Pourquoi l’Église catholique a-t-elle créé la commission Sauvé ?

Un article rédigé par Odile Riffaud - RCF, le 30 septembre 2024 - Modifié le 30 septembre 2024

En sollicitant la Ciase en 2018, l’Église catholique de France demandait à des laïcs, pas forcément baptisés ni même croyants, de l’évaluer dans sa gestion des affaires d’agressions sexuelles sur mineurs. Pourquoi fallait-il "faire la lumière" ? Qu'est-ce qui a poussé une institution connue pour son goût du secret à faire cet effort de transparence ? Qu’y avait-il avant la Ciase ?

Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France (de 2013 à 2019), lors de l'assemblée des évêques de novembre 2018 à Lourdes ©Laurent Ferriere / Hans LucasMgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France (de 2013 à 2019), lors de l'assemblée des évêques de novembre 2018 à Lourdes ©Laurent Ferriere / Hans Lucas

Il y a trois ans, la publication du rapport Sauvé a marqué un tournant dans l’histoire du catholicisme en France. Les chiffrés révélés par la Ciase (commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église) le 5 octobre 2021 ont eu un retentissement considérable. Selon les estimations, 216.000 mineurs ont été victimes d’agressions sexuelles commises par des clercs en 70 ans. Pourquoi l’Église catholique, institution connue pour son goût du secret, est-elle entrée dans une démarche de transparence ? Pourquoi l’a-t-elle fait en 2018 ? Et qu’y avait-il avant la Ciase ? 

Silence, on crie : le nouveau podcast RCF sur les violences sexuelles dans l'Église catholique

À l'occasion des trois ans de la sortie du rapport de la Ciase, RCF sort un nouveau podcast le mardi 1er octobre : Silence, on crie. Un podcast réalisé pour entendre le cri des victimes, pour comprendre le silence dans l'Église catholique et pour réfléchir à comment faire de l'Église une maison sûre.

 

Pourquoi avoir créé la Ciase ?

Du 29 novembre 2019 au 5 octobre 2021, la Ciase a eu deux ans et demi pour remplir sa mission. À la demande de Mgr Georges Pontier, alors président de la Conférence des évêques de France (CEF), et de Véronique Margron, présidente de la Corref (Conférence des religieuses et religieux de France), elle a réuni vingt-et-un bénévoles sous la présidence de Jean-Marc Sauvé. Mgr Pontier, archevêque émérite de Marseille, a achevé son mandat à la présidence de la CEF en avril 2019, deux mois après le lancement officiel de la Ciase. À charge pour son successeur, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, de poursuivre la démarche.

12 hommes, 10 femmes : les membres de la Ciase étaient tous des laïcs - croyants ou non, chrétiens ou non, de milieux et d’âges divers - et tous étaient des professionnels reconnus des secteurs du droit, de la santé, de la sociologie, ou de l’éducation... Une commission que l'Église a voulue composée de laïcs : cet aspect n'est pas sans importance de la part d'une institution structurée par une hiérarchie de clercs.

La Ciase a eu non seulement pour mission de "faire la lumière sur les abus sexuels commis sur mineurs et personnes vulnérables depuis les années 50", et "d’étudier la manière dont ont été traitées ces affaires". Mais aussi "d’évaluer les mesures prises par la CEF et la Corref depuis les années 2000" : les deux instances ont donc demandé à être évaluées. Elles se sont montrées prêtes à considérer leurs propres dysfonctionnements, sans doute en raison de la gravité de la crise déjà pressentie.

 

Qu’y avait-il avant la Ciase ?

C’est en novembre 2018, lors de leur assemblée plénière de rentrée à Lourdes, que les évêques ont annoncé la création de la Ciase. Ils avaient pu rencontrer les huit victimes qui avaient été invitées à témoigner. Sans doute peut-on voir dans ce moment-là un tournant dans l’attention de la hiérarchie catholique à l'égard de la parole des victimes.

Quelques mois auparavant, le 6 janvier 2018, la CEF avait reçu pour la première fois des membres de l’association La Parole libérée (créée en 2015 par des laïcs lyonnais pour "briser l’omerta" sur les agissements du prêtre Bernard Preynat). Côté Vatican, le 20 août 2018, le pape François publiait sa "Lettre au peuple de Dieu". Il désignait le cléricalisme comme le contexte favorisant "les abus sexuels" mais aussi les "abus de pouvoir et de conscience".

En France, la gestion des affaires de pédocriminalité est marquée par deux grande périodes. Il y a eu la fin des années 90 et le début des années 2000, avec l’affaire Pican. Mgr Pierre Pican (1935-2018) est le premier évêque français condamné pour non-dénonciation. À la suite de quoi la CEF a publié une déclaration dans laquelle elle condamnait la pédocriminalité. 
Puis, au cours de l’année 2016 il y a eu la création du Conseil de prévention et de lutte contre la pédophilie (CPLP) au sein de la CEF, la création des cellules d’accueil et d’écoute (CAE) dans les diocèses et le lancement du site internet "Lutter contre la pédophilie".

 

Comment a fonctionné la Ciase ?

C’est une très vaste enquête qu’a réalisée la Ciase. En plus des auditions des victimes par les vingt-et-un membres de la commission, plusieurs chantiers ont été menés en parallèle. Il fallait susciter la prise de parole puis recueillir les témoignages de victimes. La mission de la Ciase était aussi d’évaluer l’ampleur du phénomène et d’analyser les statistiques. Enfin, pour comprendre le contexte historique, depuis 1950 il a fallu mener des recherches sur les documents d’archives.

Avec un budget de 2,6 millions d’euros, la Ciase a travaillé avec des acteurs du public et du privé pour mener une vaste enquête. Elle a sollicité l’Inserm, établissement public dédié à la recherche sur la santé, ainsi que l’institution de sondage privé Ifop pour administrer le questionnaire en ligne, lancer un appel à témoignages, analyser les données et mener l’enquête en population générale. Des chercheurs de l’École pratique des hautes études (EPHE) ont étudié les archives de l’Église catholique, et celles des diocèses qui avaient accepté de les rendre accessibles. Enfin les témoignages de victimes ont été analysés par des experts de la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH).

 

Sr. Véronique Margron, présidente de la Corref, et Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Cef, à Lourdes le 6/11/2021 ©Lilian Cazabet / Hans Lucas

 

En deux ans et demi, 2.738 témoignages ont été reçus et 174 victimes ont été entendues par les membres de la Ciase. Un chiffre qui peut paraître faible au regard de celui révélé par l’enquête en population générale : 330.000 mineurs victimes d’agressions sexuelles dans l’Église catholique en France, par des clercs, des religieux ou des laïcs en mission ecclésiale, en soixante-dix ans. L’EPHE a aussi établi que 2.900 à 3.200 prêtres ont été agresseurs.

Comme souvent dans les affaires d’agressions sexuelles, c’est la révélation de faits et leur écho médiatique qui encourage d’autres victimes à parler. Aussi, on peut donc considérer que les chiffres de la Ciase sont à revoir à la hausse. Pour beaucoup, la publication du rapport Sauvé n’a été que le début d’une nouvelle ère.

 

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