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Edith Stein, "juive, philosophe, carmélite"

Edith Stein, "juive, philosophe, carmélite"

Un article rédigé par Odile Riffaud - RCF, le 1 août 2025 - Modifié le 18 août 2025

Edith Stein, ou sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, est fêtée le 9 août. Elle est la première femme convertie du judaïsme que l'Église catholique a canonisée. Cela ne s'est pas fait sans soulever une importante polémique. La question de savoir si la carmélite est morte à Auschwitz en martyre de la foi chrétienne ou en tant que juive a fait l’objet de tensions. Son histoire et celle de sa canonisation nous enseignent sur les conditions du dialogue entre juifs et catholiques.

"En tant que catholique, Edith Stein est restée unie au Seigneur crucifié et, en tant que juive, est restée attachée à son peuple dans la loyauté et l’amour." ©Wikimedia commons"En tant que catholique, Edith Stein est restée unie au Seigneur crucifié et, en tant que juive, est restée attachée à son peuple dans la loyauté et l’amour." ©Wikimedia commons

La béatification d’Edith Stein en 1987 avait soulevé une véritable polémique. La question de savoir si la carmélite est morte à Auschwitz en martyre de la foi chrétienne ou parce que, aux yeux des nazis elle était juive, a fait l’objet de débats houleux et de tensions. Jean-Paul II a voulu en faire une figure catholique de la résistance spirituelle au nazisme. Mais canoniser une femme juive convertie assassinée dans les camps a éveillé la crainte d’une récupération chrétienne de la Shoah. Cela a aussi été vu comme une provocation après des siècles d’antijudaïsme chrétien et de conversions forcées.

Que représente Edith Stein aujourd’hui, alors que l’Église catholique célèbre les soixante ans de Vatican II et de la déclaration Nostra Aetate qui a bouleversé les relations entre juifs et catholiques ? Que nous apprend-elle des relations judéo-chrétiennes ? Pourquoi Edith Stein disait-elle qu’elle était restée juive malgré son baptême ?

Qui est Edith Stein ? 

Brillante intellectuelle, Edith Stein serait la première femme docteure en philosophie d'Allemagne. Née le 12 octobre 1891, à Breslau, dans le royaume de Prusse (aujourd’hui Wroclaw, en Pologne), elle était la dernière d’une famille de onze enfants. Elle a grandi dans un milieu juif observant et s’est déclarée athée vers l’âge de 14 ans. Ses études de philosophie l’ont conduite à intégrer le cercle de Göttingen. Elle y a côtoyé les grands penseurs de la phénoménologie, dont Max Scheler ou Edmund Husserl, dont elle a été l’assistante, de 1916 à 1918.

C’est au sein du milieu universitaire qu’Edith Stein a fait plusieurs rencontres décisives avec des intellectuels catholiques. Elle se serait convertie en lisant une vie de sainte Thérèse d’Avila, ce qui l'aurait décidée à demander le baptême, qu'elle a reçu en 1922. Marquée par la spiritualité de la réformatrice du carmel au XVIe siècle, mais aussi par un autre mystique de l’ordre, saint Jean de la Croix, Edith Stein a choisi d’entrer en religion sous le nom de Thérèse-Bénédicte de la Croix. Onze ans après son baptême, elle a rejoint le carmel de Cologne en 1933.

Afin d’échapper aux persécutions nazies, elle est partie pour le carmel de Echt, aux Pays-Bas en 1938. Mais au cours de l’été 1942, vraisemblablement en réaction à la contestation au nazisme des Églises chrétiennes néerlandaises, l’occupant a décidé que soient également déportés les juifs qui s’étaient convertis. Edith Stein a été arrêtée le 2 août 1942. Elle aurait dit à sa sœur Rosa, qui l’avait rejointe au carmel : "Viens, allons pour notre peuple !" Elle a été assassinée à Auschwitz le 9 août 1942, à 50 ans.

 

Edith Stein, popularisée par Jean-Paul II

C’est à Jean-Paul II que l’on doit la popularité d’Edith Stein parmi les catholiques. Il l’a béatifiée en 1987 puis canonisée en 1998 et proclamée co-patronne de l'Europe l’année suivante. Jean-Paul II a dû trouver chez la carmélite le même intérêt que le sien pour la phénoménologie et la pensée de saint Thomas d’Aquin. Edith Stein avait été l’amie de Max Scheler, à qui Jean-Paul II a consacré sa thèse de philosophie (en 1953) après avoir travaillé sur saint Jean de la Croix pour une thèse de théologie. Autre point commun : la spiritualité carmélitaine, puisque Jean-Paul II a eu "l'idée… de se faire carme", a dit de lui le cardinal Giovanni Battista Re en 2004.

Le pape polonais, qui n’a cessé de vanter la force de la foi, a fait d’Edith Stein une figure catholique de la résistance spirituelle au nazisme. "Quand nous célébrerons chaque année désormais la mémoire de la nouvelle sainte, nous devrons nous souvenir de la Shoah", a-t-il déclaré* en 1998, lors de la messe de canonisation d'Edith Stein. Lui qui a grandi non loin d’Oswiecim - Auschwitz en allemand - a interprété la Shoah comme une atteinte aux droits humains, conséquence d’un monde sans Dieu. "C’est précisément l’absence de foi en Dieu… qui peut entraîner de tels désastres." (Discours de 1985 à Rome).

Le témoignage d’Edith Stein, dont la vie a été marquée par l’athéisme mais aussi par "une quête infatigable de la vérité", ne pouvait que rejoindre la sensibilité et les préoccupations d’un Jean-Paul II. "La recherche de la vérité déjà est une recherche très profonde de Dieu", a-t-il déclaré lors de sa béatification*. Recherche dont on peut supposer qu’elle a guidé Edith Stein vers une théologie de la Croix : où la mort de Jésus révèle à tout être humain sa vocation à ne faire qu’un avec Dieu. "L’union nuptiale avec Dieu est le but vers lequel l’âme a été créée, écrit-elle dans un ouvrage resté inachevé « La Science de la Croix », rachetée sur la Croix, accomplie sur la Croix et scellée pour l’éternité avec la Croix."

 

Pourquoi la béatification d'Edith Stein a fait polémique ?

Malgré toutes les raisons de l’attachement de Jean-Paul II à la figure d’Edith Stein, sa décision de la béatifier a engendré des polémiques. C’était la première fois que l’Église distinguait ainsi une catholique convertie du judaïsme. Même si Vatican II a montré que l’Église catholique voulait en finir avec l’antijudaïsme chrétien, cela n’a pas manqué de convoquer un passé douloureux marqué par les conversions forcées. L'idée de prier pour la conversion des juifs a longtemps été prégnante au sein du catholicisme. En 2015, l’Église catholique a affirmé clairement qu’elle "ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs" **.

En béatifiant une carmélite en 1987 - en pleine crise du carmel d’Auschwitz (1985-1993) - Jean-Paul II a suscité de vives réactions au sein de la communauté juive. La peur d’une récupération catholique de la Shoah avait émergé déjà en 1979, lors de la messe qu’il a célébrée à Auschwitz-Birkenau. Le pape avait parlé d’un "Golgotha du temps contemporain" pour désigner le camp où 90% des personnes assassinées étaient juives. Aux yeux de certains, c’était une façon d’emplir du mystère de la Croix le lieu qui symbolise par-dessous tout le non-sens et l’absurde.

"Edith Stein était juive, philosophe, carmélite. Elle est martyre", a déclaré Jean-Paul II le 1er mai 1987 lors de la messe de sa béatification. Comme le fera plus tard le cardinal Lustiger, Edith Stein décrivait sa conversion non pas comme une rupture mais comme une continuité. "J’avais cessé de pratiquer ma religion à l’âge de quatorze ans, je ne me sentis juive qu’une fois ayant renoué mes liens avec Dieu", selon ses propos rapportés par Jean-Paul II. 

Le pape polonais n’a cessé de répéter qu’Edith Stein était restée une "fille d’Israël". "En tant que catholique, elle est restée unie au Seigneur crucifié et, en tant que juive, est restée attachée à son peuple dans la loyauté et l’amour."* Passer d'une religion à l'autre et parler de continuité voire de synthèse est difficile à appréhender. Aujourd'hui, la théologie chrétienne l'aborde avec prudence et ne l'explique pas autrement que comme un "mystère".

 

Connaître le judaïsmeCes chrétiens qui désirent se rapprocher des Juifs (1/2)

Les conditions du dialogue entre juifs et catholiques

En raison de l’identité juive de Jésus, le judaïsme a pour les chrétiens une place particulière. Jean-Paul II, qui a par ailleurs beaucoup œuvré aux rapprochement entre juifs et catholiques, a même déclaré : "La religion juive ne nous est pas « extrinsèque », a-t-il dit, mais, d’une certaine manière, elle est « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc envers elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion", a-t-il déclaré dans la synagogue de Rome en 1986*.

L'histoire d'Edith Stein ou sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix et celle de sa canonisation nous enseignent sur l’exercice nécessaire et délicat des relations entre juifs et chrétiens : prendre en compte le passé et des siècles de persécutions, ne pas nier les liens étroits qui existent mais respecter les différences qui séparent les uns des autres... Il y a soixante ans, la déclaration Nostra Aetate a posé les bases de ce dialogue. Il s'accompagne, du côté chrétien, d'un vaste chantier théologique pour approfondir la notion de "mystère d’Israël".

Sans doute est-ce aussi la dimension mystique que Jean-Paul II a voulu révéler chez Edith Stein, une approche destinée à transcender les divisions. "Notre amour envers le prochain, écrivait la carmélite, est la mesure de notre amour pour Dieu. Pour les chrétiens, et pas seulement pour eux, personne n’est étranger. L’amour du Christ ne connaît pas de frontières."*

 


* Jean-Paul II, "Une fraternité renouvelée - L'Église et le judaïsme", éd. Bayard / Cerf / Mame, 2022

** Commission pour les relations religieuses avec le Judaïsme (Vatican) : "Les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables" (Rm 11, 29) - Une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs à l'occasion du 50e anniversaire de Nostra  Ætate (N. 4) (2015)

 

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