
LE POINT DE VUE DE CORINNE BITAUD - Tuer un moustique, un insecte, est souvent un acte que l'on oublie presque aussi tôt après l'avoir exécuté. Pourtant il n'est pas sans conséquences, en particulier d'un point de vue théologique. Corinne Bitaud, agronome et théologienne protestante, le détaille.
La semaine dernière la Guinée est devenue le 8e pays africain pour lequel cette maladie mortelle n’est plus un problème de santé publique, grâce à un programme de l’OMS associant notamment l’IRD et l’Institut Pasteur de Guinée. Et le pronostic des malades encore diagnostiqués s’améliore considérablement, avec un nouveau médicament de Sanofi, distribué gratuitement grâce à des mécènes comme la Fondation Gates.
Or, l’éradication prochaine de cette maladie est un cas limite des questions d’éthique éco-théologiques qui s’intéressent aux relations de l’humain à la nature en tant que création de Dieu. Nous ne pouvons pas ignorer que les microbes eux-mêmes font partie de cette création. Les trypanosomes, qui causent la maladie du sommeil, sont des organismes unicellulaires parasites, dont on devrait pouvoir se dire qu’ils ont, comme tout être vivant, une valeur en soi.
Evidemment ! Je voudrais donc évoquer ce matin le docteur Albert Schweitzer, dont nous célébrons les 150 ans de la naissance. Il a fait partie de l’histoire scientifique de la lutte contre les trypanosomes. Or il écrivait, dans les années 1920 : « chaque fois que je vois au microscope les microbes de la maladie du sommeil, je ne puis m’empêcher de reconnaître qu’il me faut détruire ces vies pour en sauver une autre. »
Schweitzer n’était pas seulement médecin, mais aussi pasteur, théologien et philosophe. Et musicien. Comme philosophe, il soutenait que le « respect de la vie » est la valeur fondamentale de l’éthique, c’est-à-dire la valeur sur laquelle prend appui toute distinction entre le bien et le mal. Il insistait sur le fait qu’il s’agit bien du respect de toute forme de vie, pas seulement des vies humaines.
Médecin, soignant de nombreuses victimes des trypanosomes, il n’avait aucune naïveté quant aux limites pratiques de ce principe. Depuis toujours, il était saisi par ce dilemme que pose l’hétérotrophie, le fait que nous ne puissions assurer notre survie qu’au prix de la mort d’autres vivants. Se heurtant à ce dilemme, son éthique était celle de la responsabilité : certes nous devons tuer pour vivre, mais nous ne devons le faire qu’en cas de nécessité avérée, et « sans jamais consentir intérieurement à cette mort ».
C’est bien là qu’émerge notre responsabilité, car si le bien et le mal étaient des questions simples, nous serions simplement ou justes, ou pécheurs. Or c’est une des convictions fondamentales portées par Martin Luther : nous sommes à la fois justes et pécheurs. C’est bien là que Dieu nous sauve, lorsque nous prenons, en conscience, nos responsabilités.
Albert Schweitzer nous encourageait à donner un sens le plus large possible au commandement « Tu ne tueras pas » car, écrivait-il il y a un siècle dans son livre La civilisation et l’éthique, « tout se tient ». Cette règle me semble d’une actualité criante.
Des chroniqueurs d'horizons variés nous livrent leur regard sur l'actualité chaque matin à 7h20, dans la matinale.
- Le lundi : Stéphane Vernay, directeur de la rédaction de Ouest-France à Paris, et Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de La revue politique et parlementaire ;
- Le mardi : Corinne Bitaud, agronome et théologienne protestante, et Marie-Hélène Lafage, consultante en transition écologique auprès des collectivités territoriales ;
- Le mercredi : Clotilde Brossollet, éditrice, et Pierre Durieux, essayiste ;
- Le jeudi : Antoine-Marie Izoard, directeur de la rédaction de Famille chrétienne ; Aymeric Christensen, directeur de la rédaction de La Vie ;
- Le vendredi : Blanche Streb, essayiste, chroniqueuse, docteur en pharmacie, auteure de "Grâce à l’émerveillement" (éd. Salvator, 2023), "Éclats de vie" (éd. Emmanuel, 2019) et "Bébés sur mesure - Le monde des meilleurs" (éd. Artège, 2018), et Elisabeth Walbaum, Déléguée à la vie spirituelle à la Fédération de l'Entraide Protestante.
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