IA et santé : comment l'intelligence artificielle booste le diagnostic du cancer
Dans son ouvrage L'IA au service de la santé, Thomas Klein, directeur stratégie chez Microsoft et Mosellan originaire de Saint-Avold, défend l'intégration éthique de l'intelligence artificielle en médecine. Pour lui, l'IA agit comme une "deuxième paire d'yeux infatigable" pour détecter 17% de cancers du sein en plus, avec des taux de fiabilité jusqu'à 98% sur le colorectal, tout en réduisant les inégalités d'accès aux soins. Face aux craintes éthiques, l'auteur plaide pour un débat critique et une pédagogie accrue, entre le "primum non nocere" médical et le "move fast" tech.
Interview avec Stéphane Jourdain.
L'IA santé : vue en IA[Stéphane Jourdain] L'IA au service de la santé, l'ouvrage indispensable pour appréhender la révolution de l'IA en santé, l'IA, l'intelligence artificielle. On en parle tout de suite avec son auteur Thomas Klein.
Thomas, vous avez écrit ce livre, je vous présente : vous êtes directeur de la stratégie technologique chez Microsoft aux États-Unis, ingénieur, expert en intelligence artificielle appliquée à la santé. Vous êtes originaire de Moselle, de Saint-Avold, diplômé de Télécom Nancy avant d'avoir fait différents diplômes également au MIT et à Harvard, et vous avez donc publié cet ouvrage sur l'intelligence artificielle dans le monde de la santé. Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
[Thomas Klein] En fait c'est assez simple. On est vraiment aujourd'hui à la croisée des chemins sur la manière dont on va vouloir intégrer l'IA dans notre système de santé. On a aujourd'hui un niveau de maturité sur les IA qui nous permet de faire des choses qu'on ne pouvait pas faire jusqu'à presque aujourd'hui, et il faut qu'on fasse des choix sur la manière dont on veut que cette IA nous aide, nous accompagne pour mieux soigner, mieux aider les médecins et les patients.
[Stéphane Jourdain] Alors quand on dit faire intervenir l'intelligence artificielle dans la santé, on a toujours un petit peu peur, parce que la santé c'est aussi, et peut-être avant tout, une question d'humanité et là on a un peu l'impression d'être désincarné. Est-ce que c'est pas un des risques ? Enfin c'est un des risques que vous pointez dans votre livre, mais vous lui donnez une réponse grâce à cet ouvrage.
[Thomas Klein] En fait, je pense qu'il faut prendre un peu de recul sur les choses. Et si on regarde l'évolution au cours des précédents millénaires, la médecine a toujours évolué avec la science : vaccins, imagerie médicale, chirurgie assistée par ordinateur. Voilà, tout ça, ça fait aujourd'hui partie finalement du système de santé et du parcours de soins, et je crois que l'IA s'inscrit, alors avec quelques différences et je pense qu'on y reviendra, mais s'inscrit quand même dans cette évolution de cette science qui permet de mieux soigner et de mieux aider.
[Stéphane Jourdain] Donc vous nous dites que l'intelligence artificielle, dans votre livre, c'est un peu votre thèse, a une place tant qu'elle est encadrée et tant qu'elle est au service de la médecine et qu'elle ne prend pas le dessus. Il y a quand même toute une question et tout un tas de recherches autour de l'éthique, de comment, quelle place on va lui accorder. Quelle place vous, vous lui accorderiez ?
[Thomas Klein] Déjà, c'est vraiment l'ambition du livre, vous l'avez rappelé, c'était vraiment déjà de vulgariser, d'essayer d'être rigoureux sans simplifier trop le sujet, pour présenter les possibilités. Déjà, de façon très simple, regardez l'utilisation de l'IA pour détecter le cancer du sein. Aujourd'hui l'IA permet de détecter 17% de cancers du sein mieux qu'un médecin qui va travailler sans IA. Donc il y a eu des études nombreuses d'ailleurs qui ont été publiées sur ce cas. Donc je pose la question à tous les patients : est-ce que vous préférez, lors d'un examen d'imagerie médicale, avoir la meilleure vision et les résultats les plus fiables ? C'est vraiment ça qu'il y a derrière.
[Stéphane Jourdain] Donc il y a la partie diagnostique, mais il y a aussi toute la partie d'aide à la médecine pour les médecins, des IA qui aideront le médecin à affiner ce diagnostic et à trouver la bonne posologie.
[Thomas Klein] C'est exactement ça. Il faut vraiment voir cette IA comme une deuxième paire d'yeux. Mais ces yeux, ils ont deux qualités : un, c'est qu'ils ne fatiguent jamais et deux, ils ont tout lu. Donc il faut vraiment pouvoir bénéficier et entrer cette aide et cet accélérateur dans les possibilités. Et il y a beaucoup, beaucoup d'autres exemples. Je donnais l'exemple du cancer du sein, on peut discuter cancer colorectal, poumon. On est aujourd'hui sur des taux de fiabilité sur l'IA qui sont aux alentours de respectivement 98 et 94% de détection. Donc c'est aussi un volet, peut-être on en parlera après, aussi pour réduire finalement les inégalités d'accès aux soins si cette IA est bien utilisée.
[Stéphane Jourdain] Alors vous avez aussi trois parties dans votre livre, et dans la dernière une réflexion sur la question de l'éthique. L'IA n'est pas simplement un outil, c'est aussi aujourd'hui, on le sait, presque un compagnon pour certains. Comment est-ce qu'on va réussir à ne pas donner toutes nos données à une intelligence artificielle qui finalement finirait par décider pour nous ce qu'on doit manger ou pas par exemple ?
[Thomas Klein] Là, moi je pense qu'en tant qu'individu, on ne souffre jamais d'avoir le bon niveau d'information. Donc la question c'est : qu'est-ce que nous renvoie comme information utile et fiable cette intelligence artificielle ? À partir du moment où elle va nous aider à mieux vivre, à prévenir assez tôt les maladies, on préfère détecter les cancers quand ils sont de la taille d'une aiguille que de la taille d'une balle de golf. Donc tout ça, ça va rentrer vraiment dans le mieux vivre. On a en médecine un principe, primum non nocere, donc d'abord ne pas nuire. Ça, c'est ce qu'apprennent les étudiants de médecine en première année. Et il est vrai, Stéphane, que dans la tech, c'est plutôt un autre adage, c'est move fast and break things. Donc on va vite et puis s'il y a un peu de dégâts, c'est pas très grave. Donc il est vrai qu'on est sur deux visions et deux temporalités qui ne sont pas du tout les mêmes et moi, ce que je souhaite faire effectivement, c'est un petit peu ce pont entre ces deux mondes qui s'observent, ne se comprennent pas toujours. Et on a heureusement beaucoup de médecins très curieux et beaucoup de spécialistes de la tech très curieux également de la médecine, qui font des pas l'un vers l'autre pour essayer d'offrir des outils toujours plus fiables pour aider les médecins et les patients.
[Stéphane Jourdain] Thomas Klein, on arrive à la fin de cette interview. Comment est-ce qu'aujourd'hui, vous nous avez dit un petit peu comment l'IA pouvait avoir une place dans la santé, comment est-ce que nous, on doit évoluer pour accepter aussi cette part de nouveauté ? On sait que c'est souvent l'humain qui est le plus difficile à bouger.
[Thomas Klein] C'est un excellent point et c'est un petit peu la conclusion du livre. Moi je crois profondément au débat critique, il ne faut pas rejeter ou accepter les choses par principe. Je pense qu'il y a beaucoup, beaucoup de pédagogie à avoir vis-à-vis de tout le monde et que les gens puissent se faire leur propre idée vis-à-vis de tout cela. Et c'est vraiment la partie : les projets d'IA qui fonctionnent, ce sont les projets où il y a un bon accueil et une bonne adoption, et pour bien adopter les choses, il faut déjà correctement les comprendre, c'est l'ambition du livre.
