Libérer la parole ; Que la honte change de camp… Des formules que l’on entend de plus en plus aujourd’hui dans les médias quand on parle des agressions sexuelles. Il y a trois ans, le rapport Sauvé a aussi parlé du caractère "systémique" des agressions sur mineurs dans l’Église catholique et a mis en lumière des chiffres accablants. Des notions, des chiffres que les fondateurs de La Parole libérée avaient déjà en tête quand ils ont fondé l’association en 2015. Ils font figure de pionniers dans le combat contre la pédocriminalité dans l’institution ecclésiale, et au-delà. Alexande Hezez témoigne dans "Silence, on crie", le nouveau podcast RCF qui décrypte les violences sexuelles dans l'Église catholique.
Il y a trois ans était publié le rapport de la Ciase, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique. Une vaste enquête, rigoureuse et scientifique, qui a touché un large public déjà sensibilisé par le mouvement #Metoo. Le rapport Sauvé a mis la parole des victimes au centre. Désormais, on les écoute et on les croit : construire l’Église de demain ne pourra se faire qu’avec le peuple de Dieu. C’est de cela dont il est question au fil des six épisodes du podcast Silence, on crie. Une création RCF sur une idée originale du collectif Agir pour notre Église.
"Il faut absolument crier et continuer de crier. C’est la seule manière d’être vigilant et de faire peur aux pédocriminels. Quand on est agressé, il faut crier, c’est peut-être ce que l’on doit dire à tous les enfants. C’est souvent ce qui peut sauver."
Alexandre Hezez, cofondateur de l’association La Parole libérée dans Silence, on crie
Dans le premier épisode du podcast Silence, on crie, Stéphanie Gallet revient aux origines : avant la Ciase, il y avait La Parole libérée. Une association créée par quelques quadragénaires tous victimes du même prêtre pédocriminel, et qui, par hasard, se sont un jour retrouvés. Ils ont rompu avec l’isolement et mis fin à des années de silence. Ensemble, ils ont enquêté, analysé, recueilli les témoignages de centaines de victimes et mené des actions en justice. Pour eux le rapport Sauvé a été le point d’orgue de six années de combat.
La victime se croit seule. Et c’est au moment où la victime sait qu’elle n’est plus seule qu’elle peut agir
Le 5 octobre 2021, Alexandre Hezez s’en souvient. C’était "une journée où on était apaisés, dit-il dans le premier épisode du podcast Silence, on crie, c’est-à-dire que, enfin, le combat était généralisé et on l’avait donné à d’autres personnes qui allaient cette fois-ci s’en occuper". Ne plus être seuls. La Ciase l’a montré, la dimension systémique des abus repose sur le silence. Et ce silence est lié à l’isolement des victimes.
"La victime se croit seule. Et c’est au moment où la victime sait qu’elle n’est plus seule qu’elle peut agir et décentrer son mal-être…" Pour Alexandre Hezez, "l’élément déclencheur" a été d’abord de savoir que son agresseur Bernard Preynat était toujours en vie, puis de découvrir "par hasard" qu’il n’était pas sa seule victime. "Et là, j’étais dans un état d’esprit où je n’agissais plus pour moi mais je devais agir pour les autres et potentiellement pour les victimes futures."
Pendant six ans, de décembre 2015 à mars 2021, les membres de La Parole libérée ont travaillé pour aider des victimes et dénoncer des abuseurs. "Le but de l’association telle qu’on l’avait créée était que la peur change de camp, témoigne Alexandre Hezez, c’était que finalement tout ce que l’on fait fasse peur aussi aux pédocriminels, aux violeurs… et que ça empêche d’autres victimes. Et toute la démarche a été dans cette optique-là." La publication du rapport Sauvé a été "le point d’orgue" de tout ce travail.
En juillet 2019, cinq mois après le lancement de la Ciase, le tribunal canonique a rendu Bernard Preynat à l’état laïc. L’ancien prêtre (décédé en juin 2024) a été reconnu coupable d’agressions sexuelles sur mineurs et condamné par la justice civile.
Pour beaucoup, le chiffre révélé par la Ciase - 330.000 victimes – a été un choc. Un chiffre tellement important qu’on a presque du mal à l’appréhender. Il est basé sur une estimation statistique, après une enquête en population générale menée par l’Inserm à la demande de la Ciase. Mais un chiffre qui n’a pas surpris les membres de La Parole libéré. Ils avaient déjà recueilli les témoignages de "plus de cent, cent-cinquante victimes".
216.000 mineurs agressés par des prêtres de 1950 à 2020 - 330.000 si on ajoute les victimes de religieux et de laïcs en mission ecclésiale. Que nous disent ces chiffres ? "Je pense que le plus important c’est la véracité des chiffres, nous dit Alexandre Hezez, vous ne pouvez pas agir dans la société sur n’importe quel thème si vous n’avez pas dénombré, fait des statistiques et vous ne pouvez pas vous appuyer sur des chiffres. Le rapport de la Ciase a été révolutionnaire de ce côté-là… Ça a pu poser le problème de manière rationnelle et statistique."
En plus du chiffre, un mot a fait l’effet d’une bombe. C’était l’une des 45 recommandations de la Ciase : que l’Église catholique reconnaissance sa "responsabilité systémique" (recommandation n°24). Dans une interview à Stéphanie Gallet, à l’occasion de la sortie du podcast silence on crie, Jean-Marc Sauvé précise que parler d’une "responsabilité institutionnelle" ne veut pas dire que "l’Église aurait organisé un système d’abus". Il s’agit de pointer du doigt le fait "qu’elle n’a pas su protéger les enfants".
Cette notion de système, c’était "un point central de notre combat", confie Alexandre Hezez. "On savait que les crimes n’étaient pas individualisés et qu’ils avaient été permis par un système, une organisation, et que potentiellement c’était quasiment une industrialisation du viol."
Certes, cet aspect systémique, on le retrouve dans d’autres institutions, précise Alexandre Hezez. Mais, selon lui, dans l’Église catholique, "on confond justice, miséricorde, pardon. On met ça dans un shaker et puis finalement c’est à peu près la même chose. Et donc cette fusion de tous ces concepts où on fait ce que l’on veut avec un manque de gouvernance, c’est vrai que c’est ce qui caractérise l’Église. Avec en plus une emprise spirituelle qui peut être très forte."
Au cours de l’année 2016 - année qui a suivi la création de La Parole libérée, ont été créées dans les différents diocèses des cellules d’accueil et d’écoute (CAE) ; la CEF a lancé la Cellule permanente de prévention et de lutte contre la pédophilie (CPPLP) ; elle a aussi produit un site internet pour lutter contre la pédophilie.
C’est le 6 janvier 2018 - en pleine affaire Barbarin (2016-2020) - que les membres de l’association La Parole libérée ont été reçus pour la première fois par des représentants de la CEF. Dix mois tard la Conférence des évêques de France publiait un rapport d’étape sur sa lutte contre la pédocriminalité. Avant d’annoncer en novembre 2018 la création de la Ciase. Trois ans après la remise du rapport Sauvé, pour Alexandre Hezez, "le travail est très, très, très loin d’être terminé."
Le 5 octobre 2021, la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église (CIASE) présidée par Jean-Marc Sauvé, remettait son rapport suite à la demande des évêques.
330 000 enfants ont été victimes de violences sexuelles au sein de l’Église catholique entre 1950 et 2020 en France. Ces révélations ont eu l’effet d’une bombe au sein de la communauté des fidèles catholiques et de la société en général.
Trois ans après la sortie de ce rapport, RCF propose dans un nouveau podcast, non pas une enquête ou des révélations, mais un travail de sensibilisation et de pédagogie.
“Silence, on crie”, un podcast :
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