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La médiation judiciaire éclairée par la Bible

La médiation judiciaire éclairée par la Bible

Un article rédigé par Madeleine Vatel, avec OR - RCF, le 12 novembre 2025 - Modifié le 17 novembre 2025
La Bible nous parleAutre regard : l'Ancien testament lu par une magistrate, médiatrice judiciaire

La Bible peut-elle aider la Justice ? Il y a trente ans, en février 1995, une loi a été promulguée qui a encouragé la médiation judiciaire. Importance accordée à la parole, rapport au passé, réconciliation... Et si ce qui se joue en médiation trouvait des échos et même des clés de compréhension dans la Bible ?

Magistrate honoraire et ancienne médiatrice, Béatrice Blohorn-Brenneur fait un lien entre la médiation pratiquée en juridiction et une lecture psychologique de la Bible. ©Albin Bonnard / Hans LucasMagistrate honoraire et ancienne médiatrice, Béatrice Blohorn-Brenneur fait un lien entre la médiation pratiquée en juridiction et une lecture psychologique de la Bible. ©Albin Bonnard / Hans Lucas

En 2025, la loi qui a encouragé la médiation judiciaire en France fête ses 30 ans. Béatrice Blohorn-Brenneur en est une pionnière en France. Magistrate honoraire, elle a notamment fondé le Gemme (Groupe européen de magistrats pour la médiation). "Je suis entrée dans la magistrature, raconte-elle, et ce qui m’a frappée c’est qu’on fait beaucoup de mécontents. Même ceux qui ont gagné leur procès parfois ils sont encore mécontents, ils font appel."

La médiation permet donc de "redonner la parole aux parties". Il s’agit d’une résolution de conflits à l’amiable, en dehors du tribunal en présence d’un médiateur formé aux techniques de communication et désigné par le juge. "Quand on peut mettre des mots sur des maux, un grand pas est fait. On apprend à se connaître et on sait pourquoi on se met en colère… Les émotions - la joie, la colère, la tristesse - sont révélatrices d’un besoin en moi qui n’est pas satisfait. Le médiateur va aider à faire jaillir ces besoins."

Une approche psychanalytique de la Bible

Quel lien entre la médiation et la Bible ? Dans son livre "Va et deviens qui tu es ! De la Bible à la médiation, un cheminement entre conscient et inconscient" (éd. L’Harmattan, 2024), Béatrice Blohorn-Brenneur fait un lien entre la médiation telle qu’elle l'a pratiquée en juridiction et une lecture bien spécifique de la Bible.

Elle s’inspire notamment des approches psychologiques et psychanalytiques des Écritures, à la suite d’Annick de Souzenelle (1922-2024), auteure de nombreux ouvrages de spiritualité formée à la psychothérapie. "La Bible je la comprends, surtout l’Ancien Testament, comme un cheminement personnel intérieur." Ainsi, on peut considérer à sa suite qu’Abraham "va à la rencontre de son inconscient, de son moi divin enfoui en lui".

Depuis les années 70 l'interprétation psychanalytique de la Bible a pris de l'ampleur. Le concile Vatican II, avec notamment la constitution "Dei Verbum", avait incité les catholiques à s’emparer des textes, en particulier de l’Ancien Testament. Il faut l’inscrire dans la longue histoire de l’interprétation des textes bibliques en contexte catholique. On retiendra le tournant important que représente l’encyclique "Divino afflante Spiritu" (1943) du pape Pie XII, qui a encouragé l’exégèse à l’appui des disciplines historiques.

Les approches psychologiques ou psychanalytiques de la Bible sont admises par les instances vaticanes. Elles "enrichissent l'exégèse biblique, car elles permettent de mieux comprendre les textes de la Bible comme autant d'expériences de vie et de règles de conduite, selon la commission biblique pontificale en 1993. La religion, comme chacun sait, est toujours en conflit avec l'inconscient." Un cadre est toutefois donné : "La psychologie et la psychanalyse, utiles pour éclairer l'étendue de la responsabilité humaine, ne doivent pas nier la réalité du péché et du salut."

La lecture de la Bible peut-elle révéler au lecteur quelque chose de son inconscient ? C’est en tout cas l’avis de Béatrice Blohorn-Brenneur, pour qui "tout cheminement intérieur doit se faire avec Dieu".

 

L’histoire de Caïn et Abel, où manque la parole

Le chapitre 4 de la Genèse raconte le fratricide sans doute le plus célèbre de l’histoire. L’histoire de Caïn, le laboureur, qui tue son frère pasteur de brebis. La tension entre les deux frères naît d’une offrande à Dieu qu’ils font l’un et l’autre.

"L’offrande de Caïn n’a pas été regardée par Dieu, commente Béatrice Blohorn-Brenneur, et donc il ne s’est pas senti exister parce l’offrande de son travail, c’est le prolongement de la personne. Donc il n’existe pas, c’est comme ça qu’il le vit. Il est coupé de Dieu, il n’est pas raccroché et il n’a pas ce lien avec le Seigneur et avec son enfant divin au fond de lui."

L’histoire de Caïn et Abel nous parle d’une relation où "il n’y a aucun dialogue. Aucun mot n’est échangé. Or, la parole est libératrice permet de se ré humaniser. Au commencement était le Verbe : il faut commencer par dialoguer."

La femme de Loth ou l’incapacité de se libérer du passé

Au chapitre 19 de la Genèse, la femme de Loth, un des neveux d’Abraham, se trouve punie pour avoir désobéi aux anges. Elle devient alors une colonne de sel. "Quand on suit une idée fixe, on n’avance pas, analyse Béatrice Blohorn-Brenneur. Et donc il faut pour avancer faire confiance au Seigneur et aller vers le Seigneur. Et pas regarder en arrière sur les biens qu’on va laisser."

Cette difficulté que l’on peut avoir à tourner la page comme on dit, c’est quelque chose que Béatrice Blohorn-Brenneur a souvent pu observer en médiation. "On se sert du passé comme tremplin vers l’avenir mais le passé ne doit pas être une entrave pour se tourner vers l’avenir, et l’avenir c’est Dieu."

Un jour, la magistrate a rencontré un homme qui vivait sous les ponts. Il était pourtant ingénieur avec une très belle situation. Mais il refusait de verser une pension à son ex-femme et avait donc pour cela organisé sa pauvreté. Il était "complètement enfermé" dans son passé, pour Béatrice Blohorn-Brenneur. Selon elle, la médiation aurait sans doute permis à son ex-femme de voir "sa détresse et le mari aurait compris qu’on peut rebâtir une relation dans l’avenir sans être une relation de conjoint".

Job, à la rencontre de son "enfant divin"

Job est un des personnages les plus célèbres de la bible. C’est la figure de l’homme qui a tout pour être heureux, il a une bonne réputation, une famille nombreuse, des biens… Et puis il lui arrive catastrophe sur catarrhe. Persona en latin signifie "le masque", rappelle Béatrice Blohorn-Brenneur. "Job n’est pas devenu ce qu’il est, il n’est pas dans l’être, il est dans l’avoir." Le dépouillement matériel qu’il subit le conduit à un cheminement intérieur. "Il va pouvoir avancer avec Dieu. C’est ce cheminement qui fait qu’il est béni est fin de parcours."

La médiation est-elle de ces étapes qui nous rendent plus sincères, avec soi et peut-être avec Dieu ? L’histoire de Job nous invite à croire que l’enjeu en médiation comme dans bien des étapes de la vie est de "trouver son enfant divin". L’enfant divin, explique Béatrice Blohorn-Brenneur, c’est "votre inconscient, votre moi intérieur. Ce que Carl Gustav Jung nomme l’individuation. L’individu ne devient lui-même que quand il a réconcilié le conscient et l’inconscient."

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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