Mouvement "child free" : un regard éthique et spirituel sur le refus d'enfanter
Les Français ont de moins en moins d'enfants. Ceux qui refusent d'en avoir pour des raisons écologiques sont souvent, semble-t-il, habités par d'autres préoccupations. Les fondements du mouvement "child free" - sans enfant par choix - sont nombreux et complexes. Quel regard éthique, philosophique et spirituel peut-on poser sur le refus collectif d'avoir des enfants ?
Valable ou non, l’argument écologique a "permis de déculpabiliser" les personnes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant. ©FreepikSelon les dernière statistiques, les Français ont de moins en moins d’enfants. Pour quelle raison ? Quels sont les enjeux éthiques, philosophiques et spirituels de ce mouvement "child free", c'est-à-dire sans enfant par choix. Si certains s'inquiètent de l'augmentation de la population mondiale, d'autres s'affolent de voir que les deux tiers de cette même population sont sous le seuil de renouvellement des générations.
Une population qui augmente mais…
Jusqu’au début du XIXe siècle, l’humanité a connu une population relativement stable, qui n’a jamais dépasser le milliard d’habitants. À partir de 1800, elle est entrée dans ce que l’on appelle la transition démographique. Sous l’effet de plusieurs facteurs - amélioration de la santé, de l’hygiène publique, de l’alimentation – l’humanité a connu au niveau mondial un accroissement de l’espérance de vie et une baisse de la mortalité infantile.
Et pourtant, les deux tiers des habitants de la planète vivent dans des régions où le taux de fécondité n’atteint pas le seuil suffisant pour assurer le renouvellement des générations, qui est à 2,1 enfants par femme. Avec 1,8 en 2023, la France risque de rejoindre le groupe des pays européens où le taux de fécondité est préoccupant : en Espagne, au Portugal, en Italie, en Grèce ou à Malte, il est compris entre 1,3 et 1,1 enfant par femme. En 2014, le taux de fécondité était encore à 2 en France.
"C’est étonnant parce qu’il y a différents mouvements, observe Bruno Saintôt, jésuite, philosophe, théologien, co-responsable du domaine éthique biomédicale aux Facultés Loyola Paris. Il y en a qui disent que ça va stagner à environ 10 milliards, et ça peut à la fois décroître ou continuer à monter. En fait l’horizon est ouvert, on n’est pas sûr que ça augmente, on n’est pas sûr que ça diminue."
Que penser de l’argument écologique pour justifier le refus d’enfanter ?
C’est en 2010 que l’américaine Lisa Hymas, éditorialiste et militante écologiste, a lancé le label Gink : Green Inclination No Kid. Son idée était à la fois de "faire avancer l’idée qu’on a le droit si on veut de ne pas avoir d’enfant", rapporte Aziliz Le Corre, du Journal du dimanche qui l’a rencontrée pour la préparation de son livre "L’enfant est l’avenir de l’homme" (éd. Albin Michel, 2024).
Aujourd’hui on parle plus volontiers de "no kid" que de "gink", passant sous silence la dimension écologique, remarque souligne la journaliste. Pourtant, Lisa Hymas a été elle-même "étonnée de voir à quel point ses arguments ont été utilisés en Europe" dans les milieux écologistes plusieurs années après le lancement de son label. Il y a eu notamment cette étude de chercheurs suédois en 2017 selon laquelle la naissance d’un enfant engendrait 60 tonnes équivalent CO2 - des calculs qui ont été "depuis démontés", précise Aziliz Le Corre.
L’argument écologique est "en partie juste en partie faux", mais il reste intéressant, estime Jean Birnbaum car il a "permis de déculpabiliser" les personnes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant. Et il a ainsi donné naissance à un autre mouvement.
Dans beaucoup de mouvements militants écolos, la planète a pris le premier pas, c’est elle qu’il faut sauver, il faut sauver la déesse Gaïa, lui porter allégeance
Le plus faible, "c’est la planète"
Là où "le mouvement Gink disait : Si vous aimez votre enfant ne le mettez pas au monde, c’est une poubelle", aujourd’hui on avance l’idée qu’il ne faut pas ajouter "de pollueurs à ce monde", observe Aziliz Le Corre. Le journaliste Jean Birnbaum, rédacteur du chef du Monde des Livres, fait le même constat. Il voit même dans le refus d’enfanter "un idéal politique profane", écrit-il dans son livre "Seuls les enfants changent le monde" (éd. Seuil, 2023).
On assiste donc à un phénomène inédit selon Jean Birnbaum : "un mouvement politique, collectif, qui présente le fait de ne pas avoir d’enfants comme un idéal et comme quelque chose qui va sauver le monde… Il ne s’agit plus de protéger les enfants à naître de la violence du monde, il s’agit de protéger le monde de la violence des enfants à naître." Aziliz Le Corre observe de son côté que "dans beaucoup de mouvements militants écolos, la planète a pris le premier pas, c’est elle qu’il faut sauver, il faut sauver la déesse Gaïa, lui porter allégeance. Et finalement l’humanité peut bien disparaître tant qu’on sauve ce qu’on a nous-mêmes abimé."
Un argument qui porte "même dans les milieux chrétiens", estime Bruno Saintôt. Le jésuite observe "une nouvelle forme de militance". En tant que "bons chrétiens", certains se demandent qui est le plus faible - c’est-à-dire celui qu’il faut sauver, selon la morale chrétienne. Une certaine logique veut que ce soit la planète puisqu’elle est "opprimée par l’Homme", décrit Bruno Saintôt. Logique qui amène à croire que la fin de l’humanité permettra à la planète de vivre.
Refus d’enfanter : ce que cachent les arguments écologiques
En 2016, en marge du mouvement Nuit debout, il y avait écrit sur un mur à Nanterre : "Il y a une autre fin du monde possible." Jean Birnbaum s’en souvient comme d’un "symptôme énorme ! Ça ne peut pas ne pas avoir d’impact sur le désir d’enfant quand on écrit ce genre de phrase." Tout se passe comme si la possibilité d’un autre monde avait déserté la jeunesse et comme si les jeunes d’aujourd’hui nous disaient : "Au moins laissez-nous choisir notre fin du monde", analyse Jean Birnbaum.
En discutant avec ceux qui avancent des arguments écologiques pour refuser d’enfanter, Aziliz Le Corre a pu repérer que ce choix était en réalité bien souvent motivé par d’autres raisons. "Dans l’état d’esprit de beaucoup, avance la journaliste, c’est devenu un fardeau. Comme si un enfant n’était pas absolument pas source de joie… On efface l’autre. C’est pour ça que je crois que c’est à la fois une crise de l’altérité et de la transmission."
Et sans doute aussi un manque d’espérance, selon Jean Birnbaum. "Moi je lie totalement, de façon peut-être un peu cucul, la question de l’enfance et la question de l’espérance. Et je pense que dans une société où la jeunesse, pour la première fois depuis très longtemps, quand elle n’est pas en tout cas mue par une espérance spirituelle, n’a plus d’espoir dans un au-delà du monde présent, évidemment, la question de l’enfant se pose très différemment."
Ce que trahit ce refus d’enfant, selon Bruno Saintôt, c’est le manque de ces "grands idéaux de vie sans lesquels on n’arrive pas à continuer. Et quand les grands idéaux, on ne peut pas les réaliser, on peut avoir l’idéal que ça s’arrête. Un idéal renversé : autant que ça se termine, de manière le plus propre possible."


La bioéthique en podcast. PMA, GPA, tri embryonnaire mais aussi euthanasie, soins palliatifs... de ses tous débuts à son extrême fin, la vie ne cesse d’être interrogée. Une émission qui décrypte toutes les questions éthiques que posent les avancées de la science et de la loi.
Un podcast en partenariat avec les Facultés Loyola Paris.




