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La Bible est-elle une bonne source historique ?

La Bible est-elle une bonne source historique ?

Un article rédigé par Sophie Robert - le 26 mai 2025 - Modifié le 26 mai 2025
Entre midi, entre lorrainsNouveaux dispositifs pour les seniors, La methode historico-critique

Toutes les deux semaines, Sophie Robert, chercheuse en théologie à l'Université de Lorraine, rejoint RCF Jerico Moselle dans l'émission Entre midi, entre Lorrains.

 

Ce lundi 26 mai, elle nous parle de la méthode historico-critique et l’idéologie de la Bible

Retrouvez sa chronique retranscrite juste ici.

© Canva© Canva

Il y a eu au cours du siècle dernier beaucoup de débat quant à la datation possible des évènements relatés par le texte biblique : alors qu’avant le 18 e siècle la Bible, du moins dans ses livres historiques, était considérée comme une source historique fiable, les sciences bibliques font de moins en moins confiance aux réalités historiques de ces écrits narratifs.

 

Qu’est-ce qui cause cette méfiance du texte biblique vis à vis de son rapport aux faits historiques ?


C’est l’application presque systématique de la méthode historico-critique, qui vise à analyser le texte en le replaçant dans son contexte historique, culturel et littéraire d’origine. L’un des résultats possibles de cette analyse est la proposition d’une datation. Et l’application systématique de ces méthodes a réussi à montrer que le texte biblique est bien plus jeune que les faits qu’il raconte, parfois séparé par des centaines d’années et des centaines de kilomètre, ce qui l’invalide comme source historique au sens moderne du terme. 

Cependant, cela ne disqualifie pas la Bible en elle-même comme objet de recherche : on ne la traite pas comme une source historique, mais plutôt, comme un reflet de comment le Royaume d’Israël a du rédiger ces textes pour répondre à des besoins politiques ou idéologiques. 

Finalement, on ne peut pas tant savoir "Qu’est-ce qu’il s’est passé ?" mais plutôt "Comment ont été mobilisé des échos du passé afin de répondre à un besoin social et politique ?".


Mais finalement, c’est quelque chose qui advient aussi dans l’époque moderne ?  


Oui, tout a fait, on retrouve exactement le même phénomène sous Napoléon III avec la figure de Vercingétorix. Avant les tensions avec les Prusses à la fin du XIX e siècle, la construction mentale de l’identité française s’articulait davantage autour de la figure de Charlemagne : les français étaient les descendants des francs, peuple impérial. Mais voilà qu’arrive la guerre avec la Prusse, et si on regarde Charlemagne et Aix-La-Chapelle... et bien l’on se rend compte que celui-ci est plus Allemand que Français. Il faut donc changer de narration historique pour ne pas que les soldats aient l’impression de commettre une guerre fratricide avec les Allemands : alors on mobilise le thème du gaulois, et les français deviennent de fier descendants de Vercingétorix. 

On voit alors des statuts se multiplier partout en France, et notamment celle qui est très connue sur la place de Jaude à Clermont-Ferrand, que Viollet Le Duc érige en 1865. On voit ainsi comment l’histoire est manipulée au service d’une idéologie politique des milliers d’années avec les faits : on ne peut pas dire que Vercingétorix n’ait pas existé, mais son histoire est présentée d’une certaine lumière pour faire de lui un résistant nationaliste français. 

C’est exactement ce que fait le texte biblique avec les faits qu’elle relate : elle reprend des réalités historiques, mais elle les transforme pour être au service d’une idéologie et d’une ligne politique. C’est le cas de tout récit national et de toute construction identitaire d’un peuple.


Est-ce que vous avez des exemples ?


Oui, il y en a plein !
Un exemple que je trouve particulièrement intéressant est celui de la figure d’Abraham, un des patriarches majeurs du texte biblique. Abraham a la particularité d’être un babylonien, à qui Dieu dit de partir, pour aller sur la terre d’Israël. 

Si on lit l’histoire en dehors de son contexte socio-politique, on a simplement l’impression qu’il s’agit d’une histoire qui relate les aventures d’un patriarche et de sa femme, vu que l’histoire se déroule de manière narrative bien avant l’Exode et une quelconque organisation politique du Royaume d’Israël. Ca c’est donc un peu la manière innocente donc le narrateur aimerait que vous approchiez le texte.

Sauf qu’on peut se demander quand est-ce qu’il aurait été nécessaire pour la classe dirigeante d’Israël de légitimer le fait qu’un patriarche vienne depuis Babylone pour s'établir autour d’Israël ? Et bien ça, c’est au retour de la période d’Exil. 

Vous avez en -597-538 la déportation des classes dirigeantes en Babylonie suite a des défaites successives face aux babyloniens. En -538, cette élite a le droit de retourner au pays... sauf qu’en 60 ans, le pays s’est re-organisé pour se former une autre classe dirigeante et n’a pas envie de réintégrer ceux qui sont considérés comme des étrangers babyloniens. Et alors là, on peut imaginer que cette élite a remodelé l’histoire d’Abraham pour qu’elle puisse répondre à une nécessité politique : pas l’inventer, car il s’agit probablement de récits très anciens qui ont circulé de manière libre au cours des siècles, mais la fixer pour qu’elle réponde à un besoin politique ; la classe dirigeante de retour d’Israël utilise Abraham pour montrer que finalement, elles font comme Abraham, le plus grand des patriarches, et elles sont donc légitimes pour régner ! 

Bien sûr, comme pour tout en science, cette affirmation fait débat et n’est que l’explication qui me paraît la plus plausible face à d’autres explications pour la génèse du récit d’Abraham.


Et de là on peut proposer une datation ?


Oui tout à fait. Il est difficile lorsqu’on parle de textes aussi anciens de parler de date. On préfère les termes "terminus post quem" et "terminus ante quem". Le terminus post-quem c’est la date minimale à laquelle on peut dater un texte, souvent parce qu’il connaît des évènements historiques qui devraient lui être postérieurs : par exemple, en 2 Rois 19, 37, le texte biblique qui est sensé relater des évènements en 701, connaît très précisément la mort du roi assyrien Sénachérib assassiné par une conspiration familiale. Cette mort a lieu en -681, et on date donc le texte, du moins dans sa forme finale, comme étant postérieure -681, qui peut être considéré comme le terminus post quem. 

Pour Abraham, c’est plus délicat, car ce que je vous ai expliqué est plus subtil et ne réfère pas directement a des faits datables dont on pourrait avoir des traces tangibles : mais si jamais on est d’accord avec moi de voir dans ce personnage d’Abraham un personnage qui est sensé appuyer la légitimité du retour d’exil, on peut dater ces épisodes d’après 538. 

 

Les méthodes historico-critiques ont donc donne un énorme coup de jeune aux datations classiques du texte biblique, qui voyaient dans les récits des patriarches des récits très anciens, parfois écrits en 1000 avant notre ère.

 

Entre midi, entre Lorrains
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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