Conclave : quelques élections marquantes

Les oiseaux d’Hitchcock, les chrétiens de Rome connaissaient déjà, du moins à leur manière : en 236, alors qu’ils débattent de la succession du pape Antère qui n’avait régné que deux mois, une colombe blanche se pose sur la tête d'un spectateur, Fabien. « À ce moment-là, tout le monde, comme mû par une unique inspiration divine, s'écria avec enthousiasme et sincérité que Fabien était digne », raconte l’historien Eusèbe de Césarée. Fabien, simple laïc, règnera 14 ans. Ce pape meurt martyr, l'empereur romain Dèce ayant exigé des offrandes aux divinités, ce que les chrétiens refusent.

Pendant longtemps, les papes sont élus par les membres du clergé et de la noblesse romaine, ce qui entraîne quelques cafouillages. Pour éviter les schismes, certains pontifes désignent leurs successeurs (comme Boniface II pour Mercure, qui deviendra Jean II en 533). En 1059, le pape Nicolas II confie aux cardinaux le pouvoir exclusif de choisir les pontifes. Cela ne règle pas tous les litiges, loin de là, comme l’illustre le plus long conclave de l'histoire réuni pendant presque trois ans, après la mort de Clément IV en novembre 1268, dans l'enceinte du palais des papes de Viterbe, au nord de Rome. À partir de la fin de 1269, les cardinaux acceptent d'être enfermés pour tenter de parvenir à une décision, et en juin 1270, des habitants frustrés retirent le toit dans une tentative d'accélérer le processus. Ils sont apparemment inspirés par une remarque d'un cardinal anglais indiquant que sans toit, l'Esprit Saint pourrait descendre plus librement. Ils élisent finalement Teobaldo Visconti, qui devient Grégoire X en septembre 1271.

En réponse au chaos ayant mené à son élection, Grégoire X modifie les règles, exigeant que les cardinaux se réunissent dans les 10 jours suivant la mort du pape et ordonnant que leur nourriture soit progressivement réduite. S'il n'y a pas de décision après trois jours, les repas devront être réduits à un seul des deux plats principaux italiens traditionnels. Au bout de cinq jours, ils devront se contenter d’eau mais aussi de pain et de vin qui, après tout, forment les saintes espèces de l’eucharistie. Techniquement, tout homme baptisé peut devenir pape, mais le dernier non-cardinal élu est l'archevêque de Bari, Bartolomeo Prignano, devenu Urbain VI en 1378.

Les conclaves se tiennent durant des siècles dans le palais apostolique du Vatican, et depuis 1878 dans la chapelle Sixtine. C’était plutôt inconfortables. Les cardinaux dormaient au palais, où des cloisons et lits de camp étaient installés pour l'occasion, avec une salle de bain pour dix électeurs. Les fenêtres étaient scellées, mais en août 1978, le conclave ayant lieu sous une chaleur étouffante, une quasi-révolte éclata parmi les cardinaux pour exiger leur ouverture. Jean-Paul II, élu lors du conclave d'octobre 1978, ordonnera la construction dans les jardins du Vatican de la résidence Sainte-Marthe, où les cardinaux séjournent désormais. Le bâtiment compte une centaine de suites et une vingtaine de chambres simples. Mais là aussi, durant le conclave, les fenêtres sont scellées.

Le plus long conclave des temps modernes est celui de 1831, qui élit Grégoire XVI après plus de 50 jours. Le plus long du XXe siècle, qui choisit Pie XI en 1922, ne dure que cinq jours (14 tours de scrutin). En 2005, Benoît XVI est élu en seulement deux jours (quatre tours) et François en 2013 également en deux jours (cinq ou six tours). Autrement dit, depuis un siècle, on assiste à des conclaves express. En sera-t-il autrement cette fois-ci ?

La charge écrasante qui attend le nouvel élu ne l'empêche pas de garder la bonne humeur. En 1978, après sa première apparition devant la foule, Jean-Paul II verse lui-même du champagne aux cardinaux et entonne des chansons folkloriques polonaises. Bis repetita en 2005, lorsque Benoît XVI invite tous les cardinaux à dîner au champagne et à chanter aussi pour fêter son élection.