Paris
Représenter Jésus souriant sur la croix peut sembler une manière étonnante de représenter sa Passion. N'est-ce pas oublier les souffrances que Jésus a endurées ? C'est pourtant devant ce Christ souriant que les moines cisterciens de l'abbaye de Lérins se prosternent lors du Vendredi saint.
Dans l’église de l’abbaye de Lérins, sur l’île-monastère Saint-Honorat où RCF et Radio Notre-Dame installent leur studio pour la Semaine sainte, c’est devant la représentation d’un Christ souriant que les fidèles vont pouvoir se prosterner ce Vendredi saint. Pourtant, l’office de la Vénération de la croix prête assez peu au sourire, en ce jour de commémoration de la mort du Christ. Pourquoi donc représenter Jésus souriant sur la croix ? Quel message l’artiste a-t-il voulu transmettre ?
"Les cisterciens ne sont pas très friands d’images, explique le Père Vladimir, supérieur de l’abbaye de Lérins depuis près de trente ans. Les églises cisterciennes sont très dépouillées mais il y a toujours un Christ en croix et une Vierge."
Et c’est un Christ souriant qui est représenté dans l’église de l’île-monastère Saint-Honorat. Ce crucifix du XIIIe siècle se trouvait autrefois dans un autre monastère cistercien, dans le nord de la France. Le Christ est représenté "souriant, apaisé, décrit le Père abbé, la tête légèrement inclinée avec un triangle sur le front qui symbolise la Trinité. Parce que c’est toute la Trinité qui est aussi présente sur la croix."
Un Christ souriant sur la croix, voilà qui est étonnant et même déroutant. C'est en tout cas "typiquement cistercien", rappelle l’abbé de Lérins. Dans cet ordre monastique fondé en Bourgogne par Robert de Molesme en 1098, c’est autour du XIIe siècle que l’on a commencé à représenter différemment la scène de la crucifixion. Ce qui change, c’est que "le Christ n’est pas représenté souffrant, explique le Père Vladimir. Il est déjà d’une certaine manière représenté vivant."
La croix est aujourd’hui le symbole de la religion chrétienne. La scène de la crucifixion est sans doute le thème qui a le plus inspiré les artistes. Un thème qui s’est imposé à partir du Ve siècle, lorsque, en Occident, le supplice de la croix a été interdit par l’empereur Théodose.
Qu’est-ce que la crucifixion dans la tradition chrétienne ?
La crucifixion est un moment de la Passion du Christ, celui où il est attaché à la croix - les évangiles ne disent pas s’il a été cloué ou attaché. La crucifixion correspond à la onzième station du chemin de croix, cette démarche que les chrétiens font le Vendredi saint et qui suit les quatorze (ou quinze) étapes de la Passion du Christ.
Il est fascinant de constater comment la crucifixion, scène à première vue assez simple, a pu susciter autant d’interprétations différentes. Jusqu’à faire de certains détails des codes. Représenter par exemple Jésus les bras rapprochés levés au ciel est typique du courant janséniste (XVIIe, XVIIIe siècles).
Le foisonnement de ces crucifixions est à la hauteur de la complexité du thème et de la multiplicité des messages qu’on lui prête. Par exemple, la croix de Saint-Damien du XIIe siècle, connu pour être l’objet de dévotion de saint François d’Assise, montre un Christ en croix non pas souffrant mais apaisé. Il est dit triomphant, c’est-à-dire vivant puisqu’il a triomphé de la mort.
Ce n’est pas devant le mal et la souffrance que nous nous prosternons. C’est devant l’amour - il nous dépasse totalement
Le Christ souriant de Lérins – "ce n’est pas un rire aux éclats, c’est un très discret sourire", précise le Père abbé – participe de cette interprétation-là d’un Christ vivant. Certes, "dans la Passion est manifesté à l’extrême le mal, la violence, la haine des Hommes, nous dit le Père Vladimir. Mais le Christ l’affronte avec son arme à lui." C’est-à-dire avec "son amour". "Le Christ en croix est vu par les cisterciens premièrement comme une révélation de l’amour de Dieu."
"Le Christ s’est avancé vers sa Passion à la fois dans la souffrance, dans l’angoisse et dans les larmes, dans la sueur de sang, nous dit le Père Vladimir citant Guerric d'Igny, abbé cistercien du XIIe siècle, mais en même temps - c’est symbolique comme vocabulaire - il s’est avancé vers sa Passion parce qu’elle est par amour, en souriant et paisiblement."
Cette complexité du message de la crucifixion peut nous sembler déroutante, contradictoire. On la retrouve cependant dans l’évangile et les paroles même de Jésus à Gethsémani : "Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux !" (Mc 14, 36)
Aussi, quand, lors de l’office de la Vénération de la croix du Vendredi saint, "ce n’est pas devant le mal et la souffrance que nous nous prosternons, rappelle l’abbé de Lérins. C’est devant l’amour - il nous dépasse totalement." Dire que Jésus est mort par amour, "cela change tout, selon le Père Vladimir. Parce que s’il n’y avait pas d’amour, cette mort appellerait la vengeance. Puisqu’elle est dans l’amour, cette mort appelle le pardon. C’est un exemple, un sacrement et un modèle pour tout chrétien."
L'émission de référence de RCF ! Un format court et quotidien, complété par une version intégrale le samedi, pour engager une réflexion spirituelle profonde et accessible, autour d'une thématique d'actualité.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !