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Le bonheur est-il vraiment dans le pré ?

Le bonheur est-il vraiment dans le pré ?

Un article rédigé par Marius Segura--Gattuso, Madeleine Vatel Melchior Gormand - RCF, le 23 avril 2025 - Modifié le 25 avril 2025
Je pense donc j'agisLe bonheur à la campagne est-il un mythe ?

Le monde rural attire autant qu'il repousse. Chargée des clichés et des mythes, la campagne est synonyme de calme et de nature. Pour les néoruraux, le bonheur est-il vraiment dans le pré ? Est-ce que vivre en ville est dépassé ? Comment nous reconnecter à la campagne ? Une émission Je pense donc j'agis présentée par Madeleine Vatel et Melchior Gormand.

Champ ©FreepikChamp ©Freepik

Dans des villes toujours plus grandes, toujours plus connectées, certains font le choix de changer de mode de vie. Ces dernières années, le phénomène d'exode rural s’inverse. Des familles entières quittent les villes pour rejoindre la campagne. Derrière ces démarches, la campagne attire, car elle colle avec un imaginaire de calme et de liberté. Ces idées reçues amènent son lot de changements, mais elles ne viennent pas de nulle part.

Un imaginaire tenace

Constance Barbaresco, ingénieure de recherche à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, l'EHESS, au Centre de recherches historiques, et auteur du livre Le bonheur dans le pré parisien explique que l’image de la campagne comme lieu de bonheur, est largement une construction littéraire et artistique : “c’est un imaginaire qui est construit par la littérature tout au long du XIXe siècle, mais aussi avec la peinture, les guides. Le guide des environs de Paris, c'est un genre très important de cette époque, notamment avec le développement des chemins de fer”. Dans cette culture, la campagne est synonyme d’une vie plus simple.

 

La campagne, ça va connoter un espace de respiration.

 

Depuis le XIXe, cet univers rime avec l'imaginaire de la joie, “les campagnes, la banlieue verte, connote avec un espace de respiration, de libération physique et morale, de gaieté comme avec les déjeuners sur l'herbe, etc.” Loin des fantasmes littéraires de la culture française, Constance Barbaresco rappelle que la vie de la campagne se révèle bien différente.

La réalité du quotidien 

Dans les régions rurales françaises, la réalité du quotidien est marquée par un sentiment d’abandon et une fragilisation continue du tissu social et économique. Daphné Chamart-Herlinck, spécialiste des questions de précarité et de mobilité au sein du secours catholique, dresse un constat sans appel : ce sont des territoires qui se sentent et qui sont fragilisés, de plus en plus, avec d’une part des emplois qui ont diminué ces dernières décennies, surtout aujourd’hui des emplois qui sont moins rémunérateurs, moins sécurisants, moins qualifiés”.

La fermeture de nombreux commerces, bureaux de poste ou encore services de santé accentue l’isolement de ces territoires.On a de moins en moins de services publics, on a de moins en moins de commerces de proximité. Et donc, une population qui décline, des services de moins en moins présents, c’est tout un territoire qui se paupérise”, souligne Daphné Chamart-Herlinck.

La marginalisation des ruraux

La question de la mobilité est au cœur de cette problématique. Dans un aménagement du territoire pensé depuis les Trente Glorieuses autour de la voiture, l’absence d’alternatives renforce les inégalités. “On a une personne sur deux qui vit dans les territoires ruraux qui se sentent abandonnées. Tout tourne autour de la voiture. Tout a été modelé, l’aménagement du territoire depuis la Seconde Guerre mondiale s'est construit avec la voiture, au détriment des autres modes de transport. Ce qui fait qu’aujourd’hui, sans voiture, on ne peut rien faire.” Ce modèle montre aujourd’hui ses limites, notamment pour les plus modestes. “La mobilité, c’est problématique pour tout le monde, mais quand tu es pauvre, c’est pire. […] On a 15 millions de personnes en France qui sont en situation de précarité, de mobilité", explique la spécialiste des questions de précarité.

 

15 % de la population qui est en situation d'illectronisme.

 

En addition à ces inégalités des transports s’ajoutent une fracture numérique, qui révèle une autre forme d’exclusion. “On a 15 % de la population qui est en situation d'illectronisme, c’est-à-dire qui n’arrive pas à utiliser Internet. Et dans les territoires ruraux, l’accès à une connexion haut débit est aussi très problématique.” Aujourd’hui, le numérique devient une condition d’accès aux droits, à l’emploi ou à l’information. Cette difficulté renforce la marginalisation des habitants de la campagne, conclut Daphné Chamart-Herlinck. 

Repenser la ruralité 

Entre l’imaginaire naïf et une réalité plus marquée par des inégalités, l’image de la ruralité n’est pas la même d’une personne à une autre. Benoît Hervieu-Léger, rédacteur en chef de la Revue Projet et coordinateur du dossier intitulé Ruralité, un monde à part ?  invite à dépasser les clichés : “Le lien [entre imaginaire et réalité] ne va pas tout à fait de soi, même si évidemment dans un pays comme la France, il y a toute l’idée d’une civilisation paysanne qui est très prégnante”.

 

Les agriculteurs ne représentent plus que 5 % des actifs.

 

Cet imaginaire rural, chargé de nostalgie, ne rend pas compte des fractures qui traversent les territoires. Benoît Hervieu-Léger appelle à distinguer les multiples réalités qui coexistent à la campagne. “Il faut bien distinguer des campagnes en déclin qui ont été industrialisées, qui ont créé une sorte d’extension du tissu urbain, et des campagnes pauvres qui n’ont jamais été industrialisées, mais qui le sont restées.” Pour le rédacteur en chef de la Revue Projet, le monde agricole, longtemps central, ne pèse plus autant dans la balance. “Aujourd’hui, même au sein des territoires ruraux, les agriculteurs ne représentent plus que 5 % des actifs”. Une donnée qui souligne la profonde transformation sociale à l’œuvre. 

À cette recomposition, s’ajoute une nouvelle vague d'installations de citadins. Loin de l’utopie de l’ermite moderne venu chercher une vie “authentique”, les nouveaux venus cherchent plutôt à s’intégrer à un tissu local déjà fragile. “On voit comment les cartes se sont redistribuées avec une recherche parfois d’intégration. Ce n’est pas la même que celle d’autrefois, où on voulait se couper du monde”, raconte Benoît Hervieu-Léger.

Les politiques locales ont aussi un rôle à jouer. Dans leur volonté de rendre leurs juridictions plus attractives, ces derniers tentent tout pour attirer ces nouveaux actifs. Parfois bien intentionnées, les politiques peuvent se révéler injustes. Dans des domaines comme l’écologie, certaines mesures excluent ceux qui ont le moins de moyens. “On voit comment des gens qui n’ont pas le choix se sont retrouvés exclus d’un dispositif qui était censé améliorer la qualité de l'air”, explique le rédacteur en chef de la Revue Projet.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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