Éric Cheysson, un chirurgien au chevet du peuple afghan

Un article rédigé par Laurette Duranel avec Thierry Lyonnet - RCF, le 10 mai 2023 - Modifié le 26 août 2023
VisagesÉric Cheysson, un chirurgien au chevet du peuple afghan

Cela fait deux ans que les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan, le 15 août 2021. Au début, le chirurgien Éric Cheysson n'y a pas cru. Profondément attaché au pays, lui que l'on surnomme Éric l'Afghan se désole d'une situation dramatique, en particulier pour les femmes.

 

Éric Cheysson ©La Chaîne de l'EspoirÉric Cheysson ©La Chaîne de l'Espoir

 

En 40 ans, le chirurgien Éric Cheysson est devenu un Afghan de cœur. Depuis sa première mission avec les tout premiers french doctors de Médecins du monde, juste après l’invasion soviétique en février 1980, le chirurgien reste très attaché à un pays qu'il trouve "unique". Son histoire et celle des Afghans, il la raconte dans un livre, "Afghanistan, la spirale infernale" (éd. Robert Laffont, 2023).

 

 

 

"Un acharnement et une obsession sur la femme et son corps"

 

À l'époque, en 1996, les talibans ont été accueillis comme "des libérateurs". "Les gens se disaient : Enfin la paix. La seule chose qu’ils voulaient c’était l’arrêt des massacres", relate Éric Cheysson. C’était sans compter la charia que les talibans voulaient appliquer à tous les niveaux de la vie, "que ce soit l’éducation, décrit le chirurgien, la vie de couple, les finances, la politique, avec je dirais un acharnement et une obsession sur la femme et son corps".

 

Ce n’est qu’à partir de la fin 2001, lorsque la coalition dirigée par les Américains a renversé le régime des talibans, qu'Éric Cheysson a retrouvé en Afghanistan "une hospitalité et une joie de vivre". C’est à cette époque que le médecin humanitaire a entrepris la construction de l'hôpital français de Kaboul, grâce à l’aide financière de grands patrons mais aussi au soutien de personnalités telles que Muriel Robin et Bernadette Chirac. "Nos confrères afghans étaient désespérés, il n’y avait rien, tout était cassé. Il était important de reconstruire mais aussi de reconstruire leur fierté." Il fallait un hôpital aux normes occidentales et "pas quelque chose de bricolé", commente Éric Cheysson, qui garde une pointe d’agacement en repensant aux critiques qu’on lui faisait à l’époque sur cet hôpital jugé trop dispendieux.

 

 

 

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Le retour des talibans ? Éric Cheysson n'y a pas cru

 

Malgré les différents assassinats qui auraient dû l’alerter, Éric Cheysson admet n’avoir "pas vu venir" le retour des talibans en 2021. Quand un ami afghan le lui a annoncé par téléphone, le 15 août 2021, il n'y a pas cru. "Bien sûr, il y avait des inquiétudes, les talibans avançaient mais tout le monde disait que l’armée afghane c’était 300.000 hommes !" Ce qui était en réalité faux. Jusqu’en mars 2022, le président de La Chaîne de l’espoir n’est pas retourné en Afghanistan. "Nous avons maintenu le contact par les visio-conférences et l’hôpital a tourné avec deux difficultés énormes : l’approvisionnement en médicaments et surtout le système bancaire complètement à l’arrêt et donc nous ne pouvions pas envoyer de l’argent", raconte-t-il. 

 

 

 

Ce qui se passe pour près de 20 millions de femmes n’a jamais existé dans l’histoire de l’humanité et on ne peut pas laisser faire ça

 

 

 

"Rester c’est collaborer, partir c’est abandonner"

 

Depuis, le chirurgien a pu retourner à l’hôpital mère-enfant de Kaboul, après avoir rencontré une délégation du gouvernement taliban à Genève qui lui a garanti la possibilité de poursuivre sa mission. Malgré tout, Éric Cheysson ne peut cacher son inquiétude. Il craint que les talibans franchissent deux nouvelles lignes rouges qui compromettraient le travail de l’hôpital : l’interdiction des soins selon l’ethnie ou le genre, et l’interdiction du travail des femmes au sein de l’hôpital.

 

Si les femmes ne peuvent plus exercer, qui soignera les patientes dans un pays où un homme ne peut ausculter une femme ? "Si c’est le cas, l’ensemble des ONG devront prendre une décision et une position commune", affirme le chirurgien français, qui évoque un possible retrait. 

 

Celui qu’on surnomme Éric l’Afghan est en permanence confronté à un dilemme. "Rester c’est collaborer, partir c’est abandonner donc c’est une ligne de crête très difficile sur laquelle nous surfons à longueur de temps", explique-t-il. Bien qu’inquiet, il veut garder optimisme et croit à la force du dialogue. Il appelle la communauté internationale à ne pas abandonner les Afghans. "C’est plus que l’Afghanistan. Ce qui se passe pour près de 20 millions de femmes n’a jamais existé dans l’histoire de l’humanité et on ne peut pas laisser faire ça !"

 

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