Agressions sexuelles, abus de langage : lire la Bible après le rapport de la Ciase
Les experts de la Ciase l'ont montré, les prêtres abuseurs se sont servi de la parole de Dieu pour la détourner et la retourner contre ceux qui deviennent des victimes. Ce constat invite les biblistes, les exégètes, à lire les Écritures saintes avec un autre regard. Un an après la parution du rapport Sauvé, la revue Cahiers Évangile a consacré son numéro de septembre 2022 au thème : "Déjouer les logiques abusives, perspectives bibliques à la suite du rapport de la Ciase" (Cahiers Évangile n° 201, éd. Cerf).
Des agressions sexuelles dans la Bible
Si l'on ouvre sa bible au Livre de la Genèse, chapitre 34, on peut constater que Dina, victime de viol, ne parle pas. Il est question dans la Bible du silence d'une victime, mais comment le voir ? "Cet épisode du viol de Dina, appelons-le comme ça, nous dit le Père Morin, nous apprend quand même beaucoup de choses que nous n’avions pas vues, que nous n’avons pas su faire."
Si cette dernière [Dina] avait parlé, ça aurait levé de nombreux problèmes d’interprétation. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ? On ne sait pas. Car comment savoir ce qui s’est vraiment passé sans lui donner la parole ? La diversité des exégèses de l’épisode, dont chacune parvient à conclure dans une direction ou une autre, ressemble à ces maladresses en chaîne des premiers témoins d’abus sexuels ne parvenant pas à reconnaître ces faits inimaginables et construisant des raisonnements abstraits pour s’en protéger. Dans ce récit, ne faut-il pas plutôt conclure qu’il nous manque un savoir expérientiel pour reprendre les mots marquants des experts de la Ciase.
Erwan Chauty, in Cahiers Évangile n° 201, septembre 2022, éd. Cerf
Redécouvrir la Bible après le rapport de la Ciase
Comment la crise des abus et des agressions sexuelles dans l’Église peut-elle avoir un impact sur la façon dont on interprète la Bible ? "Au fond, il faut qu’on ouvre les yeux et qu’on sache lire la Bible avec plus d’acuité encore", estime Éric Morin. Par exemple, au Premier livre de Samuel, il est dit au sujet des fils d’Éli : "ils couchaient avec les femmes" (1S 2, 22). "J’ai lu ça 25.000 fois, confie le prêtre, je me disais qu’est-ce qu’ils font…" Parler de viol n’a pas été tout de suite évident. À ce titre, le travail de Philippe Lefebvre, dominicain, auteur de "Comment tuer Jésus - Abus, violences et emprise dans la Bible" (éd. Cerf, 2021), a beaucoup aidé.
"Et le rapport de la Ciase nous ouvre les yeux entre autres sur des choses qui sont présentes, considère Éric Morin, et finalement si on ne les voit pas c’est qu’on les considère presque banales dans sa propre existence. Et c’est justement ça le drame que souligne le rapport de la Ciase, il y a les criminels et puis il y a ceux qui n’ont pas voulu voir, qui n’ont pas su voir, et j’en fais partie."
Pourquoi le viol et la pédocriminalité ne sont pas explicitement condamnés dans la Bible ?
On peut s'en étonner, les agressions sexuelles ne sont pas explicitement condamnées dans la Bible. "Du point de vue de la loi, que je sache, il n’y a pas de commandement qui traite directement de cette question", admet le Père Morin. On parle à plusieurs reprises de sacrifices d’enfants. Ainsi, dans le Livre de Jérémie, peut-on lire : "cela, je ne l’avais pas ordonné, cela n’était pas venu à mon esprit !" ((Jr 7, 31). "Dieu semble dire je ne vous l’ai pas interdit parce que j’y ai pas pensé, sous-entendu je n’ai pas pensé que vous arriveriez à faire de pareilles horreurs." Pour Éric Morin, si ce n’est pas interdit explicitement, c’est parce que "un truc pareil c’était pas pensable…"
Manipuler la parole, abuser l’autre
Dans sa Lettre au peuple de Dieu (2018), le pape François explique que "les abus sexuels sont possibles par des abus de conscience et ils sont eux-mêmes possibles par des abus de pouvoir", résume le Père Morin. Abus de pouvoir et de conscience eux-mêmes favorisés par des abus de langage. Comment est-ce qu'on en vient à manipuler la parole, la parole de Dieu, la parole de l'autre… ? "Comment des prêtres, qui justement tutoient au plus près le mystère de ce que l’on appelle en théologie la performativité de la parole, son effectivité, ils en ont abusé et ils ont donc abusé les personnes qui leur ont été confiées ?" questionne Éric Morin. Reste un chantier, qui ne pourra être mené que sur de longues années : former les prêtres à l’interprétation de la parole de Dieu. Et dans ce travail, leur apprendre à accueillir l'interprétation de l'autre, c'est-à-dire donner sa place à l’altérité. Là où l'abus est une négation de l’autre, chosifié.
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