Entretien avec Mgr Martin Kmetec, archevêque d'Izmir invité au Puy-en-Velay
Né en ex yougloslavie avant de vivre au Liban, Mgr Martin Kmetec vit aujourd'hui dans un pays où le dialogue interreligieux est un défi quotidien. A l'occasion de sa venue au Puy-en-Velay, l'archevêque d’Izmir, témoigne de son engagement constant pour rencontrer l’autre et bâtir des ponts. Marqué depuis l’enfance par la diversité des peuples et des cultures, il défend un dialogue exigeant, enraciné dans la dignité de chacun, loin des discours superficiels.
Mgr Martin Kmetec dans la Cathédrale Notre Dame du Puy @RCF 2025Pourquoi votre parcours est-il autant marqué par l’intérêt pour le dialogue interreligieux ?
Je crois que cela vient de ma jeunesse. J’ai grandi dans un pays composé de peuples différents, l’ex-Yougoslavie. La question de nous connaître les uns les autres, d’apprendre la langue de l’autre et surtout de nous respecter se posait constamment. D’un autre côté, pendant la période communiste, nous rencontrions beaucoup de difficultés à nous exprimer. Cela a attisé mon désir de découvrir d’autres horizons et d’aller à la rencontre des autres.
Après plusieurs années comme prêtre en Slovénie, je suis parti au Liban, juste après la guerre. Là-bas, j’ai compris à quel point il était vital de se tourner vers l’autre. Ce fut une véritable école du dialogue. Depuis, que ce soit à Istanbul ou aujourd’hui à Izmir, une conviction m’accompagne : il faut faire un bout de chemin vers l’autre, le rencontrer dans son humanité et dans ce qu’il est. C’était d’ailleurs l’attitude de Jésus, celle transmise dans l’Évangile.
Comment expliquez-vous que la foi puisse germer dans des territoires où la liberté religieuse n’est pas toujours respectée ?
La foi est un don : c’est la capacité de découvrir l’œuvre de Dieu dans notre vie personnelle mais aussi, si l’on pense à l’Ancien Testament, dans l’histoire d’un peuple. Dieu se révèle à travers l’histoire et les souffrances de tout un peuple. La foi, c’est accueillir l’amour infini de Dieu.
En Turquie, du premier siècle jusqu’au début du XXᵉ siècle, nous avons des traces d’une grande fidélité au Christ, malgré les persécutions, avec de nombreux témoignages de martyrs. Cet héritage nous rappelle qu’il faut continuer à porter le message du Christ dans le monde.
Quelles sont les conditions nécessaires pour un dialogue interreligieux constructif et sincère ?
La condition fondamentale, c’est de reconnaître notre propre dignité. Le dialogue ne peut pas se limiter à quelques rencontres ponctuelles entre responsables religieux, organisées seulement lorsque l’on a besoin de quelque chose, en se contentant de dire ce que l’autre veut entendre.
Pour qu’il soit sincère, il faut s’intéresser à l’existence humaine, aux souffrances vécues par les hommes, et chercher ensemble des solutions. Certains domaines peuvent nous rassembler : l’écologie, des positions claires et communes contre la violence et la guerre. Le dialogue ne doit pas devenir politique, avec de belles paroles suivies d’actes incohérents, ni être paralysé par la peur ou un repli excessif sur notre identité.
Comment surmonter les obstacles qui entravent le dialogue ?
C’est le plus difficile… Il faut accepter nos différences, admettre que nous pensons et vivons notre foi chacun à notre manière. Il ne faut pas croire que notre façon de proclamer la foi est la seule valable, ni adopter des attitudes humiliantes envers les autres religions.
Parfois, même dans les médias, on voit des expressions irrespectueuses envers notre foi. Les autres peuvent vivre comme ils le souhaitent, mais qu’on nous laisse, nous aussi, vivre notre religion dans la paix.
Certains craignent que le dialogue interreligieux conduise au relativisme…
Je crois qu’un vrai dialogue, courageux, nous interroge et nous permet d’approfondir notre foi. Il ne s’agit pas de faire croire que nous pensons tous la même chose. Mais accepter les différences nous aide à reconnaître l’humanité de chacun.
Comment vivent les catholiques en Turquie aujourd’hui ?
C’est parfois difficile, car notre Église ne bénéficie pas d’une reconnaissance juridique officielle. Cela pose beaucoup de problèmes au quotidien.
Pour le reste, mon diocèse ressemble à beaucoup d’autres, avec des fidèles très investis et d’autres plus éloignés. Mais être catholique aujourd’hui n’est pas facile, et cela peut causer humiliations ou discriminations, selon le milieu social où l’on vit.
Qu’attendez-vous du jumelage avec le diocèse du Puy et le sanctuaire Notre-Dame du Puy ?
J’espère pouvoir accueillir bientôt Mgr Yves Baumgarten à Izmir. En 2031, nous célébrerons les 1700 ans du concile d’Éphèse et nous aimerions recevoir, à cette occasion, une délégation du diocèse du Puy.
Quel message souhaitez-vous adresser aux fidèles et pèlerins du Puy-en-Velay ?
J’aime rappeler les paroles du pape François : « Pèlerins d’espérance ». Tout pèlerin porte en lui cette espérance, qui se réalise dans la mission et dans la glorification de la Vierge Marie. Je souhaite à chacun de sentir la force de l’intercession de la Vierge, car nous portons tous dans notre cœur des besoins, des prières, des difficultés et la fragilité de la vie.

