Déboulonner les statues de l'Abbé Pierre suffira-t-il ? Par Antoine-Marie Izoard
LE POINT DE VUE D'ANTOINE-MARIE IZOARD - Les accusations contre l’Abbé Pierre se sont alourdies récemment avec de nouveaux témoignages de violences sexuelles. Quelles leçons faut-il tirer de la chute d’une icône, peu à peu déboulonnée ?
L’heure est au déboulonnage ! Beaucoup se demandent s’il faut débaptiser les centaines de lieux publics qui portent le nom de l’Abbé Pierre. À Esteville, village normand où repose la dépouille du prêtre, la décision est déjà prise : le mémorial qui lui est dédié sera fermé. La Fondation Abbé-Pierre sera également renommée et, dans de nombreuses antennes d’Emmaüs, les portraits du fondateur sont progressivement décrochés. Sans parler des innombrables salles paroissiales qui portent son nom, comme des manuels de catéchisme qui l’encensent.
L'abbé Pierre tombe de son piédestal
Certains de ces témoignages font en effet froid dans le dos, mais pourquoi cette chute est-elle aussi vertigineuse ? D’abord par que l’on comprend aujourd’hui que l’aura de l’Abbé Pierre, et l’ampleur de son œuvre, ont imposé le silence sur les actes de celui que nos confrères de La Croix qualifient de « potentiel agresseur sexuel en série ». Et puis, le choc est d’autant plus rude qu’il était porté aux nues pour avoir consacré sa vie aux plus vulnérables. « Personnalité préférée des Français » à seize reprises, on le sait, il l’était pour son célèbre cri en faveur des pauvres durant l’hiver 1954, mais aussi, on l’oublie un peu, pour sa fâcheuse tendance à désobéir à l’Église…
Suffit-il de déboulonner les statues ?
Faut-il alors continuer à déboulonner l’abbé Pierre ? Oui, par respect pour les victimes, dont la parole, peu à peu, se libère. Mais recouvrir d’un voile l’icône pour qu’elle brille moins fort est insuffisant. Il convient de comprendre comment tant de personnes qui avaient connaissance de la gravité de ces actes, parmi ses proches collaborateurs et dans l’Église, ont pu garder le silence. Il s’agit aussi de tirer des leçons de cette affaire. Plus que de maîtres, disait déjà Paul VI, le monde a besoin de « témoins » qui ont « une vie qui résonne vraiment de l’Évangile ». Dans notre quête de témoins véritables, gardons-nous, cependant, de canoniser avant l’heure ces prêtres, religieux ou religieuses un peu trop souvent sur le devant de la scène. À plus forte raison lorsqu’ils se comportent en électrons libres.
L’Église doit être vigilante, faisant appliquer la justice et dispensant la miséricorde. L’institution ecclésiale doit aussi nous inciter à la prudence, nous les médias, qui proposons au monde des figures inspirantes. Il faut reconnaître que notre expérience montre qu’elle n’a pas toujours su le faire et nos demandes en ce sens, souvent, restent lettre morte…
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