Côté juif, comment est vécu le dialogue avec les catholiques ?
En soixante ans, et depuis le concile Vatican II, les Juifs et les catholiques sont passés du dialogue cordial à une relation réciproque de respect et de bienveillance. La "sincérité" de l’Église catholique a été "éprouvée", a-t-on estimé côté juif. Mais aujourd’hui, alors que le conflit israélo-palestinien pèse lourdement sur la scène internationale, il fait craindre une menace sur le dialogue judéo-chrétien.
Le rabbin Rivon Krygier intervient au colloque "Rêver la fraternité", au Collège des Bernardins, à Paris, le 09/10/2025 ©OR / RCF"Quelle religion, je vous pose la question, quelle religion, quels représentants religieux dans le monde sont capables de dire et de déclarer : Nous devons réviser notre théologie, notre vision du monde parce que nous commettons des erreurs et des erreurs graves et nous sommes prêts à réfléchir et à ouvrir un nouveau chapitre ?" Pour le rabbin Rivon Krygier, rabbin de la communauté massorti Adath Shalom à Paris et docteur en sciences des religions, la déclaration Nostra Aetate a "un caractère exemplaire qui dépasse même la relation entre juifs et chrétiens".
Acteur engagé du dialogue entre juifs et chrétiens, Rivon Krygier est l’un des auteurs de la "Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir" de 2015. Dans Connaître le judaïsme, il explique ce que représente Vatican II pour les Juifs. Il nous alerte sur la montée des fondamentalismes religieux qui traversent le conflit aux Proche-Orient et qui menacent aujourd’hui le dialogue.
Il faut plus que jamais élargir cet élan de Vatican II
Nostra Aetate, une déclaration à la "portée historique"
Du concile Vatican II a émergé un élan, un regard résolument bienveillant porté par l’Église catholique sur les autres religions. L’article 4 de la déclaration Nostra Aetate, promulguée le 28 octobre 1965, fait état d’un changement de regard considérable sur le judaïsme. Mais comment a-t-elle été reçue par la communauté juive ? Vue au départ comme une "amorce timide", elle a soixante ans après "une portée historique au cœur du XXe siècle, selon Rivon Krygier, et je dirais même au cœur de l’histoire de l’humanité ni plus ni moins".
L’enjeu de ce texte, Rivon Krygier le résume en ces termes : "Les plus hauts responsables dignitaires d’un ordre religieux déclarent que des éléments importants, fondamentaux, de la théologie qui a été enseignée pendant des millénaires sont erronés, qu’on a fait fausse route. Que le christianisme s’est construit sur la ruine du judaïsme et sur le dénigrement du judaïsme et que c’était une erreur. Et une erreur qui doit être réparée."
Une réponse juive à Nostra Aetate
Le 23 novembre 2015, c’est en quelque sorte une réponse juive à Nostra Aetate que le grand rabbin de France a remise officiellement à l’archevêque de Paris. Rivon Krygier est l’un des auteurs de cette "Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir". Il y est question d’un "même horizon" de "fraternité universelle d’une humanité rassemblée autour du Dieu Un et Unique". Plusieurs textes ont été émis côté juif pour renforcer le dialogue avec les chrétiens. En 2015 de nombreux rabbins orthodoxes ont reconnu le christianisme comme "partenaire dans la rédemption du monde".
Le dialogue entre juifs et chrétiens peut-il représenter un socle pour le dialogue interreligieux ? "Oui parce qu’il a un caractère exemplaire", répond Rivon Krygier. "Il faut se rendre compte que cet enjeu de reconnaissance fraternelle, de dialogue fraternel est plus que jamais nécessaire entre juifs et musulmans mais aussi entre musulmans et chrétiens… et même plus large que ça." Ce pourquoi, il faut selon lui "plus que jamais élargir cet élan de Vatican II".
"La sincérité" de l’Église a été "éprouvée"
Au fil des années, "la sincérité" de l’Église catholique a été "éprouvée", disent les auteurs de la "Déclaration pour le jubilé de fraternité à venir". "Sincérité", c’est ici "un terme clé", précise Rivon Krygier. "Les Juifs avaient la crainte, et ont encore la crainte, habités par une expérience de 2.000 ans, que derrière l’ouverture de l’Église envers les Juifs se cache une intention de vouloir convertir les Juifs au christianisme. De vouloir les séduire par l’amour et de nouveau réveiller chez les Juifs la crainte de la volonté d’éteindre la souche juive et sa spiritualité."
En cinquante ans, les Juifs ont reconnu qu’il y avait côté catholique "une volonté de respecter la singularité d’Israël, du peuple juif, de son Alliance. C’est quelque chose de très important et cette sincérité a été testée tout au long des années." Et parmi les étapes perçues comme décisives par la communauté juive, la déclaration de repentance des évêques de France lue au Mémorial de Drancy en 1997 tient une place importante.
Les fruits de ce dialogue, on les voit dans les rencontres organisées entre Juifs et chrétiens. "Progressivement on ouvre les cœurs. Les hommes et les femmes se regardent dans les yeux, s’écoutent et se parlent, ce qui manquait !"
Certes, les textes ne font pas tout. Il arrive au rabbin Rivon Krygier de voir que parfois aujourd’hui encore, le judaïsme est perçu comme "une religion fossile avec des visions de légalisme étroit. J’en ai été témoin moi-même. Sur les réseaux sociaux on se rend compte à quel point la réception de grandes idées émises par les autorités chrétiennes est loin d’avoir été accomplie." Et cependant, les chrétiens qui entrent en contact avec cette tradition juive "découvrent que des pans même de leur propre religion s’éclairent à partir du regard rabbinique ou du regard biblique compris par les Juifs", a pu constater Rivon Krygier.
Dialogue judéo-chrétien : l’épreuve du conflit israélo-palestinien
Aujourd’hui, alors que l’on célèbre les 60 ans du concile, le conflit israélo-palestinien "pèse énormément" et "met à l’épreuve" le dialogue entre juifs et chrétiens. "Il y a de quoi, souligne Rivon Krygier, ce conflit est très violent, il a fait du côté israélien des victimes." Il rappelle le traumatisme qu’a causé le « pogrom » du 7 octobre 2023. Et la "réaction très, très violente aussi" de l’État israélien, "avec une volonté d’éliminer la menace mais qui a coûté très cher à des civils".
Ce qui pèse sur le dialogue, c’est la montée des fondamentalismes religieux, insiste Rivon Krygier, qui a alerté en 2024 en publiant son essai "Fondamentalisme et humanisme dans le judaïsme" (éd. In Press). Fondamentalismes qui sont à l’œuvre "de part et d’autre" dans le conflit entre Israël et Palestine. "Si bien que s’est installée une spirale infernale où un fondamentalisme alimente un autre." Pour lui, c’est là qu’est l’enjeu aujourd’hui : "Comment éviter que ce rapprochement fraternel qui s’opère aujourd’hui entre civilisations, entre religions, soit miné par la montée, le renouveau des fondamentalismes tels qu’on l’observe un peu partout dans le monde et dans toutes les religions ?"


Comment comprendre les rites, les fêtes qui rythment le calendrier hébraïque ? Comment lire la Bible à la lumière de la tradition juive ? Qu’apporte la lecture du Talmud ou les textes de Maïmonide à un croyant juif... ? Chaque semaine, dans un dialogue avec un fin connaisseur du monde juif, Odile Riffaud nous fait entrer dans la richesse de cette tradition religieuse qui est à la racine du christianisme et de l’islam.




