Les pauvres : ceux que Jésus a aimés en premier
Ce dimanche 16 novembre, c'est la Journée mondiale des pauvres. Dans la vision chrétienne, il y a l'idée que les plus pauvres sont le signe d'une espérance. "Qu’ils savent quelque chose de notre monde que les autres ne savent pas, quelque chose de Dieu que les autres ne savent pas." Pourquoi les chrétiens ont-ils cette vision-là de la pauvreté ? À l'heure où les écarts de richesse se creusent, elle éveille surtout des peurs...
Huitième journée mondiale des pauvres au Vatican, le 17/11/2024 ©Vatican mediaLe 16 novembre 2025, c’est la Journée mondiale des pauvres. Elle a pour thème "C’est Toi mon espérance" (Ps 71, 5). En quoi les pauvres peuvent-ils être des signes d'espérance ? Ne nous alertent-ils pas au contraire sur des écarts de richesse qui se creusent et qui attisent nos peurs ? Le pape Léon XIV a bien vu que la pauvreté en 2025 a un autre visage qu'avant. Pour tenter de comprendre cette vision chrétienne qui lie pauvreté et Royaume de Dieu, Madeleine Vatel François Odinet, prêtre du diocèse du Havre, théologien et maître de conférences aux facultés Loyola Paris. Il est aussi aumônier général du Secours catholique et auteur de "Maintenant, le Royaume" (éd. Desclée de Brouwer, 2025).
Journée mondiale des pauvres, réveiller notre compassion
"Les pauvres ne sont pas une distraction pour l'Église, ils sont nos frères et sœurs les plus aimés, car chacun d'eux, par son existence et aussi par les paroles et la sagesse dont il est porteur, nous invite à toucher du doigt la vérité de l'Évangile." Ces mots sont ceux du pape Léon XIV dans son message pour la neuvième journée mondiale des pauvres, publié le 13 juin 2025.
Cette Journée mondiale des pauvres intervient un peu plus d’un mois après la publication de "Dilexi Te", la première exhortation apostolique de Léon XIV et son premier grand texte. Il l'a consacré justement à l’amour envers les pauvres. Rien de nouveau a priori dans ce texte écrit à quatre mains puisque Léon XIV a repris et complété des propos du pape François.
Toutefois, "le pape repère des accents propres à notre époque : la pauvreté n’est pas la même en 2025", note François Odinet. "Le pape note à quel point nous sommes dans un monde qui redevient très inégalitaire. Il a des paroles saisissantes sur ce qu’il appelle la minorité heureuse qui profite plutôt bien du monde tel qu’il va mais avec un voile d’indifférence à l’égard des pauvres qui sont nombreux."
Dans ce texte aux accents politiques, Léon XIV "dénonce la capacité de notre société de consommation à nous illusionner" et le risque de "ne plus voir la misère ou même à être lassés par le rappel de la misère au point que la compassion est devenue impossible. Il cherche à réactiver, on peut dire ça, la compassion comme un ressort de l’action politique."
Dieu ne veut pas que la misère existe, mais en vrai ça existe. Et c’est là que nous allons rencontrer Dieu
L’Église préfère-t-elle les pauvres ?
Comme son prédécesseur le pape François, Léon XIV se montre attentif à la voix des pauvres. Il encourage les chrétiens à entendre ce que les pauvres ont à nous dire. À considérer "qu’ils savent quelque chose de notre monde que les autres ne savent pas, comme le formule François Odinet, quelque chose de Dieu que les autres ne savent pas."
Comment comprendre cette façon de placer au centre la parole des pauvres, selon l’intuition de François reprise à son tour par Léon XIV ? Et pourquoi Jésus dit que "les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers" (Mt 20, 16) ? On en viendrait presque à croire qu’il faut être pauvre pour entrer dans le Royaume de Dieu et que la richesse est quelque chose de mal, voire une malédiction.
D’une certaine manière, la rencontre entre Jésus et l’aveugle Bartimée à la sortie de Jéricho, racontée dans l’évangile de Marc (chapitre 10) résume à elle seule la conception chrétienne du lien aux pauvres, observe François Odinet. Aveugle et mendiant, Bartimée "cumule les précarités" : grâce à Jésus qui opère un miracle, non seulement il recouvre la vue mais surtout, "il prend sa place parmi les disciples". Dans les évangiles, les gestes de Jésus comme les guérisons ou les délivrances sont suivis par une réintégration dans la société. En cela, Jésus indique ce qu’est le Royaume de Dieu.
Une exigence de justice sociale dans la Bible
Dans la Bible, qui est un texte finalement très politique, il est très souvent question de justice sociale. "Dieu réagit contre l’ordre du monde qui est injuste et envoie des prophètes pour une société plus juste." Une société imprégnée de la Bible hébraïque devrait être naturellement soucieuse d’un ordre social où chacun trouve sa place. C’est d’ailleurs le sens du jubilé, d'annuler les dettes et de remettre tous les cinquante ans les choses en ordre.
Plus encore, François Odinet va jusqu'à dire que "ce qui maintient des personnes dans la précarité, dans l’oppression, c’est l’asservissement d’autres à des idoles - de l’argent, de la réussite, du profit". L’idolâtrie qui est l’un des péchés les plus graves dans la tradition hébraïque. Autre "asservissement" que signale le P. Odinet : "cette conviction que pour que je m’en sorte, il faut que j’écrase les autres au passage. L’évangile nous montre une autre voie qui permet à chacun et chacune de trouver sa place."
De manière surprenante, Jésus dit dans l’évangile : "Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous." (Mc 14, 7). Cela ne va-t-il pas à l’encontre des paroles d’espérance de Jésus qui annoncent le Royaume de Dieu ? Quand il dit cela, Jésus fait référence au Livre du Deutéronome. Au chapitre 15, on trouve trois affirmations successives et a priori contradictoires évoquent les pauvres : "De toute manière, il n’y aura pas de malheureux chez toi." (Dt 15, 4) ; "Se trouve-t-il chez toi un malheureux parmi tes frères…" (Dt 15, 7) ; "Certes, le malheureux ne disparaîtra pas de ce pays." (Dt 15, 11).
Comment passe-t-on de l’idée qu’il n’y a pas de pauvre, à l’idée qu’il puisse y en avoir à l’affirmation qu’il y en aura toujours ? "Dieu ne veut pas que la misère existe, analyse le Père Odinet, mais en vrai ça existe. Et c’est là que nous allons rencontrer Dieu."
C'est aux côtés des plus pauvres que Jésus se révèle
L’écueil pour qui lit les évangiles, c’est de ne porter attention qu’à Jésus et non pas aux pauvres qu’il guérit. "Il me semble qu’il y a une vraie tentation qui est de spiritualiser la pauvreté." Par exemple, faire du personnage de l’aveugle l’allégorie de l’aveuglement spirituel. "Le risque, si on spiritualise la pauvreté, c’est que les pauvres réels deviennent invisibles."
Or, "il y a une réalité de la pauvreté, de l’oppression, du malheur, insiste François Odinet. Il y a des gens qui dorment dans la rue, il y a des gens qui dorment dans des maisons, il y a des gens qui ne s’inquiètent pas de comment ils vont nourrir leurs enfants et il y a des gens qui sont obligés d’aller dans les décharge pour nourrir, ne serait-ce qu’une fois par jour, leurs enfants." Les pauvres dans l’évangile "sont des pauvres réels" qui "souffrent de l’exclusion et du discrédit".
Or c’est à leurs côtés que Jésus "se révèle la plupart du temps, au contact des personnes les plus écrasées, les plus éprouvées de son époque". Cela d’ailleurs finira par lui coûter la vie. Jésus lui-même finit sa vie terrestre condamné, abandonné par les siens. Le message que Jésus nous donne par l’exemple de sa vie est "qu’il y a une place pour tout le monde dans le Royaume de Dieu, à condition d’être avec les pauvres en lien avec eux et d’accepter d’être après eux." La libération des opprimées annoncée si souvent dans les Écritures, Jésus est venu l’incarner très concrètement.
Certes, "se reconnaître fragile devant Dieu c’est sûrement plus facile que de s’interroger sur le sort de la personne qui dort dans la rue en bas de chez nous, ça c’est sûr !" admet le Père Odinet. Mais ce dernier a pu observer dans son diocèse que "quand on essaie de mettre les personnes les plus précaires au centre, étonnement, les communautés deviennent attirantes pour bien d’autres vulnérabilités, pour bien d’autres personnes blessées par des épreuves de l’existence. Quand les plus abimés ou les plus vulnérables sont au centre, tout le monde peut trouver sa place."


Halte Spirituelle est une émission de radio animée par Madeleine Vatel et Véronique Alzieu et diffusée quotidiennement sur RCF. Des entretiens où l'on puise dans l'expérience chrétienne pour engager une réflexion spirituelle aussi profonde qu'accessible. L'émission de référence de RCF !




