Nice: notre accent en danger ?
Plus d'un Français sur deux constate ou ressent une disparition de l'accent dans leur région. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, nous sommes à 62%. Le plus fort pourcentage en France avec les pays de la Loire et la Corse. Ce sont les chiffres d'un récent sondage publié par Preply France, une plateforme d'apprentissage des langues en ligne. Mais qu'en est-il à Nice ?
Le Port de Nice - Photo de Lazar Gugleta sur UnsplashGilles Van Heems est linguiste de métier, et Nissart d'identité. Le aître de conférences en langue et littérature latine à l'Université de Lyon 2 est d'accord avec le résultat de cette étude. Selon lui, la disparition des accents "est bien réelle" et il nous invite à explorer notre passé pour en attester. "Si vous vous rappelez vos souvenirs d'enfance, vous avez peut-être l'impression qu'effectivement, l'accent régional, a été plus fort". C'est donc en partie une question de générations ? Cette étude de Preply constate que les 16-28 ans sont les plus nombreux à percevoir cette disparition des accents avec près de 60% de réponses qui vont dans ce sens. Pour Gilles Van Heems "quand deux langues sont en contact, qu'une, à cause d'une position plus prestigieuse ou d'un dynamisme plus grand, va influencer l'autre, en l'occurrence le français qui influence nos langues régionales, petit à petit, elle va gagner du terrain sur la langue régionale. Et aujourd'hui où toute la population est monolingue, la langue régionale perd du terrain" et les jeunes générations vont oublier les accents chantants que l'on entendait dans la bouche des anciens.
Standardisation de la langue française et stigmatisation des langues régionales
Des facteurs d'accélération de ce phénomène existent: "aujourd'hui avec la télévision, les réseaux sociaux, on intériorise le modèle d'élocution française, donc l'accent dit standard". Autre facteur qui va dans le sens de l'étude menée, c'est "la stigmatisation des locuteurs d'une langue régionale qui sert un but bien clair qui est d'imposer" la langue française à la population "qui, jusqu'au début du XXe siècle, parlait très peu le français selon les régions". Selon le linguiste niçois, "cette stigmatisation, on l'a totalement intériorisée". Avec un exemple: le 20h, programme télévisuel le plus regardé encore en 2025, est dépourvu de tout accent: "on ne l'a jamais confié à un Marseillais" par exemple. "Je pense que les seuls journalistes pour lesquels on peut admettre un fort accent régional, ce sont les journalistes sportifs". Ainsi, dans la société, "c'est une hiérarchisation entre les langues qui fait que la meilleure arme de la francisation, ça a été de faire croire aux populations concernées que la langue qu'ils parlaient au quotidien, qui était la langue de leurs parents, de leurs ancêtres, c'est-à-dire qui était leur langue intime, était une sous-langue".
chaque langue qui meurt, c'est une vision du monde qui disparaît
Alors que faire ? "C'est fondamental de réenseigner ses langues, et c'est très bien qu'on puisse l'enseigner, mais ce n'est pas trois heures par semaine dans le meilleur des cas, en collège et en lycée qui va être la solution. Si après, ce n'est pas reconduit dans le reste de la société, ça ne suffira pas. Si derrière, vous ne parlez pas longtemps, si le reste de la société ne vous permet pas de lire de cette langue, de l'entendre, de la parler, ça ne suffira jamais" explique Gilles Van Heems qui propose par exemple d'aller chercher sa baguette de pain en parlant sa langue régionale pour la faire vivre. Et puis, "il faut multiplier les classes immersives, les classes bilingues". Le risque de ne pas pratiquer ces langues régionales ? Les voir disparaître ainsi que les accents qui les accompagnent. Gilles Van Heems alerte sur cette destinée là: "chaque langue qui meurt, c'est une vision du monde qui disparaît".


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