Jusqu'où respecter les puissants ? La pensée politique de Blaise Pascal
Qu’est-il juste de respecter ? Alors que la France élit son président de la République, c’est une question valable pour tout citoyen. C’est aussi une question pour un chrétien. Au XVIIe, le philosophe Blaise Pascal distinguait le respect de la personne de celui des grands, établi par l'ordre social. On en parle avec Laurent Thirouin professeur émérite de littérature à l'université de Lyon. Il a édité "Pensées sur la justice" de Blaise Pascal (éd. La Découverte, 2011) et codirigé la publication des "Lectures russes de Pascal" (éd. Classiques Garnier, 2020).
La grandeur, qu’est-ce ça signifie ?
Quand on parle de Pascal (1623-1662) et de sa pensée politique, "il faut changer complètement de repères", rappelle Laurent Thirouin. À cette époque, sous l’Ancien Régime, la société est très inégalitaire mais elle "trouve que c’est très bien d’être inégalitaire !" Ce que l’on a du mal à concevoir aujourd’hui…
Pascal est partagé entre "deux ordres de rationalité". "Il adhère parfaitement à l’ordre politique de son temps." Et considère qu’il est "normal", pour un grand ne pas avoir les mêmes prérogatives ni les mêmes devoirs que le reste de la population. Mais ce fervent chrétien croit qu’il n’y a pas de différences entre les hommes.
Jouer le jeu des honneurs et du pouvoir sans y croire
Dans ses "Trois discours sur la condition des grands" (1660), Pascal délivre une parabole. L’histoire d’un homme qui, après un naufrage, est accueilli comme un roi par les habitants d’une île. Cet homme décide de se prêter au jeu, mais il ne peut oublier le malentendu à l’origine de son nouveau statut.
Le message de Pascal aux grands de ce monde, c’est qu’ils ont beau être traités comme des êtres supérieurs, ils doivent toujours se rappeler qu’au fond ils ne le sont pas. Que leurs privilèges et leur statut sont le fait du hasard.
Pascal leur intime donc de jouer le jeu du pouvoir, de s’y prêter mais de ne jamais y croire. "Le maître mot", explique Laurent Thirouin, c’est ce que Pascal appelle "a pensée de derrière". C’est-à-dire "accepter de jouer le jeu politique sans jamais considérer que ce jeu est un jeu fondé".
Le respect dû aux puissants
Pascal n’est pas un révolutionnaire. Il même été "traumatisé", raconte Laurent Thirouin, par l’épisode de la Fronde (1648-1653). Cette guerre civile qui "aurait pu être la Révolution française". "Effrayé par le désordre" et "le malheur que peut causer le dysfonctionnement politique", Pascal tente "de changer l’image du grand dans le cœur du grand lui-même". Et non de changer l’ordre politique.
Reste que sa pensée est tout aussi vivifiante que perturbante. Selon Blaise Pascal, c’est bien le hasard qui régit l’ordre social, qui distribue les honneurs et les biens. Il distingue donc "grandeur de nature" et "grandeur d’établissement". Comme l’explique Laurent Thirouin, "il n’y a pas de rapport entre le statut d’une personne et sa valeur intrinsèque, ses compétences". Respecter les grands c’est respecter leur place dans l’ordre social mais ce n’est pas respecter la personne.
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