La Salette, discerner les larmes de Marie
Le père Jean Stern, missionnaire de La Salette, était le grand spécialiste de l’histoire de l’apparition de Marie dans la montagne de Corps en 1846. Il est décédé en 2023, mais un ouvrage posthume vient d’être publié. Il achève le travail de toute une vie. Emmanuel Decaux, vicaire général du diocèse de Grenoble-Vienne a écrit la préface de cet ouvrage. Il nous explique les avancées de ce passionnant travail historique.
RCF IsèrePère Emmanuel Decaux, vous êtes vicaire général du diocèse de Grenoble-Vienne et vous signez la préface du dernier livre du père Jean Stern, missionnaire de La Salette, décédé en 2023. Ouvrage paru en octobre aux éditions de L’Harmattan.
C’est un livre-testament qui reprend une vie de recherche et de prière autour de l’apparition du 19 septembre 1846. Vous dites que ce livre est le fruit d’une vie donnée à Dieu. Comment avez-vous rencontré le père Stern à la fin de sa vie ?
Emmanuel DECAUX
Je l’ai vu sur son lit d’hôpital. Il récitait le chapelet ; en me voyant, il a tout de suite parlé de théologie et de La Salette. Cela résume bien sa passion jusqu’au bout. Gilles-Marie Moreau a rendu possible l’édition et mérite d’être remercié pour son travail patient. Chez le père Stern, la rigueur historique et la justesse théologique vont de pair : l’ouvrage en témoigne par sa précision documentaire et spirituelle.
Est-ce pour cela que vous parlez d’un véritable testament spirituel ?
Oui. Archiviste à Rome, il a consacré sa vie à trier, analyser, structurer les sources de La Salette. Un vrai travail de bénédictin, mis au service des pèlerins : offrir des points d’appui sûrs pour marcher à la suite du Christ à partir de cet événement.
Vous êtes théologien et vicaire général. Face à un tel ouvrage, comment votre regard s’est-il formé ? Est-ce un sujet qui passionne aussi les théologiens ?
J’ai grandi ici et, ordonné prêtre, je connaissais peu La Salette. Beaucoup dans le diocèse la connaissent mal. Deux raisons m’ont finalement passionné : c’est une réalité de notre Église diocésaine ; et, en théologien, j’aime décrypter l’Écriture et la Tradition, pour que des événements comme La Salette deviennent structurants pour la foi d’aujourd’hui.
Dans ce livre, le père Stern fait-il un pas de plus, une synthèse de toute sa vie de recherche ? Apporte-t-il de nouvelles nuances ou un autre éclairage ?
Oui, par précisions successives. Après les Documents authentiques (t. III, 1990), il est revenu plusieurs fois vers Gilles-Marie Moreau : 2018, 2020, puis ce volume posthume achevé en 2023. Le livre reprend et déploie la longue introduction historique du t. III, avec un affinage notable sur la question délicate des “secrets” et le discernement du curé d’Ars, qui a fortement orienté sa réflexion.
L’étude est-elle désormais close ou va-t-elle se poursuivre ? Les archives sont-elles totalement exploitées ?
Ce n’est pas un point final. La classification opérée par le père Stern est solide : archives à la Maison générale des Missionnaires de La Salette (Rome), au sanctuaire, aux archives diocésaines, mais aussi à la Bibliothèque municipale de Grenoble et aux Archives départementales. Il reste sans doute des pièces à explorer, notamment au diocèse. Et, surtout, l’interprétation du message demande encore du travail : La Salette est trop souvent lue de manière sombre alors que son axe profond est autre.
Dans votre préface, vous mettez en avant trois critères de discernement qui établissent l’authenticité et la vérité du message. Pouvez-vous les énoncer rapidement ? Le premier : la présence et l’engagement de l’évêque de Grenoble.
Le père Stern fait un lien original avec les mandements de Mgr Philibert de Bruillard. Celui du carême 1846 développe l’homme image de Dieu. Lire La Salette dans ce cadre offert par le pasteur éclaire le message : appel à la conversion pour restaurer l’image divine, et non culture de la peur. Dieu parle à travers les médiations de l’Église.
L’évêque ne pouvait prévoir l’apparition. Ce mandement l’a-t-il néanmoins aidé à mettre en place un processus rigoureux d’analyse ?
Nous ne savons pas s’il a fait lui-même ce lien. En revanche, nous, aujourd’hui, pouvons interpréter La Salette dans la continuité de cet enseignement diocésain. C’est l’invitation de Stern.
Deuxième critère : la position du pape Pie IX. En quoi l’étude menée par le père Stern aide-t-elle à comprendre la réception ecclésiale de l’apparition ? On dit même que La Salette a fait “jurisprudence”.
Sans généraliser à toutes les apparitions, Stern montre l’importance du discernement de Pie IX : soutien à l’évêque, et recul sur la question des “secrets”. Les pressions exercées sur Maximin et Mélanie relèvent d’un abus du for interne ; Pie IX reçoit leurs lettres mais note qu’il en arrive de semblables chaque jour à Rome. Ce recul a aidé Mgr de Bruillard à reconnaître officiellement le caractère surnaturel (19 septembre 1851).
Troisième critère : le sensus fidelium, la foi du peuple.
Décisif. Les Documents authentiques montrent l’impact spirituel chez les premiers pèlerins, relaté par le curé de Corps et l’abbé Perrin. La source joue ici un rôle majeur : tarie, située près du lieu de l’apparition, elle se remet à couler ; beaucoup témoignent de grâces et de guérisons liées à cette eau. Cette expérience du peuple a fortement compté dans le discernement de l’évêque.
Pour conclure et donner envie de lire l’ouvrage : on a beaucoup parlé des larmes de la “Belle Dame”. Vous insistez sur la source. Est-ce plus parlant théologiquement ?
Maximin ne dit pas avoir vu des larmes ; Mélanie, oui. Mais, dans les sources, l’eau occupe une place bien plus centrale que les larmes, ce qui est aujourd’hui souvent inversé. L’abbé Perrin écrit en substance que l’eau de la source trouve son origine dans les larmes de Marie : belle continuité entre compassion et grâce offerte. Et l’eau coule toujours au sanctuaire.
Une invitation à retourner à La Salette : le sanctuaire est ouvert toute l’année… Merci, Emmanuel Decaux. Je rappelle que vous signez la préface du livre posthume du père Jean Stern, L’apparition à La Salette de la Mère du Sauveur. Son message discerné en Église, publié chez L’Harmattan. Merci.
Cet article est la reprise de l'interview, retravaillée avec l'aide de logiciels d'intelligence artificielle.


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