L'étranger peut-il nous sauver ?
Quand on parle de Noël, on pense le plus souvent à l’émotion devant le petit Jésus de la crèche : Mgr Olivier Leborgne parle, lui, du "drame" et du "tragique" de Noël. "Le drame de Noël est celui d’un Dieu qui rejoint tous les exilés." Au contact des migrants de Calais, l'évêque d'Arras, a redécouvert que Jésus et Marie ont été des exilés et ce juste après la naissance du Christ. Pourquoi Dieu s'est-il incarné dans "l’une des fragilités les plus décapantes qui soient" ?

Vivons Noël avec les réfugiés d’Ukraine et d’ailleurs : programmation spéciale sur RCF
Dans un contexte international particulièrement tendu cette année, RCF a choisi de manifester sa solidarité avec celles et ceux qui doivent quitter leur pays et tout laisser derrière eux pour trouver la paix et la sécurité. C’est pour cela que, cette année, RCF propose à ses auditeurs de vivre Noël avec la communauté Sant’Egidio.
Une messe de Noël avec des exilés érythréens à Calais
Il y a un an, le 24 décembre 2021, Mgr Olivier Leborgne a célébré la messe de Noël au beau milieu d’un camp de réfugiés érythréens à Calais. C’était une invitation du prêtre jésuite Philippe Demeestère – à cette époque, l’aumônier du Secours catholique du Pas-de-Calais était encore en train de mener sa grève de la faim.
Il est d’usage pour les évêques de fêter Noël avec des personnes en situation de précarité ou des personnes fragiles… Mais cette fois, l’évêque d’Arras a eu "peur" : "J’ai eu des pressions politiques pour ne pas y aller", raconte-t-il. Des pressions qui l’ont "surpris" tout autant que "désarçonné". Il y est tout de même allé et il a "vécu un moment de fraternité extraordinaire !" "On était là, sur le terrain avec des migrants, une quarantaine d’Erythréens orthodoxes, chrétiens." Il y avait aussi "des militants" et "des familles qui ont emmené des enfants pour dire un Noël autrement avec les enfants…"
Après deux années à la tête de son diocèse, fort de ses rencontres avec les migrants, Mgr Leborgne le clame : "Nous ne pouvons pas être croyant à demi !" Il est évêque d'Arras depuis 2020. Un diocèse qui compte sur son territoire la ville de Calais, point d'arrêt et lieu de passage vers l'Angleterre pour de nombreuses personnes qui fuient leur pays. Aujourd’hui, il fait entendre un cri d’alerte qu’il exprime dans son livre, "Prière pour les temps présents" (éd. Seuil).
Un Dieu qui choisit immédiatement d’entrer dans l’une des fragilités les plus décapantes qui soient, qui est celle de la migration
La migration, "l’une des fragilités les plus décapantes qui soient"
À 59 ans, celui qui a consacré sa vie à Dieu et au service de l’Église catholique a redécouvert une chose : "Juste après la naissance de Jésus, Marie et Joseph doivent partir en Égypte." À peine né, Jésus, c’est-à-dire Dieu, devient un exilé. "Quel sens ça peut avoir que celui qui librement décide de s’incarner à ce moment-là de l’histoire, sur ce territoire-là de l’histoire ?" Certes, il y a l’alliance avec Dieu du Premier Testament, certes "il y a une grande logique" dans les Écritures. "Mais quand même, Dieu n’est pas contraint par les événements !"
Pour l’évêque, cette redécouverte d’un Dieu fragile et exilé a été un véritable "coup de poing". "Il y a une profondeur de l’incarnation que je n’avais pas perçue. Une profondeur d’un Dieu qui choisit immédiatement d’entrer dans l’une des fragilités les plus décapantes qui soient, qui est celle de la migration."
Le drame de Noël, c’est vraiment celui d’un Dieu qui rejoint tous les exilés
Le "drame" de Noël
Quand on parle de Noël, on pense le plus souvent à l’émotion que l’on peut éprouver devant la crèche et Jésus enfant couché sur de la paille. Olivier Leborgne, lui parle du "drame" et du "tragique" de Noël. "Le drame de Noël, dit-il, c’est vraiment celui d’un Dieu qui rejoint tous les exilés." De quoi bousculer ce qui relève de "l’émotion" - certes il en faut, admet l’évêque. "L’émotion devant l’enfant déjà dit sans doute quelque chose d’une reconnaissance d’un Dieu qui plonge dans la fragilité. Mais il n’y plonge pas avec émotion, il y plonge dans le tragique des situations concrètes – peut-être qu’on est passés à côté, oui."
De quoi réveiller aussi les chrétiens. En qui croyons-nous ? En un Dieu merveilleux qui nous émeut ? "L’espérance que Noël annonce est rude et âpre", écrit l’évêque d’Arras. "L’espérance de Noël, ce n’est pas l’émotion du petit Jésus dans la crèche, c’est le tragique du Fils de Dieu qui plonge dans notre chair pour vivre l’exil immédiatement."