Vente de l’église Saint-Luc à Grenoble : comprendre une décision douloureuse
La paroisse Notre-Dame de l’espérance et le diocèse de Grenoble-Vienne ont confirmé la fermeture et la mise en vente de l’église Saint-Luc, au cœur du quartier de l’Île Verte. Une décision qui suscite incompréhension et colère parmi les fidèles. Pour éclairer ce choix délicat, nous avons interrogé le père Emmanuel Decaux, vicaire général et administrateur de la paroisse Notre-Dame de l’Espérance, Gérard Huriez, membre de l’équipe paroissiale et Elisabeth Roy, membre de la communauté qui se réunissait à Saint-Luc.
L'église Saint Luc dans le quartier de l'Ile verte à GrenobleCe qu'il faut retenir :
- L'église Saint-Luc, construite en 1967 dans le quartier de l'Ile Verte au centre-ville de Grenoble, a été mise en vente par le diocèse de Grenoble-Vienne. Une dernière messe a été célébrée le dimanche 23 Novembre
- La fermeture de Saint-Luc demeure une blessure pour nombre de fidèles, Ils étaient une centaine à fréquenter l'église
- Pour le diocèse, la vente s’inscrit dans un processus plus large de réorganisation pastorale et immobilière engagé depuis plusieurs années.
RCF Isère : Emmanuel, la communauté exprime tristesse et incompréhension. Comment accueillez-vous ces réactions ?
P. Emmanuel Decaux : Elles sont parfaitement légitimes. Saint-Luc accueille une communauté vivante, très attachée à son église. Lorsqu’on se sépare d’un bâtiment, ce n’est jamais anodin : un lieu de culte est intimement lié à ce que l’on y vit.
On ne vend jamais une église de gaieté de cœur. Mais nous devons aussi garder un sens de la justice et de la solidarité entre paroisses.
RCF Isère : Comment ce processus menant à une vente a-t-il été engagé ?
Gérard Huriez : Tout commence en 2019, quand Monseigneur Guy de Kerimel (alors évêque du diocèse, ndlr) demande que chaque paroisse dispose d’un lieu pastoral identifiable et adapté. À Notre-Dame de l’Espérance, la maison paroissiale du 1 rue de Sault était vétuste, invisible depuis la rue, peu accueillante.
Une opportunité immobilière s’est alors présentée juste en face, au 2 rue de Sault : un ancien commerce, visible, en rez-de-chaussée, avec la possibilité d’aménager un logement pour le curé. L’étude paroissiale a identifié ce bâtiment comme idéal. Le diocèse a donné un accord de principe, mais restait la question du financement.
RCF Isère : Beaucoup disent ne pas avoir été consultés. Comment répondre à ce sentiment ?
Gérard Huriez : Dès 2018, un travail de diagnostic avait été réalisé et partagé. Des documents existent, et une réunion publique s’est tenue en juin 2019. Des paroissiens de Saint-Luc y étaient présents. La procédure a été respectée. Mais que chacun se soit senti réellement impliqué, c’est plus difficile à mesurer.
P. Emmanuel Decaux : Je ne peux pas dire comment les personnes ont été associées en profondeur, mais des réunions ont eu lieu. Le ressenti, lui, varie selon chacun.
Aujourd’hui, avec l’expérience du synode sur la synodalité, on ferait sans doute différemment.
RCF Isère : Peut-on résumer cette décision à un besoin financier pour financer la nouvelle maison paroissiale ?
Gérard Huriez : Le besoin financier est réel, mais il découle d’abord d’un choix pastoral : offrir un lieu d’accueil visible à proximité de Saint-Louis, l’église la plus fréquentée du secteur. Pour financer l’achat et la rénovation du 2 rue de Sault, la paroisse devait vendre plusieurs biens : l’ancienne maison paroissiale, l’ancienne cure Saint-André, et un lieu de culte. Deux possibilités pour compléter : Saint-Luc ou Saint-Vincent-de-Paul.
L’étude a montré que Saint-Vincent-de-Paul disposait de salles annexes conformes aux normes actuelles, contrairement à Saint-Luc. La communauté de Saint-Luc comptait alors une cinquantaine de fidèles, vieillissants, avec des difficultés à renouveler les responsabilités. La décision a donc été prise de proposer Saint-Luc à la vente.
RCF Isère : La nouvelle maison paroissiale a été financée grâce à la solidarité diocésaine. Pouvez-vous rappeler le principe ?
P. Emmanuel Decaux : La règle diocésaine est claire : on ne lance aucun chantier avant d’avoir réalisé les arbitrages financiers nécessaires. Pour le 2 rue de Sault, cette règle n’a pas été suivie, car il fallait saisir l’occasion. La paroisse a été aidée par les caisses des autres paroisses du diocèse : c’est une forme d’emprunt interne. Aujourd’hui, la paroisse Notre-Dame de l’Espérance doit rembourser cette dette. Ce n’est pas le diocèse qui est endetté, contrairement à ce qui a parfois été dit : ce sont les autres paroisses qui ont avancé les fonds. Il faut donc rendre ce qui a été prêté.
Nous ne comprenons pas cette fermeture
Témoignage de fidèle :
Élisabeth Roy, membre de la communauté de Saint-Luc, confie ne pas comprendre la fermeture avant la conclusion officielle de la vente, rappelant qu’en 2019 il avait été annoncé que l’église resterait ouverte jusque-là. Elle souligne qu’il ne s’agit ni d’une communauté moribonde ni d’un bâtiment coûteux : la fréquentation était bonne et les charges faibles, estime Elisabeth Roy. Elle regrette l’absence de dialogue : « Nous n’avons jamais obtenu de réponse à nos courriers », déplore cette fidèle pour qui Saint-Luc jouait un rôle essentiel dans le quartier qui fonctionne « comme un village ».
RCF Isère : Comment expliquer la fermeture anticipée ?
P. Emmanuel Decaux : Le document évoqué était une lettre du curé d’alors, le père Patrick Gazo. Il indiquait effectivement que l’église resterait ouverte jusqu’à la vente. Depuis, la communauté s’est beaucoup dynamisée, et c’est une très bonne chose. Mais les démarches administratives ont pris du retard : les actes de propriété n’étaient pas disponibles. Par ailleurs, la dette paroissiale doit être résorbée. Le diocèse a donc demandé de fermer Saint-Luc dès maintenant pour accélérer la vente. C’est, cette fois, une décision diocésaine, motivée par l’urgence financière.
Le diocèse est très attentif à ce que l’activité future respecte la mémoire du lieu et la tranquillité du quartier
RCF Isère : Comment garantir que l’usage futur respectera l’histoire du lieu ? Qui pourrait acheter ?
Gérard Huriez : Une église ne peut pas être vendue sans discernement. Pas question, par exemple, d’y installer une activité incompatible avec son histoire.
P. Emmanuel Decaux : Depuis 2019, une quarantaine d’associations, structures ou particuliers ont manifesté leur intérêt. Le bâtiment est bien situé et attire. L’objectif est de choisir un projet compatible avec la vocation du lieu et bénéfique pour le quartier.
RCF Isère : La communauté de Saint-Luc peut-elle poursuivre son dynamisme missionnaire ?
P. Emmanuel Decaux : Oui, l’évêque nous encourage à recréer des petites fraternités locales. L’Évangile ne dépend pas uniquement de la possession d’un bâtiment. Il faudra inventer d’autres modes de proximité et de présence.


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