On m'avait dit que je n'aurais pas le niveau pour devenir institutrice, et pourtant...
Il m’a fallu quelques années après mon départ de l’Éducation nationale pour me souvenir que ce métier, je l’avais rêvé enfant, et même collégienne. Mes soirées passées à faire classe à mes peluches, à leur enseigner la conjugaison et l’histoire, me donnaient la sensation de me préparer à devenir de ceux et celles qui transmettent les bases du savoir et qui ouvrent des horizons de culture, qui offrent la promesse d’une autonomie intellectuelle et sociale.
J’y suis parvenue malgré un pronostic décourageant. Et j’en suis revenue après des années de cœur à l’ouvrage. Le parcours scolaire et professionnel peut faire des détours et ouvrir des horizons inattendus.
La mise en perspective de mon parcours témoigne de l’œuvre de la providence, de la patience, de la curiosité et des convictions, dans un monde où l’on peut faire croire que la carrière doit être linéaire, uniforme et sécurisée.
elève contrariée, issue de freepick.comUn pronostic décourageant
Élève discrète et relativement très moyenne, l’intervention de la conseillère d’orientation en classe de 3ème balaya mes perspectives :
« Enfin mademoiselle, avec votre moyenne, ce n’est pas la peine d’envisager l’enseignement! Le concours est bouché et très sélectif. Réfléchissez à un autre projet !»
Quelques mots pour faire basculer mes projections d’avenir dans un vide inquiétant, sans qu’elle n’ait cherché à savoir dans quelles conditions je grandissais, ni ce qui m’empêchait de travailler avec sérieux.
Résolue à devenir coiffeuse - parce que son questionnaire orientait les élèves selon leurs passe-temps et que je m’occupais à tresser mes cousines et mes amies - , c’est le professeur d’Arts Plastiques qui éclaira l’obscurité de mon orientation.
« Tu as un bon coup de crayon, un sens de la composition intéressant, des idées originales et une utilisation des couleurs efficace. Tu devrais suivre un cursus artistique. »
Toutes ces compétences dont je n’avais pas conscience m’amenèrent vers un bac littéraire avec une majeure d’Arts Plastiques. Je découvrais le monde de l’Art, de la culture, le plaisir de construire un discours visuel, d’argumenter des partis pris stylistiques et techniques. Cette voie scolaire fut une véritable révélation me menant, de fait, à une licence universitaire d’Arts Plastiques.

Un cursus universitaire épanouissant
Lors de cette première année de faculté, très orientée sur la construction du discours personnel et l’argumentation stylistique, les nombreuses heures d’histoire des arts ont aiguisé ma curiosité. Je décidai d'intégrer la licence d'Histoire des Arts et Archéologie pour approfondir ce que je survolais. L’évolution des styles et techniques, croisant l’histoire de la société, de l’artisanat, de la religion et de la politique expliqua soudainement le présent, le monde actuel. Rien ne naît de rien, tout est le fruit d’un contexte et d’un passé. Chaque œuvre et chaque objet archéologique en est le témoin. Chaque étude devint un voyage dans le temps, à l’époque où la modélisation 3D balbutiait et que seuls nos cerveaux pouvaient construire une image mentale, à coup de crayon au bord de la copie. Partir à la recherche des éléments historiques, expliquer la place d’une œuvre au cœur de l’histoire de France, de l’Europe, du Maghreb ou du Moyen-Orient devint une gymnastique culturelle passionnante. Marcher dans les rues, visiter des monuments en visualisant leur aspect originel devint un exercice.
Trois années à engloutir des heures de cours, des livres et des visites pour voir le monde qui nous entoure avec plus de compréhension, plus de tolérance aussi, plus de sensibilité et d’intelligence, m’ont menée à présenter un mémoire personnel. L’année de maîtrise fut consacrée au relevé pierre à pierre de la cathédrale d’Embrun, à la recherche des traces des étapes de sa construction (changements d’outils, de techniques de taille, rupture de styles, modification des dimensions de pierre, d’origines des pierres, de qualité de mortier…) enrichie de quelques recherches archivistiques. Cette enquête de plusieurs mois avait pour objectif de retracer l’histoire d’un édifice dans une région dont les archives ont été pillées par les guerres de religion.
Cet exercice méthodologique, appuyé sur une somme de connaissances historiques, techniques et stylistiques, devait être une marche-pied vers un DEA (Diplôme d’Études Approfondies) et ensuite une thèse pour devenir professeur chercheur en université. La soutenance du mémoire, validant honorablement mon travail, révéla combien le pallier suivant s’annonçait complexe : très peu de bourses, un esprit concurrentiel pour les obtenir et pour se faire reconnaître par le milieu.

Trop jeune et trop peu confiante, ce projet parut soudainement inatteignable. Je décidai finalement de tenter le concours de professeur des écoles. Ma maîtrise en poche, l'analyse de la conseillère d’orientation quant à mes capacités scolaires était exorcisée.
Un défi : tenter le concours !
Après une année de préparation au concours d’entrée à l’IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres), pendant laquelle il fallut se replonger dans la théorie de la grammaire, de la conjugaison, des mathématiques, j’entrai enfin dans la grande maison des futurs professeurs d’école.
La première réunion d’information nous annonçait une statistique refroidissante :
« Vous êtes 300 dans la salle, seuls 30 d’entre vous seront reçus. »
La semaine suivante fut imprimée de doutes et d’angoisses : pourquoi ferais-je partie de cette minuscule élite ? M’imaginer une orientation de secours me permit de juguler l’angoisse et de me consacrer complètement à cette préparation poussée de treize matières. Effectivement, l’année fut dédiée à l'assimilation des connaissances notionnelles, pédagogiques et des attendus ministériels, en littérature, observation de la langue, mathématiques, histoire, géographie, physique, chimie, sciences naturelles, arts plastiques, musique, anglais, sport (endurance ou danse) et connaissance du métier et de l’Éducation nationale.

Dans l’académie Aix-Marseille, nous étions environ 6500 inscrits au concours, environ 5500 présents aux épreuves écrites pour environ 500 places à décrocher. Deux jours d’épreuves rédactionnelles en français, mathématiques, histoire-géographique, sciences, précédèrent l’épreuve de sport. Retenue pour l’oral professionnel, on me demanda de présenter une œuvre d’art imposée puis d’argumenter une question professionnelle autour de la motivation des élèves par leur centre d'intérêt : démagogie ou pédagogie?
C’est avec une immense surprise que je me découvris 18ème de la liste des admis de l’académie. La prédiction entendue au collège était enfin déboutée.
Un parcours sinueux finalement nécessaire
Oui, j’avais été une élève très moyenne au collège, mais j’étais aussi une élève dont les parents étaient enlisés dans la gestion d’une maladie incurable, dans un isolement suite au reclassement professionnel de mon père malade nous ayant fait traversé la France, j’étais une élève ayant perdu confiance en elle après des mois de harcèlement scolaire… Tout cela n’était pas entré dans l’analyse de ma scolarité, mais au fond, ce détour épanouissant par les Arts Plastiques et l’Histoire des Arts et l'Archéologie m’a permis de prendre goût aux études et à la culture, il a développé ma curiosité.
Au-delà de ces bienfaits, cet épanouissement scolaire et universitaire m’a fait découvrir mes capacités et mes compétences. Je suis parvenue au métier dont je rêvais enfant, par une voie détournée et même par des choix qui m’en éloignaient délibérément... Il m'a fallu explorer d'autres voies pour découvrir ce dont j'étais capable. Les lignes droites ne sont pas les seuls chemins de réussites!



L'orientation scolaire a ses codes, ses techniques, son vocabulaire. Catherine Esquer, praticienne en orientation chez Avenir Factory décortique avec ses invités, tous les mots clés pour mieux préparer l'avenir.
