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Edgar Morin, ou l’art de lutter contre la mort.

Un article rédigé par Hilaire Bodin - RCF Sarthe,  - Modifié le 5 octobre 2021
La joie d’être vieux Edgar Morin, ou l’art de lutter contre la mort.

Dans cette chronique, Hilaire Bodin, met en relief la puissance résiliente du célèbre et  toujours  actif  centenaire  Edgar Morin.  

@cnrs@cnrs

Hilaire, récemment vous avez conclu une chronique sur une  boutade récente du célèbre centenaire qu’est Edgar Morin, je la cite : «  c’est à force de rajeunir que l’on crève à 100 ans ». Que voulait-il dire ?

 

Au fil des chroniques hebdomadaires, Je ne peux faire l’éloge de la vieillesse sans vous parler de personnes qui incarnent et habitent joyeusement cette vieillesse.  Edgar Morin est un merveilleux exemple de la possibilité   de vivre la vieillesse avec intensité au-delà des 100 ans, puisqu’invité par Emmanuel Macron,  il vient de fêter son centenaire à L’Elysée le 8 juillet dernier.

 

C’est vrai qu’être invité à l’Elysée pour ses 100 ans… c’est original, mais Pourquoi, une telle invitation ? 

 Edgar Morin est un grand sociologue dont les écrits sont célèbres dans le monde entier.  Il  a publié  son 1er livre à 25 ans  et son dernier livre :leçon d’un siècle de vie [1] quelques semaines avant ses 100 ans. Edgar Morin  n’a  jamais cessé de penser sa vie et de vivre sa pensée. Il n’a jamais cessé de s’interroger sur la marche du monde ni de se battre pour un monde meilleur.

Dès l’âge de  15 ans, il s’est engagé dans la lutte antifasciste en Espagne, puis dans la lutte antinazie en France. Le jeune juif Edgar Nahoum,  deviendra le résistant Edgar Morin, nom de guerre qu’il conservera. Militant communiste dès 1940, il sera exclu du parti en 1951 à cause de sa liberté de parole.  Il commentera son exclusion ainsi : «  Ce fut comme un chagrin d’enfant énorme et très court » [2]

 Loin de tout systèmes, sa volonté de synthèse l’amènera à établir des passerelles entre le symbolique, le politique le poétique et l’économique. Penseur de la complexité, il  vulgarisera  sa recherche interdisciplinaire en publiant « la méthode » en 6 volumes[3]. Evidemment,   il n’a pas pris sa  retraite  à 60 ans ni à 80 ans et même pas à 100 ans, puisqu’il  il publiera de nombreux articles sur les leçons à tirer de l’épidémie du coronavirus en 2021.

 

Être  en recherche constante permettrait de rajeunir ? Est-cela que veux dire Edgar Morin quand il s’exclame : C’est à force de rajeunir qu’on crève à 100 ans !

Je ne peux répondre à sa place, Je l’ai rencontré en Novembre 2019 soit  à l’âge de 98 ans. Il intervenait au palais des congrès du Mans dans le cadre du forum philosophique. Pour atteindre l’estrade, il était accompagné et soutenu car sa démarche  était  hésitante, mais dès qu’il a pris la parole, malgré une voix rauque et fragile,  nous fûmes  tous envoutés par la richesse, la clarté et la limpidité de ses propos régulièrement interrompus   par une pluie d’applaudissements. 

 Ecoutons-le :  «  Je ressens toujours autant de plaisir des découvertes, des élucidations aussi bien à propos de l’univers que des petits détails de la vie quotidienne. Cela a suscité chez moi, de plus en plus fortement l’étonnement- parfois l’émerveillement, parfois le vertige – d’être en vie, de marcher, d’être sous le soleil, de regarder la lune montante dans le ciel nocturne, de contempler les amas d’étoiles, minuscules à mes yeux, énormes à ma connaissance.

 Tout ce qui est évident , tout ce qui est connu devient étonnement et mystère…….Je vis de plus en plus avec la conscience et le sentiment de la présence de l’inconnu dans le connu, de l’énigme dans le banal, du mystère en toutes choses.

J’ai passé ma vie entière à m’occuper et me préoccuper du mystère humain , il fait partie d’un mystère plus ample. Celui-ci  nous demande d’assumer nôtre aspiration à la joie et à l’extase qui nous donne le sentiment (illusoire ou  véridique ?) de nous unir à une sublimité innommable qui nous transcende.[4]

  Aubéri,  je suis étonné et quelque part ravi qu’a l’issue de décennies  de recherches scientifiques, ce grand homme éprouve aussi fortement le sentiment du mystère.

 

Hilaire, vous n’avez pas  précisé pourquoi intitulez-vous  votre chronique : Edgar Morin ou l’art de de lutter  contre la mort ?

Sa maman ne devait pas avoir d’enfants à cause d’une grave lésion au cœur.  Au cours de l’accouchement  les médecins affirmaient que la survie de Luna, sa mère, exigeait  sa mort à lui. Elle refusa et un miracle s’accompli …tous les deux survécurent, ce qui entrainera une rayonnante complicité, accompagnée d’un amour indéfectible entre eux. [5]

Dès les premières minute de sa vie,  il a inconsciemment  défié la mort, puis consciemment en Espagne et enfin contre les nazis. Cet esprit de résistance chevillé au corps fut fondateur, il  était  accompagné d’une immense curiosité pour la vie et le mystère humain.  Interrogé par les journalistes  peu avant son centenaire, il répondra «  A 100 ans, dans l’état d’esprit de curiosité juvénile où  je reste, je ressens à la fois rajeunissement et vieillissement ».  [6]

Quelle leçon de vie ! Il nous convie à goûter la vie et  laissez rayonner l’esprit. Si nous y parvenions comme lui, notre grand âge  ne serait que source de joie.

 

 

 

[1] Leçon d’un siècle de vie, Edition Denoêl, le 2 juin 2021.

[2]  Edgar Morin, Wikipédia

[3] La méthode, Edgar Morin, coffret de 2 tomes en 6 volume ; le seuil , Mars 2008.

[4]  Connaissance, ignorance et mystére, Edition Fayard, Mars 2017, p 10, 15 et

[5] Un destin au Forceps, Nicolas Truong, Hors-série le monde, Edgar Morin le philosophe indiscipliné p 7.

[6] Entretien paru dans philosophie magazine  n° 151, p 11.

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