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Abus sexuels : pourquoi l'Église catholique ne peut tourner la page

Abus sexuels : pourquoi l'Église catholique ne peut tourner la page

Un article rédigé par Frédéric Mounier, avec OR - RCF, le 22 août 2025 - Modifié le 25 août 2025
Où va la vie ? La bioéthique en podcastCrise des abus sexuels dans l'Église : comment accompagner les victimes ? (1/3)

Le dénouement de l'affaire Dominique Spina semble indiquer que l'Église catholique est désormais attentive au sort des personnes victimes d'agressions sexuelles. S'ils en étaient tentés, cette affaire montre que les catholiques ne peuvent tourner la page des abus. La vigilance est même de mise une fois les faits révélés pour faire que les victimes une fois reconnues comme telles ne soient pas instrumentalisées...

"Les scandales et les personnes victimes sont un sujet d’actualité, toujours." ©Lilian Cazabet / Hans Lucas"Les scandales et les personnes victimes sont un sujet d’actualité, toujours." ©Lilian Cazabet / Hans Lucas

Ce qu'il faut retenir :

  • Les dernières révélations d'abus sexuels, près de quatre ans après le rapport Sauvé montrent que l'Église et les catholiques ne peuvent tourner la page
  • La plupart des personnes victimes d'abus sexuels dans leur enfance ou leur jeunesse en souffrent tout au long de la vie
  • Les spécialistes recommandent une grande prudence vis-à-vis des sessions de guérison psycho-spirituelles proposées aux victimes par certains mouvements d'Église

La démission du Père Dominique Spina, annoncée ce samedi 16 août par l’archevêque de Toulouse, Mgr Guy de Kerimel, met-elle fin à l’affaire Spina ? Des questions restent après cette affaire qui a mis en lumière une double réalité : d’abord la situation délicate des prêtres condamnés n’ayant pas été réduits à l’état laïc, pour qui l’institution ecclésiale peine à trouver une place. D'autre part, la pression publique de la présidence de la CEF, invitant Mgr de Kerimel "à reconsidérer la décision" (dans un communiqué du 10 août) semble indiquer que l’institution ecclésiale est désormais attentive au sort des victimes et à leur souffrance. Comment les accompagner ?

Abus sexuels : les catholiques ne peuvent pas tourner la page

Le malaise après la nomination comme chancelier de Dominique Spina a montré combien le scandale des abus sexuels au sein de l’Église reste prégnant. Si certains étaient tentés de tourner la page, les quatre années qui ont suivi la publication du rapport de la Ciase, le 5 octobre 2021, ont été émaillées de révélations – affaires abbé Pierre, Bétharram, Jean Vanier et les frères Philippe, Santier… Autant de scandales qui ont mis en lumière les différents contours de cette crise des agressions sexuelles et abus de pouvoir qui secoue l’Église catholique depuis plus de vingt ans.

"Comment peut-on penser que les instances de réparation ne soient pas des dispositifs pérennes ? questionne Lorraine Angeneau, psychologue clinicienne, enseignante aux facultés Loyola Paris et à l’Institut catholique de Paris (ICP), ancienne membre du collège de l’Inirr (instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation). Les scandales et les personnes victimes sont un sujet d’actualité, toujours." 

La psychologue révélait en avril 2025 sur RCF : "La plupart de mes collègues psychologues et psychiatres qui s’intéressent au sujet continuent à recevoir en consultation des victimes." Parmi elles, "des patients mineurs agressés de manière récente dans les cadres proposés par l’Église catholique"... Des prédateurs seraient donc toujours à l’œuvre ? "Malheureusement oui, confirme-t-elle, c’est un constat." 

L’Église catholique ne peut donc tourner la page des abus - sexuels ou abus de pouvoir. "Tout croyant qui a entendu un témoignage de personne victime proche ou moins proche ne peut plus se positionner de la même façon", estime Sœur Agata Zielinski, religieuse xavière, philosophe, enseignante aux facultés Loyola Paris. Sans mettre les victimes "sur un piédestal", comme le craint Jean-Pierre Rosa, lui-même victime d'abus, et qui voit un risque de manipulation dans cette "forme d’excès dans cette manière qu’a l’Église de se battre la coulpe". Il faut donc tenir sur "une ligne de crête", observe la religieuse xavière. "C’est quand même important pour l’Église de continuer à s’exposer à cette parole qui nous trouble."

 

Des souffrances tout au long de la vie

Le rapport de la Ciase le soulignait, les victimes d’abus souffrent d’un "empêchement d’être, de créer des liens avec autrui, de se constituer comme sujet libre". Le témoignage de Jean-Pierre Rosa, victime d’agression dans le cadre du scoutisme, montre bien combien les atteintes sont profondes. À 75 ans, après trois analyses de plusieurs années chacune, un traitement médical au long cours, des séances d’EMDR, lui qui a été agressé dans le cadre du scoutisme. "On ne pense pas qu’à ça", dit-il. Mais "tous les moments où on est fragilisés sont des moments de réactivation du trauma... Il faut faire attention à certains moments plus particulièrement qu’à d’autres."

"Il est désormais démontré, abonde Lorraine Angeneau, que tout au long de la vie peuvent céder des cloisons d’étanchéité qui avaient été posées par ces enfants par sécurité, par réflexe, entre des expériences traumatisantes passées et l’état actuel pour continuer à fonctionner, pour travailler, pour vivre…" C'est d'ailleurs ce qu'indique le titre d'un ouvrage que la psychologue encourage à lire, le best-seller américain "Le corps n’oublie rien" de Bessel van der Kolk (éd. Pocket, 2021).

Il faut du temps aux victimes pour désamorcer ce genre de réflexe. Ce pourquoi les responsables de l’institution ecclésiale, doivent, selon Jean-Pierre Rosa "se mettre dans la tête que ce qui a été fait reste et demeure jusqu’à la fin. Et qu’il y a une part éventuellement de défiance qui demeure et il n’y a rien à faire à ça !"

 

Réparation : attention aux dérives

Du côté des professionnels de la santé mentale, la recherche a beaucoup avancé des dernières années. Lorraine Angeneau souligne l’existence de techniques "internationalement recommandées" comme les thérapies comportementales et cognitives (TCC) de la troisième vague, qui sont "des techniques de pleine présence à soi-même". Beaucoup de victimes se tournent aussi vers l’EMDR. 

Or, "iI y a beaucoup de charlatans dans le domaine du trauma et autour de l’Église en particulier", prévient Lorraine Angeneau. La Miviludes parle des "dérapeutes" pour désigner ces thérapeutes qui présentent des dérives importantes. Certes, un grand nombre de victimes ne comptent pas ou plus sur l’institution ecclésiale pour aller mieux. Comme le dit Lorraine Angeneau, "la plupart des personnes que j’accompagnent se passent tout à fait de l’Église catholique et de ses représentants et ne souhaitent plus du tout avoir à faire à l’Église"

Mais à la faveur de cette crise, il y a une tentation au sein de certaines communautés chrétiennes de proposer aux victimes des séances de prière collectives, des pratiques de guérison psycho-spirituelle, des exorcismes sauvages... Ce sont "des techniques à manier avec une grande prudence, nous dit la psychologue, la personne victime croit que le mal est à l’intérieur d’elle". Les pratiques où l’état de conscience est modifié peuvent "générer un effet plus grave et assez fréquent : la décompensation psychologique. Des gens se retrouvent hospitalisés en psychiatrie après des interventions sauvages non régulées."

La crise des abus continue donc de soulever de nombreuses questions et notamment celle de la régulation, pour prévenir par exemple le recours à des pseudo-sacrements. "Il ne faut pas jouer avec ça, c’est dangereux", alerte Agatha Zielenski. Pour elle, "il faut être très clair là-dessus. Des recommandations ont été faites par la Ciase ou des groupes de travail post-Ciase, qui doivent être suivis d’effet partout. Il faut être je crois très sévère avec ça." Le risque d’instrumentalisation des victimes perdure après la révélation des faits. Instrumentalisation aussi des sacrements, et notamment du pardon. "On voit bien que c’est jusqu’à la parole de Dieu qui peut être instrumentalisée. Et on a vu combien des abuseurs eux-mêmes utilisaient la parole de Dieu pour l’instrumentaliser."

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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