[Évangile du dimanche] La folie du riche
Dans l'évangile de ce dimanche, on veut faire jouer à Jésus le rôle de juge financier. Or, Jésus a toujours refuser de mêler le civil au religieux. Il se dérobe en racontant une parabole sur l'argent et la folie de l'avidité. Cet évangile permet de comprendre en quoi l'argent est un piège, selon une perspective biblique : "Même si tu es riche, tu es pauvre parce que tu n’es pas propriétaire de ta vie."
Pour Jésus, si la richesse est une chance, c’est parce qu’elle représente une occasion de partager - ce que ne voit pas l'homme riche de l'évangile de ce dimanche. ©FreepikÉvangile du dimanche 3 août (Lc 12, 13-21)
Du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. »
Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.”
Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?” Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »
Source : AELF
Dans l’Évangile de Luc, la vie publique de Jésus comprend deux parties : d’abord un séjour en Galilée, près de Nazareth. Puis un long cheminement jusqu’à Jérusalem, le lieu de sa Passion, au cours duquel il enseigne et transmet l’essentiel de son message. "Il aborde beaucoup de sujets divers et importants à ses yeux", commente Sœur Martine Lavalard, religieuse dominicaine à Lyon. Dans l’évangile de ce dimanche, il est question du rapport à l’argent. C’est un sujet complexe dans la Bible, où la richesse est souvent vue comme une bénédiction. Mais où les prophètes ont souvent mis en garde contre l’avidité. Jésus se situe dans la lignée des prophètes.
Qui n’a jamais rêvé d’une personne de confiance qui aurait toutes les bonnes réponses ?
Comme souvent dans les Évangiles, le rédacteur se concentre d'abord sur les attentes de la foule vis-à-vis de Jésus. Plus la foule est dense, semble-t-il, plus les attentes sont fortes. Qu’est-ce donc que ses contemporains attendaient de Jésus ? On avance souvent la notion de messie, de l’homme providentiel qui va délivrer le peuple de Judée de l’oppression romaine. Or, les attentes sont sans doute plus nombreuses et plus complexes.
Dans les Évangiles on demande aussi bien à Jésus un enseignement, une guérison, un miracle, qu’une décision de justice ou un conseil financier… Ce dont a "rêvé" l’entourage de Jésus, nous dit Sœur Martine Lavalard c’est "d’avoir quelqu’un de sûr, de fort, pour pouvoir se diriger".
Qui n’a jamais eu besoin d’une personne de confiance, en tous les domaines ? C’est sans doute avec ces attentes-là qu’un homme, raconte Luc, a fendu la foule pour questionner Jésus sur une affaire de famille. Dès lors, on comprendre mieux ce rôle que l’on fait jouer à Jésus de leader civil et religieux à la fois.
C’est à l’Homme de construire la cité et non pas à Dieu de construire la cité
Jésus a toujours refusé de mêler le civil et le religieux
Et pourtant Jésus a toujours refusé de mêlé le civil et le religieux. Il ne refuse par le titre de rabbi, qui veut dire "maître" et que l’on adresse aux personnes d’autorité. Mais c’est uniquement pour délivrer un enseignement.
Ainsi, on le voit dans l’évangile de ce dimanche, Jésus refuse de jouer le rôle d’arbitre financier. De fait, il répond à l’homme qui fend la foule par une question. "C’est courant dans la tradition juive, rabbinique, mais déstabilisant, admet Sœur Martine Lavalard. On attend une réponse, on attend que Jésus dise : Il faut faire ci, il faut faire ça."
Là où on attend de Jésus qu’il joue le rôle d’autorité civile, c’est précisément ce que lui refuse. Au point de devoir fuir la foule à plusieurs reprises. "Une pression que, dès le début de sa carrière, si on peut dire, de sa vie publique, que Satan lui donne déjà au désert." En lui disant par exemple : "Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes" (Lc 4, 6).
De tous les évangélistes, Luc est celui qui insiste particulièrement sur le refus de Jésus de jouer un rôle civil. Jésus "veut nous laisser libre, il veut laisser libre l’Homme dans sa nullité et dans sa grandeur, explique Sœur Martine Lavalard. C’est à l’Homme de construire la cité et non pas à Dieu de construire la cité."
L’argent dans la Bible, un sujet complexe
Au risque de décevoir, Jésus répond donc par une question à la question posée. Et se lance dans une parabole sur le rapport à l’argent. Il pointe du doigt l’avidité, c’est-à-dire "le besoin de toujours posséder plus, de toujours étendre son pouvoir d’argent". Sujet ô combien actuel, dans le monde antique comme "dans toutes les sociétés, note la religieuse dominicaine, le pouvoir de l’agent est d’une fascination fantastique !"
Et si cette avidité était le signe d’une peur ? De quoi a-t-on peur ? "L’Homme a peur d’être seul en face de soi-même, répond Sœur Martine Lavalard. Il ne voit que son nombril et il ne pense pas pouvoir s’appuyer sur Dieu, sur le Tout Autre." En tout cas "c’est une erreur fondamentale" de croire que la richesse va combler les angoisses existentielles.
Dans la Bible, il est vrai, la richesse est souvent vue comme le signe d’une bénédiction. Sans doute que "le protestantisme anglo-saxon est très marqué par cette façon de voir les choses", note la religieuse. Mais les prophètes ont eu "des paroles très dures" notamment à l’égard des riches qui profitent sur le dos des pauvres. Si leur parole est "plus en sourdine", c’est à leur suite que s’inscrit Jésus.
"Jésus condamne, presque, l’argent, pourrait-on dire." Pour lui, si la richesse est une chance, c’est parce qu’elle représente une occasion de partager - ce que ne voit pas l'homme riche de l'évangile de ce dimanche. Le piège de la richesse selon les Évangiles est de nous faire raisonner uniquement en propriétaire et de nous faire oublier que l’on reçoit. "Même si tu es riche, explique la religieuse, tu es pauvre parce que tu n’es pas propriétaire de ta vie." L’essentiel pour l’Homme, selon la Bible, est ce lien de confiance, ce pacte d’Alliance qui unit l’être humain et son Dieu.


Peu de nos contemporains connaissent les Évangiles. Ils n'y sont pas hostiles mais ils n'ont plus d'occasion d'y avoir accès. C'est partant de ce constat que, avec l'éclairage d'un bibliste, Béatrice Soltner propose chaque semaine un texte d'Évangile pour qu'il soit entendu (ou réentendu), pour en savourer la nouveauté et faire l'expérience que - si incroyable que ce soit à l'heure de l'instantanéité - cette parole écrite il y a plus de 2.000 ans nous rejoint toujours au plus profond.




