélation, "toute sa théologie tourne autour de ce thème-là", précise Brigitte Cholvy. Lubac va participer "d’une manière très active, très intéressante et très juste à une réflexion sur la Parole et une vision très synthétique du rapport entre Ancien et Nouveau Testament".

Le jésuite a surtout commenté les débats et aidé les évêques à comprendre les enjeux de ce qui était discuté. Ce qu’il a fait "de manière discrète et très remarquable", décrit Brigitte Cholvy. Il a participé à certains écrits, notamment Dei Verbum avec Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, qui était expert à Vatican II. Mais il n’a pas produit de textes comme a pu le faire Yves Congar. 

Yves Congar, "c’est un acteur majeur" du concile. Il a produit un nombre de textes "absolument considérable". Brigitte Cholvy a pu consulter dans son journal la liste de toutes les réunions auxquelles Congar a participé durant le concile. "Et c’est absolument hallucinant, décrit la théologienne, il a participé à tout ! Les textes du concile ne seraient pas ce qu’ils sont sans Congar."

Marie-Dominique Chenu est intervenu à certains moments, des moments qui furent souvent décisifs. Les "deux impacts" de Chenu, selon Brigitte Cholvy, ce sont le "Message du concile à tous les hommes" du 20 octobre 1962. Et les fameux "signes des temps" de la constitution Gaudium et Spes (1965) : "l’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile".

L’apport principal de Chenu concerne la question de la place de l’Église dans le monde. On lui doit la notion de "lieux théologiques en acte", qu’il a élaborée autour de 1937. L’idée de lieu théologique est courant dans la tradition chrétienne : il s’agit des lieux à partir desquels on pense la foi – l’Écriture, la tradition, le concile, etc. Quand il parle de "lieux théologiques en acte", Chenu évoque par exemple "l’expansion missionnaire, le pluralisme des civilisations humaines... la fermentation sociale, l’Église militante". C’est "une prise en compte du monde comme un lieu à partir duquel on peut penser la foi". Ce qui représente "une novation propre à Vatican II".

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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