Auvergne-Rhône-Alpes
Du restaurant Paul Bocuse à Champagne-au-Mont-d’Or, à Georges Blanc à Vonnas en passant par La Pyramide à Vienne ou encore l’hôtel Georges V à Paris, tous proposent à leur carte des boissons l’eau-de-vie de poire Colombier, considérée comme la pionnière du genre de France. Rencontre avec le discret mais passionné co-gérant de la distillerie, Stéphane Jay.
C’est dans un ancien corps de ferme sur les terres de Villette-de-Vienne, au sud de Lyon, qu’est née dans les années 20 celle qui allait devenir l'une des meilleures eau-de-vie de poire au monde : la poire Williams de la Maison Colombier. Sur cette exploitation d'Isère septentrionale, vergers et terres arables ont toujours coexisté. Sept hectares sont exploités pour la production dont l'une des parcelles, fierté du propriétaire, est l'un des plus anciens poiriers Williams de France, planté en 1893. Car l'entreprise agricole est une belle histoire familiale qui a vu naître, sous l'impulsion de Joannès Colombier et Fernand Point, l'eau-de-vie de poire Williams en France.
Aujourd'hui, la maison Colombier a diversifié sa gamme de produits et y a ajouté la production de céréales mais pendant plus de 40 ans, deux produits ont fait la réputation de la maison : la « 43° » et la « 70° » comme aime les appeler Stéphane Jay : l'eau-de-vie de poire. Pourtant, rien ne destinait Joannès Colombier et ses poires à la célébrité. « L'histoire est un peu originale puisqu'il faut savoir qu'une poire tombe avant de mûrir. On est quand même dans le Dauphiné donc on ne gâche pas comme ça la production. Au début, les poires par terre partaient pour alimenter les cochons et progressivement, Joannès Colombier s'est dit qu'on pourrait peut-être en faire autre chose et ils ont eu l'idée de distiller, c'est parti comme ça au départ » explique celui qui a repris l'entreprise en 2006 avec sa femme.
Quoique célébrité n'est pas le mot qui convienne. Car si beaucoup ont déjà goûté à l'eau-de-vie de poire produite à Villette-de-Vienne, peu savent d'où elle vient. Elle bénéficie encore d'une relative confidentialité auprès du grand public, y compris local alors qu'elle est consommée à l'étranger et incontournable sur toutes les plus grandes tables de restaurant. Une réputation qui n'a pas eu que des avantages pour Stéphane Jay.
C'est toujours impressionnant de reprendre un morceau d'histoire. On avait moins la pression peut-être que des gens qui l'ont connu depuis tout petit, on arrivait un peu neuf. À chaque fois qu'on a fait des choix, on les a intégrés à l'histoire de la maison. Ça a été un ralentisseur pendant quelques temps, notamment sur la diversification. Parce que quand vous avez une entreprise avec deux produits emblématiques, qui étaient les deux produits qui existaient quand on a repris, c'est très difficile de dire : "tiens, je vais faire une liqueur, ou je vais vendre du jus de poire William, parce que je trouve que mes poires sont bonnes et donc on va faire un jus".
Mais la difficulté n'empêche pas le couple de se lancer dans une diversification, après « des années de maturité. On se doit aussi de rester ouvert et de faire vivre cette maison avec son histoire, mais dans son temps ».
Les nouveautés sont aussi inspirés par les clients, dont les demandes évoluent : moins d'alcool fort, plus de choix et des produits utilisables au quotidien comme le vinaigre de poire, créé et proposé aux consommateurs après la demande d'une cliente. « Il n'y a aucune entreprise aujourd'hui qui peut se permettre de rester sur deux produits. On est dans des moments, d'ailleurs, qui sont même épuisants. On a l'impression qu'il faut toujours créer, toujours trouver des nouveautés. Et on sent bien qu'il y aura une limite » concède Stéphane Jay, lucide après près de 20 ans de gestion de la Maison Colombier.
Quand en 2006, il reprend avec son épouse, après plusieurs générations de la famille Colombier, le verger et la distillerie, aucun d'eux n'était du métier. Lui était ancien ouvrier forestier, avant de se lancer dans la cartographie d’avalanches et son épouse travaillait à la chambre d’agriculture de la Meuse. Ils ont été accompagnés et formés pendant un an avec la fille aînée de Joannès Colombier qui leur a transmis des savoir-faire autant que des relations. S'ils ont pu reprendre l'entreprise, c'est également parce qu'ils n'avaient que l'outil de travail, la clientèle et le savoir-faire à reprendre car les bâtiments et les terrains appartiennent à l'Académie française à Paris. « C'est quelque chose qui est important parce qu'il faut comprendre que nous, on n'est pas propriétaire du foncier. Nos prédécesseurs n'étaient pas propriétaires du foncier, ce qui allège considérablement une reprise d'entreprise comme celle-ci » insiste le cinquantenaire.
Parmi ces savoir-faire transmis, la célèbre « poire emprisonnée » dans la bouteille d'eau-de-vie. Si certains ouvrent la bouteille pour y ajouter un fruit entier avant de resouder le verre, Stéphane Jay lui, préfère une technique plus ancestrale : « nous, on va les poser dans les arbres. Quand le fruit est petit, passe encore dans le goulot, on va glisser la poire dans le goulot de la bouteille, on va attacher la bouteille dans l'arbre et on va attendre en espérant que le fruit grossisse correctement à l'intérieur et qu'on ait le plus de réussite possible ». En fonction du type de bouteille et de la largeur du goulot, le taux d'échec oscille entre 30% et 80%. La différence de goût avec une bouteille sans la poire - une rondeur - est subtile et détectable essentiellement par les sommeliers, bien que la poire puisse rester jusqu'à un an dans de l'eau-de-vie à 52° avant que la bouteille ne soit vendue et que l'eau-de-vie ne soit changée.
Par contre, la bouteille avec la poire, c'est une bouteille emblématique, qui est surtout un objet de mémoire. On a des clients qui l'ont depuis leurs parents, leurs grands-parents, parce que c'est des bouteilles qui peuvent se conserver 50 ans. Si on rajoute à chaque fois de l'eau de vie, la poire se conserve. Et donc, c'est des gens qui ont plaisir à la voir, à la faire vivre, à la transmettre ou à l'offrir. C'est un objet qui fait vivre notre produit et qui fait vivre quelque chose un peu de transgénérationnel.
Un litre d'eau-de-vie de poire nécessite en moyenne 12 kilos de poires mais « si on veut de la qualité, il faut suffisamment de poire et ça représente effectivement de grosses quantités. On est sur un produit où on ne va pas rechercher économiquement une rentabilité en disant "il faut que je passe de 12 à 8 kilos, comment je pourrais en mettre moins ?" » argumente Stéphane Jay avant de retourner dans son verger où son équipe posent, depuis quelques jours, les premières bouteilles sur les poiriers. Il faudra patienter un peu avant de consommer les poires de 2025.
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. L'alcool est à consommer avec modération.
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