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Plus de résultats, moins de moyens : la double peine de la justice française

Un article rédigé par Melchior Gormand, Stéphanie Gallet, Amélie Gazeau - RCF, le 16 mars 2022 - Modifié le 17 juillet 2023
Je pense donc j'agisPrésidentielle 2022 : quelle justice pour la France ?

"Nous ne voulons plus d'une justice qui n'écoute pas et qui chronomètre tout". En novembre 2021, 3000 magistrats signés une tribune dénonçant le manque de moyens dans la fonction judiciaire et la charge de travail toujours plus importante. A quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle, Stéphanie Gallet, Melchior Gormand et leurs invités tentent de comprendre les dysfonctionnements du système judiciaire français.

© StockSnap de Pixabay© StockSnap de Pixabay

Au-delà des grands procès criminels et terroristes qui font la une des médias, la justice est aussi celle qui règle les affaires de pension alimentaire, de divorce, de conflits de voisinages, de stupéfiants ou de cambriolages. Que nous soyons jurés, victimes ou auteurs, il est probable que chacun de nous côtoie la justice à un moment de sa vie. Pourtant le sujet ne semble pas être au coeur de la campagne présidentielle qui bat son plein. Pour y remédier Melchior Gormand et Stéphanie Gallet accueillent trois invités. Denis Salas est magistrat, chercheur et historien de la justice. Benjamin Deparis et président de la CNPTJ et du tribunal judiciaire d'Evry et Aurélien Martini est vice-procureur du Tribunal judiciaire de Melun, membre du bureau national de l'Union Syndicale des Magistrats.

 

Manque de moyens, délais trop longs : une institution judiciaire en souffrance 

 

"Nous les magistrats, nous avons affaire, dans notre activité quotidienne, à de très grandes difficultés humaines et sociales". Benjamin Deparis pose le décor, les difficultés sont de tout ordre. Il donne l'exemple du "gouffre numérique" auxquels les tribunaux font face. Pas un jour ne passe sans qu'un logiciel ou un outil technique ne dysfonctionne. Aurélien Martini, lui, pointe les attentes de jugements extrêmement longues auxquelles les victimes doivent se préparer, souvent de 3 à 4 ans. "Et quand on dit ça à des gens, ils n'ont plus confiance dans l'institution judiciaire" avoue-t-il. Denis Salas avance deux chiffres qui sont symptomatiques de la crise que vit l'institution judiciaire. L'école de la magistrature offrait initialement 250 à 280 postes. En 2021, 195 postes seulement ont été proposés. Il souligne qu'il y a eu 1500 postes créés dans la police en 2 ans pour lutter contre le terrorisme. Un chiffre qui pour le magistrat prouve que "quand on veut, on peut".

 

Le gouvernement face à la justice : "une indifférence extrême"

 

 Environ 3000 magistrats ont dénoncé les problèmes quotidiens auxquelles fait face l'institution judiciaire dans une tribune en novembre 2021, suite au suicide d'une jeune juge. La réaction du gouvernement n'est pas à la mesure du problème pour Denis Salas. "Pour moi cette tribune c'est la pointe extrême d'une indifférence des gouvernements qui est affichée de longue date à l'égard de la justice et de ses mutations" constate-t-il sans détour. L' effondrement du système judiciaire est, pour le magistrat, aussi dû au peu de budget alloué, contrairement à d'autres ministère,s alors que le nombre de contentieux, lui, ne cesse d'augmenter. 

 

Les métiers du judiciaire aujourd'hui entre "souffrance éthique" et "épuisement professionnel"

Pour Aurélien Martini la souffrance éthique fait partie intégrante des métiers du judiciaire. "D'abord une perte de sens, car lorsque vous embrassez cette profession vous le fait par conviction. Par conviction que vous allez être utile à votre prochain, à la société et quand vous voyez qu'on vous demande de "juger vite et bien", comme l'écrit la tribune et bien vous perdez le sens de votre métier" constate-t-il. A cette souffrance éthique s'ajoute "l'épuisement professionnel" qui concerne les acteurs de l'institution mais aussi les justiciables. "Est ce que vous accepteriez d'être jugée par un juge qui siège depuis 12 heures ? Est ce qu'il n'y a pas un risque qu'il se trompe ?" ajoute-t-il.

Depuis quelques mois, la thématique des violences conjugales a été priorisée au niveau de la justice. Les magistrats sont tous en phase avec cette orientation, pourtant les moyens encore une fois ne suivent pas. Benjamin Deparis le constate :  "Toutes les juridictions ont connu globalement une multiplication par deux de leur contentieux pénal d'urgence sur l'année 2021".

 

Justice : quelles priorités pour l'élection présidentielle ?

 

Pour les trois magistrats présents les priorités sont les mêmes. Tout d'abord un recrutement massif avec un plan sur dix ans afin de combler les 1500 postes vacant. Tout cela en maintenant une qualité de recrutement optimale. "Il faut réfléchir à la capacité qu'on a de recruter sur le long terme" selon Aurélien Martini. Il faudrait selon eux également s'interroger sur ce qu'il serait pertinent de "déjudiciariser" comme par exemple les petites infractions judiciaires qui sont nombreuses. Le juge devrait être appelé uniquement lorsque la situation est bloquée.

Denis Salas alerte sur le fait que la majorité des programmes proposés par les candidats à la présidentielle sont accès sur la sécurité. Ce qui, pour la justice, équivaut à encore et toujours plus de travail. Pour le magistrat, "il faut changer de culture et accepter de sortir de l'état administratif dans laquelle la justice été plongée jusqu'à présent et entrer dans un âge plus démocratique, beaucoup plus ouvert sur la société."

 

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