« Faire passer quelque chose de sa Parole dans notre monde » : la prière sur RCF, au cœur d'une radio chrétienne
Chaque matin, le commentaire de l'Évangile du jour est le rendez-vous préféré de nos auditeurs. De loin le programme le plus réécouté en podcast sur rcf.fr, la Prière du matin constitue la colonne vertébrale d'une radio chrétienne comme RCF. À l'occasion de notre semaine nationale annuelle d'appel au don, deux voix de cette émission phare, un prêtre et une pasteure, témoignent de l'importance de la prière sur ce média.
La pasteure Nicole Fabre (à droite) et le prêtre Nicolas de Boccard (au premier plan) - © RCF LyonDans la matinale RCF et sur rcf.fr, la Prière du matin est un des rendez-vous phares de notre radio. Parmi les commentateurs de l'Évangile sur notre antenne, un prêtre et une pasteure : Nicolas de Boccard, official de la province ecclésiastique comprenant le diocèse de Lyon, donc chargé des questions juridiques, et Nicole Fabre, bibliste et pasteure de l'Église protestante réformée.
RCF Lyon (Anaïs Sorce) : Nicolas de Boccard, vous avez arrêté la Prière du matin cette année, après plus de dix ans de bons et loyaux services à lui prêter votre voix. D'ailleurs, Nicole Fabre, participer à ce rendez-vous d'antenne sur une radio chrétienne, est-ce simplement prêter sa voix à une lecture, ou est-ce que ça va un peu plus loin ?
Nicole Fabre : Je pense que ça va plus loin que ça, parce qu'il y a quelque chose du partage de ce qui fait le cœur même de notre vie personnelle, et du cœur de ce qui fait la vie de l'Église, de nos Églises.
Nicolas de Boccard : Moi, je le compare un peu à une homélie, à une prédication ou un prêche dans un temple. C'est un travail d'enfantement, ce n'est pas uniquement de lire quelque chose. C'est le porter, l'apporter, l'enfanter. Donc, c'est un travail beaucoup plus complexe que de lire quelque chose.
RCF Lyon : Participer à la Prière du matin à la radio, est-ce la même chose pour vous que d'écrire une prière pour l'église, pour une communauté ? La construisez-vous de la même manière ?
NF : Pas vraiment, parce que d'abord, j'écoute aussi : donc, je suis au bénéfice des prières des uns et des autres.
Et du coup, c'est profondément me laisser interpeller par la Parole, partager le fruit de ma prière. C'est vrai que je le fais aussi, mais d'une manière beaucoup plus universelle, beaucoup plus large, beaucoup plus anonyme, quelque part. Ça peut paraître curieux. Mais à la radio, j'ai presque l'impression d'entrer dans une relation de personne à personne.

Mettre la Parole « en résonance avec ce que peuvent vivre les gens »
RCF Lyon : C'est une prière presque plus intime, presque plus personnel, pour vous ?
Oui. J'ai eu l'expérience à cause du covid : j'étais aumônier d'hôpital, et au tout début on ne pouvait pas aller à l'hôpital. On ne pouvait rejoindre les gens que par téléphone, y compris des gens désorientés. Donc, ce n'était pas évident. Et je me suis rendu compte que la voix dans l'oreille, il y a quelque chose de très, très intime.
RCF Lyon : Vous êtes d'accord avec ça, Nicolas de Boccard, ce côté intime ?
NdB : Moi, je dirais qu'écrire une prière, c'est un travail de théologien. En écrivant une prière, on [ne veut pas] se faire remonter les bretelles parce que ce qu'on dit n'est pas tout à fait juste : donc, on fait attention à ce qu'on écrit, ce qu'on raconte. Mais aider les gens à entrer dans la prière, ça demande soi-même d'être traversé par ce qu'on a à partager.
Donc, c'est un travail d'enfantement, ça demande de prendre du temps dans la prière. Cette Parole qui touche les cœurs, ce n'est pas nous. C'est l'Esprit Saint, à travers la Parole, qui vient d'ailleurs, qui ne vient pas de nous : [l'idée est donc de] respecter cette Parole, la comprendre, la faire sienne, se laisser traverser par elle et puis la mettre en résonance avec ce qu'on peut vivre ou ce que peuvent vivre les gens.
À ce moment-là, si cette Parole nous paraît porteuse de sens, on peut la transmettre, on peut la partager. Mais si elle reste obscure, si elle reste extérieure à soi, on n'aide pas les gens à entrer dans la prière, parce que soi-même, on n'y est pas. Et donc, pour expliquer un petit peu cette difficulté, on ne lit pas un texte avec des nouvelles, mais on essaie soi-même de témoigner de quelque chose qui est essentiel pour nous, et qui est essentiel dans la mesure où on l'a compris. On a reçu quelque chose de cette Parole, elle nous parle et on a envie de la partager avec d'autres, tout simplement. Ça paraît simple, mais ça ne l'est pas tant !
La challenge du format court : parler d'un Évangile en 2 minutes, « c'est carrément terrifiant »
RCF Lyon : Conduire des chrétiens dans la prière, quand on est en paroisse, quand on est en communauté, c'est aussi tout un processus, et c'est d'ailleurs tout l'objectif des messes ou des cultes. Vous êtes tributaires à la radio de ce que les auditeurs sont en train de faire, ont entendu ou pas, ont compris ou pas. Ce n'est pas tout à fait la même ambiance, ce n'est pas le même exercice pour vous ?
NF : Non, c'est pour cela que pour moi, il y a quelque chose de beaucoup plus intime. Effectivement, on ne sait pas comment sont les gens quand ils écoutent, mais n'empêche que bien souvent, on arrive dans un espace intime, que ce soit la voiture, les trajets, la cuisine, l'appartement. Et cette intimité-là change quand même beaucoup de choses. Peut-être parce que j'ai été aumônier, je me sens plus dans une posture d'aumônier, où on partage avec quelqu'un, où on essaye de partager avec quelqu'un. Parce qu'on pense que la personne qui écoute a aussi une relation à Dieu, qu'elle le reconnaisse ou qu'elle ne le reconnaisse pas.
RCF Lyon : C'est aussi toute la force de RCF de parler aussi à des gens qui ne sont pas forcément chrétiens.
NF : Absolument, on ne sait pas à qui on s'adresse, mais ce n'est pas un pari, je le crois, que Dieu est intimement présent au cœur de notre monde, et que c'est lui qu'on rejoint ensemble.
NdB : Sans doute aussi, les gens qui écoutent la Prière du matin, il y a une appétence chez eux, il y a un désir. Et ce désir, il vient déjà de Dieu, de s'ouvrir à une autre réalité que celle que l'on voit tous les jours. Donc, c'est déjà Dieu qui a préparé le cœur, même s'ils ne le savent pas encore.
Quand même, ce challenge, celui de parler d'un Évangile en une minute et demie ou deux minutes, c'est carrément terrifiant ! Parce que quand on fait une prédication, ça dure quand même un certain temps.
Le pape François disait, pour une homélie d'un prêtre catholique, 7 ou 8 minutes. Je sais que les prêches [protestants], parfois, c'est un peu plus long, mais on a au moins le temps de mettre les gens en situation, avant d'aller au cœur. Deux minutes, c'est vraiment dur. Autrefois, il y avait un peu plus de temps, je le regrette. Cette prière, il faut le temps de s'y mettre, de rentrer dedans.
La joie de « redonner à l'auditeur » une Parole qui appartient à tout le monde
RCF Lyon : La radio a souvent besoin de renouveler ses contenus, tant sur la forme que sur le fond, pour conserver ses auditeurs. Mais ce format de la Prière du matin est un format qui reste, c'est un format qui plaît.
Est-ce que la prière doit et peut aussi se renouveler sur l'antenne ?
NdB : Je pense que oui, parce que cette Parole est certes immuable, mais la manière dont nous avons de la recevoir, de la vivre, par rapport à l'écoulement de nos vies, ce que nous vivons à l'instant où nous reprenons cette Parole, elle résonne de manière différente. Elle nous invite à dire d'autres choses, à approfondir certains points. La Prière du matin, ce n'est pas un cours d'exégèse, ce n'est pas une conférence. C'est un dialogue. Et ce dialogue, on aimerait que ceux à qui il est transmis puissent y participer, puissent y rentrer. Et que cette Parole, à leur tour, résonne en eux et leur dise quelque chose pour cet aujourd'hui auquel ils sont conviés.
NF : Cette parole, ce n'est pas qu'un texte. Jean (l'Évangéliste) dit que « la Parole s'est faite chair ». Donc, on est face à quelqu'un qui est vivant, nous le croyons. C'est pour ça que c'est un compagnonnage qui se renouvelle tous les jours.
Moi, je suis impressionnée : au-delà des quelques textes sur lesquels je sèche un peu, en général, rien que le fait de reprendre un texte, je suis surprise en me disant, « tiens, je ne pensais pas qu'il était exprimé de cette manière-là », et je le redécouvre à chaque fois. Avec tout le contexte, effectivement, de ce que vit le monde, de là où on en est soi-même aussi.
RCF Lyon : La Prière du matin a cette force d'unir catholiques, protestants et orthodoxes dans cet exercice spirituel commun à tous, qui est celui de la prière. Malgré tout, on sait que chaque dénomination chrétienne a sa façon de prier, ses habitudes, ses rituels. Comment est-ce qu'on unit toutes les dénominations chrétiennes dans cet exercice de la prière ?
NdB : Ce qui nous relie, justement, c'est cette Parole, parce que c'est le cœur de notre foi, c'est là où Dieu nous parle. On ne peut pas être chrétien si on n'a pas cette appétence ou ce désir de connaître, d'approfondir, d'aimer cette Parole et de se laisser interpeller par elle. Donc, c'est essentiel à la vie de tout chrétien, quelle que soit sa confession. Ça, c'est très secondaire.

NF : Je dirais aussi que cette Parole, elle est venue dans le monde, le Christ, en tant que parole vivante, est venu dans le monde. Ça veut dire que c'est une parole qui ne nous appartient pas. Elle est là pour tous. Et Dieu sait (c'est le cas de le dire !) que dans les Évangiles, on voit souvent Jésus avec des personnes qui ne sont pas à la synagogue. Ça lui est souvent reproché. C'est vrai que pour moi, fondamentalement, cette Parole, elle ne m'appartient pas, elle n'appartient pas à mon Église. On en vit, dans nos Églises, mais c'est une Parole qui appartient à tout un chacun. Et c'est justement la joie de ces commentaires, c'est de redonner à l'auditeur lambda qu'on ne connaît pas une Parole qui lui appartient fondamentalement.
« Il n'y a pas de sujet tabou » : une Parole qui traverse toute l'humanité
RCF Lyon : Ressentez-vous des différences de sensibilité par rapport à d'autres pasteurs ou d'autres prêtres qui la font ?
NF : Je dirais que oui, mais ça ne dépend pas des confessions !
NdB : On peut reprendre une idée, être touché par quelque chose. Mais ce dont je me suis aperçu, c'est quand on est très emballé par un commentaire, par quelqu'un, si on essaie de le reproduire, on passe à côté. Il faut s'approprier cette Parole. Il faut qu'elle nous traverse, il faut qu'elle dise quelque chose qui montre qu'on l'a saisie d'une certaine manière. Sinon, on fait du plagiat, mais ça ne porte pas de fruits. Moi aussi, je ne dirais pas que je pique aux autres, mais je lis des commentaires.
J'essaye de toujours revenir à des commentaires, justement, de biblistes, d'exégètes qui ont décortiqué cette Parole pour nous en donner un peu la substance. Donc ça, c'est un travail nécessaire, à mon avis, mais pas suffisant. Mais il faut le faire.
Et puis aussi lire d'autres qui ont fait, qui ont prêché ou qui ont été inspirés par cette Parole. Ça peut nous inspirer. Il y a des grands auteurs, évidemment, Saint-Augustin, Saint-François de Sales, Maurice Zundel, Charles Wagner, qui sont des sources inépuisables. Chacun a ses sources, mais ce n'est pas du copier-coller.
RCF Lyon : Aujourd'hui, peut-on prier pour tout à l'antenne d'une radio ? Pour tous les sujets ? Est-ce que vous, vous avez la liberté de vous dire, « j'ai envie de prier pour une situation internationale, pour une situation en France » ?
NF : Oui, je pense. Nous, on ne prie pas directement, puisqu'on commente le texte. Mais c'est vrai qu'on peut aborder, effectivement, dans la manière dont le texte nous touche aujourd'hui, tous les sujets que vit le monde. Cette Parole, elle vient impacter, effectivement, tout.
NdB : On essaie d'être le reflet de celui qui est la source de cette Parole, qui est le Verbe incarné. Donc, tout dire, ça veut dire quoi ? Tout dire du Christ. On ne dira jamais tout du Christ. On essaie de faire passer quelque chose de sa Parole dans notre monde d'aujourd'hui. C'est ça, notre mission. Donc, « tout dire », dans quel sens ? On ne dira jamais tout du Christ. Il n'y a pas de sujet tabou, en tout cas, parce que c'est le propre de l'incarnation. Il est venu épouser toute la réalité de la pâte humaine avec sa complexité. Donc, cette Parole, elle traverse toute l'humanité, quelles que soient d'ailleurs les confessions, quelles que soient les cultures, quelles que soient les races. Elle est là pour nous. On n'est pas propriétaire. On essaie simplement de la transmettre.
La prière à la radio, un patient travail qui s'inscrit dans le temps long
RCF Lyon : À la radio, les formats ont tendance à s'accélérer, à se raccourcir. On doit donc aussi accompagner l'auditeur dans cette course à la vitesse. Quelle place la prière, la prière qui prend sont temps, peut-elle avoir sur une radio chrétienne ? En quoi est-ce important de conserver un temps pour la prière sur une radio chrétienne comme RCF ?
NF : Pour moi, c'est essentiel. Et ce temps, je me rends compte que je le prends aussi dans la préparation. C'est-à-dire que j'écris un premier jet, et puis je laisse, et je reprends une deuxième fois. Je crois que c'est important de prendre le temps, de laisser travailler une parole.
Quand l'archevêque de Marseille Jean-Marc Aveline a succédé à Mgr Georges Pontier, ce dernier lui a dit, « Sache que plus on t'en demandera, plus il faudra que tu pries ». Et je me rends compte, vraiment, ça m'arrive maintenant de manière beaucoup plus consciente, que quand je suis un peu oppressée par des choses qu'il faut faire, et qui prendront du temps, je me dis « commence par prier ».
NdB : C'est le cœur de la vie chrétienne. C'est vraiment là où on rejoint ce qui est l'essentiel pour nous. Et la chance, justement, de la radio, c'est de pouvoir permettre de vivre ces temps-là. Le support visuel n'aide pas à la prière. Je suis désolé, mais les films sur Jésus ou sur la vie de grandes figures d'Église, quelles qu'elles soit, c'est toujours un peu décevant, parce qu'on est spectateur. À la radio, on nous aide à rentrer dans quelque chose : la prière, c'est un travail long. Et notamment, effectivement, dans ce travail des prières du matin, on y rentre progressivement.
Alors, ce n'est pas facile, parce que les gens écoutent une fois, et puis ils passent à autre chose, se lavent les dents et prennent leur petit déjeuner. Et pourtant, pour nous, pour aider, il nous faut le temps de cet enfantement, donc avoir quelques idées, la relire, la mettre de côté. Il faut s'y prendre longtemps à l'avance. Ça ne peut pas être fait la veille.


Chaque jour de la semaine à 12h, Anaïs Sorce reçoit celles et ceux qui font bouger la région lyonnaise, le Roannais et le Nord-Isère, en rendant notre quotidien meilleur.
