Après Vatican II, l'histoire de la réception du concile
En théologie catholique, la réception est une notion importante. Elle est centrale pour comprendre les soixante années écoulées depuis le concile Vatican II. Un événement historique mais aussi spirituel, marqué par le souffle de l'Esprit. Toutefois, après l'euphorie est venu le temps du doute et même des excès. L'Église aurait pu oublier Vatican II mais un tournant s'est produit en 1985. Les catholiques sont entrés dans la compréhension du concile...
Veillée pénitentielle préparatoire à la session d'ouverture de la 16e assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, Vatican, le 01/10/2024 ©Vatican mediaVatican II est "la grande grâce dont l’Église a bénéficié au vingtième siècle : il nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence", comme l'a dit Jean-Paul II (Novo millennio ineunte, 2001). Pour comprendre ce que Vatican II a apporté à l'Église catholique et comment l'Église en a fait une boussole, il faut revenir à sa réception. C'est-à-dire à la façon dont, petit à petit, les paroisses, les communautés ont reçu son enseignement. La question est d'autant plus cruciale que le concile a insufflé un vent de nouveauté au cœur du catholicisme
"Je pense qu’au cœur du concile et de sa démarche, il y a pour moi un sens de la liberté, confie la théologienne Brigitte Cholvy au micro de Sarah Brunel dans l'émission Dialogue. Pas simplement la liberté personnelle, mais la liberté personnelle à l’intérieur d’une église, d’une communauté, d’un groupe de disciples qui caractérise le christianisme. Pour moi, Vatican II porte cette manière de voir l’être humain dans l’Église et dans le monde." Professeur honoraire à la Faculté de théologie de l'Institut catholique de Paris (ICP), Brigitte Cholvy est une bonne connaisseuse de Vatican II. Le concile grâce auquel, en tant que femme laïque, elle a pu "faire de la théologie". Elle a co-écrit "Un catholicisme sous pression" (éd. Salvator, 2022).
Si le "concile", du latin concilium, désigne une assemblée d’évêques et de théologiens qui vont statuer sur des questions dogmatiques ou sur les fondements de la vie chrétienne, on peut considérer que Vatican II a aussi été un temps ouvert au questionnement et à l’universel. Ce qui le rapproche du "synode", mot grec qui signifie littéralement "le chemin commun" de l’Église comprise comme communion et dont l’objectif est l’unité enrichie de nos diversités.
La réception, une notion théologique
Le 8 décembre 1965 marque la clôture du concile. Dans l'histoire de l'Église, après un concile vient le temps de la réception. "Le mot réception est très technique du point de vue de la théologie", explique Brigitte Cholvy. Il s’agit d’un "processus par lequel un groupe ecclésial va faire sien une détermination qu’il ne s’est pas donnée". Ainsi, le concile a produit seize textes, "votés, publiés, promulgués". Comment les interprète-t-on ? Quelles applications pastorales pouvons-nous en déduire ? En bref, "comment est-ce qu’on les fait nôtres pour que ça soit reçu comme ce qui nous fait vivre ?"
La réception, d’un point de vue théologique, nécessite un long temps de maturation. "Soixante ans c’est court pour une réception, observe la théologienne. Mais ce qui est intéressant avec Vatican II, c’est de voir qu’il y eu des étapes vraiment différentes, parfois d’une dizaine d’années et souvent très liées aux passages d’un pontificat à l’autre."
Les étapes de la réception du concile Vatican II
On peut considérer que la première étape de la réception du concile va de 1965 à 1975. Une période "d’application, d’euphorie, on est dans un certain enthousiasme", décrit Brigitte Cholvy. Avec d’abord la nécessité de prendre en compte entre autres le fait que Vatican II n’est pas un concile comme les autres : c’est le premier au cours duquel il n’y a pas eu de condamnation pour hérésie. "Donc comment est-ce qu’on lit un texte qui ne dit pas ce qu’on condamne ? Ce n’est pas si simple !" Et ce n’est qu’un exemple du changement de paradigme que propose le concile.
De 1975 à 1985, après l’euphorie, vient le temps du doute. "On ne sait pas comment faire, il y a des excès." On pensait que le synode extraordinaire des évêques convoqué par Jean-Paul II en 1985 pour les vingt ans de Vatican II, signerait "l’enterrement du concile". Mais "ça a été absolument l’inverse, raconte la théologienne. Il y a eu une relance remarquable par les évêques. Et on commence à entrer dans une compréhension globale du concile."
Après cela, et jusqu’à l’élection de Benoît XVI, on a voulu revenir à l'histoire du concile. On entre dans la période où les témoins et acteurs de Vatican II prennent de l’âge ou disparaissent. Au cours de cette troisième étape que la théologienne juge "intéressante et importante", paraît l’ouvrage de référence "Histoire du concile Vatican II (1959-1965)" en cinq volumes sous la direction de Giuseppe Alberigo, aux éditions Cerf-Peeters.
"En même qu’on se pose la question de l’histoire, on se pose la question de l’unité du corpus." De quoi parlent les seize textes de Vatican II ? De l’Église elle-même, ainsi qu’il a été si souvent dit ? Des fondements théologiques sur la révélation ou l’Écriture ? "Se pencher sur l’histoire, c’est aussi rendre compte de l’événement, qui est aussi un événement spirituel, où l’Esprit saint agit." On doit à Benoît XVI, qui a eu un rôle déterminant dans la lecture de cette histoire, l’expression "herméneutique de la réforme".
La synodalité : la réception du concile par le pape François
Le pontificat du pape François (2013-2025) marque la quatrième étape dans l'histoire de la réception du concile. Celle où le souverain pontife "manifeste que ce qui est la novation du concile c’est vraiment le style. C’est-à-dire une manière d’être en relation aux uns et aux autres, en relation au monde." Ce qui fait dire à Brigitte Cholvy que finalement, "la question de la manière d’être est le caractère propre du concile".
Pour François, "Vatican II fut une relecture de l’Évangile à la lumière de la culture contemporaine", comme il l’a déclaré lui-même. ("L’Église que j’espère", éd. Flammarion / Études, 2013). "Il est dans une situation de réception, commente la théologienne. Il focalise les choses sur l’Évangile… La manière de lire la Bonne Nouvelle de Jésus Christ en l’actualisant, en la mettant dans les contextes propres. C’est justement ce qui caractérise le concile."
Ainsi son exhortation apostolique "Evangelii Gaudium" du 24 novembre 2013, "marque un seuil, une étape nouvelle dans la réception de Vatican II". Réception que François "va cristalliser avec le mot de synodalité". En 2015, pour les 50 ans de la recréation du synode des évêques par Paul VI, il déclare : "Le chemin de la synodalité est celui que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire."
L’idée que Vatican II a posé quelque chose d’irréversible dans la manière de lire et d’actualiser l’Évangile est prégnante dans la pensée de François. "Il y a une sorte de convergence chez lui entre sa relecture, le style qu’il utilise pour lui-même et pour l’Église de la réception de Vatican II, et son insistance sur la thématique de la synodalité."
La synodalité, c’est l’idée de marcher ensemble. Elle suppose un fonctionnement horizontal qui peut sembler inconciliable avec la dimension très verticale de la hiérarchie catholique. "Ce n’est pas facile à mettre en œuvre", admet la théologienne. Le défi pour l'Église des temps actuels sera d’articuler "cette horizontalité de tous", la collégialité qui caractérise le travail des évêques et la primauté du pape.


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