La crise de l'Église catholique : "une crise de pouvoir interne", selon la sociologue Danièle Hervieu-Léger
Le rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l'Église et la pandémie sont deux phénomènes qui ont révélé la crise que traverse aujourd'hui l'Église catholique. Si l'institution ecclésiale, vieille de 2000 ans, a connu bien des périodes difficiles, la crise actuelle a quelque chose d'unique : ses raisons internes. Pour la sociologue des religions, Danièle Hervieu-Léger, il s'agit d'une crise de pouvoir interne, ce qui la rend d'autant plus redoutable.
Une crise d'autant plus redoutable que ses causes sont internes à l'institution ecclésiale
Des crises, il est peu de dire que l’Église catholique en a connues ! Mais justement la crise actuelle n’est pas comme les autres. Pour les observateurs elle n’est comparable qu’à celle vécue au XVIe siècle et qui a donné naissance au mouvement de la Réforme. "La Réforme, pour partie, est liée à la crise du système de pouvoir ecclésial, selon Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions et directrice d’études à l’EHESS, et aujourd’hui c’est également le cas, c’est la question de l’organisation du pouvoir qui est au cœur de la crise."
Les raisons de cette crise sont multiples mais ce qui fait la particularité, ce sont ses raisons internes. Cette crise "est liée à un processus de dérèglement interne d’une énorme gravité". Avec le sociologue et ancien jésuite Jean-Louis Schlegel, Danièle Hervieu-Léger vient de publier "Vers l'implosion ? Entretiens sur le présent et l'avenir du catholicisme" (éd. Seuil). Pour les spécialistes, l’Église catholique est "malade du système romain" et "pas seulement malade de la sécularisation ou des évolutions du monde". "Les facteurs de délabrement sont internes, c’est ce qui rend cette crise redoutable pour l’institution catholique."
La crise des abus et la pandémie : deux phénomènes révélateurs de la crise
Il y a d’abord la crise des abus sexuels qui a "manifesté l’ampleur de ce délitement interne". Publié en octobre 2021, le rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église n’a fait que précipiter un déclin déjà bien engagé. "La crise des abus, c’est le point ultime d’une crise interne du pouvoir religieux, puisque derrière les abus sexuels, il y a des abus de pouvoir, qui sont aussi des abus spirituels. C’est toute l’armature interne du pouvoir religieux qui est fragilisée", explique Danièle Hervieu-Léger.
Autre phénomène, la pandémie de Covid, qui a été "un révélateur de choses déjà présentes". Non seulement les restrictions sanitaires ont suspendu "les conditions ordinaires de la vie sociale catholique". Mais dans de nombreuses paroisses, elles ont créé des dissensions entre fidèles au sujet des églises fermées, des messes auxquelles on ne pouvait plus assister, ou de l’hostie, lors de la communion, qui pouvait ou ne pouvait plus être reçue à la main… On a vu "comme sous une loupe, l’éclatement du catholicisme, la variété et l’incompatibilité entre elles des réactions des catholiques".
Vatican II a laissé absolument entier un mode d’organisation vertical, hiérarchique, un dispositif de pouvoir entièrement indexé sur la figure du prêtre mâle célibataire qui détient l’ensemble des moyens de gestion des biens de salut
Aux origines de la crise, un rejet de la modernité
Il faut remonter au XIXe siècle pour mesurer "la trajectoire de cette crise", selon Danièle Hervieu-Léger. Au moment où l’Église s’est enfermée "dans un refus intransigeant de tous les grands traits du monde moderne". La sociologue rappelle qu’en 1864, le pape a condamné "comme des erreurs sataniques et sur lesquelles l’Église ne transigera jamais, la liberté de conscience et la démocratie". Pourtant Vatican II a bien été "une réorientation majeure", admet Danièle Hervieu-Léger, pour qui le concile a permis à l’Église de mesurer "la nécessité de sortie de ce refus intransigeant de la modernité".
Cependant, Vatican II "a laissé absolument entier un mode d’organisation vertical, hiérarchique, un dispositif de pouvoir entièrement indexé sur la figure du prêtre mâle célibataire qui détient l’ensemble des moyens de gestion des biens de salut". Si le concile a admis des notions comme la liberté religieuse, qui selon la sociologue, lui a valu, bien plus que la question liturgique, le schisme de Mgr Lefebvre en 1988, la conception du pouvoir n’a pas été remise en cause. "Le concile a préservé une contradiction majeure : d’un côté un regard bienveillant sur les valeurs positives du monde moderne et en même temps un dispositif de pouvoir strictement vertical, hiérarchique et mâle qui, désormais, ne peut plus fonctionner."
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