Se réconcilier avec son passé

"Je ne crois pas qu’on guérisse de certains traumatismes, je crois que l’on apprend à vivre avec cette mémoire incrustée dans notre corps, dans notre cœur, dans notre psychisme." Isabelle Le Bourgeois, religieuse auxiliatrice et psychanalyste, a consacré un ouvrage aux traces que laissent les évènements douloureux dans une vie. "Vivre avec l'irréparé" (éd. Albin Michel, 2024) a reçu le prix de la Liberté intérieure. Comme pour délivrer un message d'espoir, elle distingue l'irréparable et l'irréparé. Explications.

Dans l’irréparé, il y a une ouverture, quelque chose est encore possible

L'irréparable ou irréparé, quelle différence ?

L’irréparable est un constat, un fait sur lequel on ne peut pas revenir. "Il est indispensable de le regarder en face, explique Isabelle Le Bourgeois, pour admettre que dans mon histoire, quelque chose a eu lieu qui fait obstacle à la vie en moi." Une fois l’irréparable nommé, se pose la question de l’irréparé, c’est-à-dire la blessure que l'on éprouve encore aujourd'hui.

Mais pourquoi parler "d’irréparé" plutôt que de "blessure" ? "La blessure a une dimension définitive, précise Isabelle le Bourgeois alors que dans l’irréparé, il y a une ouverture, quelque chose est encore possible, une réparation est envisageable." D’un point de vue chrétien, cette ouverture et cette vie possibles, c’est l’espérance de la foi. La confiance invite à se dire "maintenant, qu’est-ce que je fais de ce qui est irréparable dans ma vie et de mon incapacité à vivre avec ça ?"

Croire que c'est possible

Psychothérapie, psychanalyse, thérapies... les moyens sont variés et nombreux pour s’engager dans une démarche de "réparation". L'accompagnement spirituel, en un sens peut aussi y aider. L’essentiel étant d’être encouragé dans cette certitude qu’une autre vie est possible. C’est ce que Jésus n’a cessé de faire. 

Lève-toi et marche !... Va, ta foi t’a sauvé... Dans les évangiles les récits de guérison ne manquent pas mais jamais Jésus ne dit "je t’ai guéri". Ce qui répare les cabossés qui croisent la route du nazaréen, c’est leur confiance. Ils y ont cru. "Avec le Christ, nous sommes renvoyés à nous-mêmes souligne Isabelle Le Bourgeois et malgré la guérison, les traces de la maladie restent. Quand le paralytique quitte la piscine de Bethesda il prend son grabat sous le bras !"  On ne se débarrasse pas comme ça de son histoire …

Jésus, "l'irréparé"

Quand Jésus se présente aux apôtres dans les jours qui suivent sa résurrection, c’est avec la traces des blessures qui lui ont été infligées sur la croix. Lui aussi est "irréparé". 

"Non seulement il est mort et il a plongé dans nos enfers, explique Isabelle Le Bourgeois, mais en ressuscitant, il remonte à la lumière nos ombres et nos incapacités à vivre. Il ramène aussi ses propres ombres, inscrites dans son corps. Comme s’il nous disait : Ce n’est pas réparé, et je ne veux pas le réparer. Parce que c’est comme ça que je suis mort et c’est comme ça que je ressuscite, avec les traces que la vie a laissées sur moi. Je suis comme vous, je porte les traces de l’irréparable et c'est avec ça que j’entre pleinement dans la vie."