Orchestres Demos, au-delà de la musique, la symphonie du vivre-ensemble
La musique serait-elle un luxe réservé aux catégories les plus aisés ? En France, les études montrent des écarts significatifs de pratique instrumentale selon l’origine sociale. Les enfants de familles modestes, peu exposés à la culture en dehors de l’école, n’accèdent que rarement à un instrument. Pour y remédier, des initiatives comme les Orchestres Démos, lancés par la Philharmonie de Paris ouvrent de nouvelles perspectives. À Lyon, ils sont portés depuis 2017 par l’Auditorium-Orchestre national de Lyon.
Les groupes d'enfants se réunissent plusieurs fois en tutti avec le chef d'orchestre Rémi Durupt avant leur concert - © RCF LyonAu cœur du 8e arrondissement de Lyon, une quinzaine d’enfants se retrouvent deux fois par semaine au centre social des États-Unis. Depuis janvier, ils participent avec plus de 140 autres enfants de la Métropole de Lyon à la nouvelle cohorte des Orchestres Demos. Ces dispositifs d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale sont destinés aux jeunes de 7 à 12 ans n’ayant jamais pratiqué la musique et issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville de Bron, Décines, Grigny-sur-Rhône, Lyon, Saint-Fons, Saint-Genis-Laval, Vaulx-en-Velin et Villeurbanne.
Les groupes répètent 3 à 4 heures par semaine, dans la structure sociale que les enfants fréquentent d’ordinaire, encadrées par deux musiciens et un travailleur social. L’objectif, « c'est surtout de leur faire connaître la musique, de leur faire écouter différentes musiques » explique Angelina Holzhofer, violoniste et intervenante Demos, « et avec ce groupe-là, je suis très agréablement surprise parce qu'ils sont très attentifs et ils ont l'air de beaucoup apprécier les musiques qu'on leur propose. Je n'ai pas toujours eu la même expérience dans d'autres groupes ». Rares sont ceux dans le groupe à avoir déjà été en contact avec des instruments d’orchestre. Comme ses camarades, Danaëlle, 9 ans, n’avait jamais fait de musique avant Demos : « le violon, je connaissais. Le alto et le violoncelle, je ne connaissais pas mais j'en ai déjà vu dans des vidéos ». C’est une copine, dont le frère avait participé à la précédente cohorte, qui encourage la jeune fille à s’inscrire. « Au début, ça m'a fait peur. Mais là, comme j'ai mes copines de l'école, j'ai plus peur. Ma mère au début, elle ne voulait pas m’inscrire mais après, elle a changé d’avis ».
« Certains parents disent que la musique, ce n'était pas pour eux »
Une situation qui n’a rien d’originale car Demos s’adresse à des enfants « qui n'auraient pas eu l'opportunité de pousser la porte d'une école de musique ou d'un conservatoire naturellement, pour des questions de ressources économiques, pour des questions aussi de connaissances sur le territoire d'une école de musique ou parce que parfois, aussi, certains parents disent que la musique ce n'était pas pour eux » explique Cécile Martinon, la coordinatrice du dispositif Orchestre Demos Lyon Métropole pour l’Auditorium – Orchestre National de Lyon. Pour lever ces freins et encourager des enfants éloignés à bénéficier de cet accès privilégié à la pratique instrumentale, le projet repose sur un partenariat avec des structures sociales qui accompagnent les jeunes tout au long du projet.
On a vraiment voulu que ce soit un projet de territoire qui soit adapté aux ressources, aux acteurs de chaque petit groupe. Il faut que les enfants soient issus d'un territoire en politique de la ville. On va rechercher dans la mesure du possible à avoir une mixité dans le groupe, autant de filles que de garçons parce qu'on sait aussi que la musique est pleine de représentations et qu'on veut que chacun ait sa place dans le projet. On va aussi être attentifs à l'accompagnement de la famille. Et puis c'est surtout et avant tout, l'envie de l'enfant.
Mais Demos dépasse l’expérience d'orchestre pour Rémi Durupt, le chef d’orchestre qui va guider les enfants lors de leur premier concert du 22 juin à l’Auditorium : « c'est une forme de discipline formidable. C'est pour ça, d'ailleurs, que ce projet est formidable. Ça apporte un lien social, une cohésion sociale. Ça dépasse même la musique, en fait. C'est un projet de société, d'humanité, de jouer avec l'autre, d'être avec l'autre, avec un même sens, un même but. Et c'est très fort de respecter l'autre, tout simplement, de l'entendre, de le prendre en considération ».
Un instrument confié gratuitement aux enfants, pour trois ans
Pour favoriser ce vivre ensemble, les musiciens en herbe ont commencé l’année avec des ateliers danse et chant. Avec des exercices de body percussion, les enfants apprennent à prendre conscience de leur corps et de l’espace. « C'est hyper important pour se rencontrer, se faire confiance, s'écouter, avoir une conscience des autres. Si on ne commence pas déjà par s'harmoniser, ça va être compliqué pour le reste. C'étaient des enfants qui ne se connaissaient pas du tout et il y a déjà une super expérience et une super atmosphère entre eux » constate Lisa Magnan, intervenante Demos en danse. L’interdisciplinarité est au cœur du projet et permet aussi aux professionnels de partager leurs compétences.
En mars, tous les enfants ont reçu gratuitement un instrument qu’ils conserveront pendant les trois ans du dispositif. L’ensemble des groupes locaux forme un orchestre symphonique avec des cordes (violon, alto, violoncelle), des vents (flûte, clarinette, hautbois, basson), des bois et des cuivres (trompettes, trombones, euphoniums, tubas) sans pupitres de percussion ni contrebasse. Depuis, ils apprennent à jouer leurs premières notes sur des morceaux faciles comme Deux tambourins, l'eau, de Jean Féry Rebel. L’apprentissage se fait à l’oral en première année, la lecture de la musique et l’apprentissage du solfège ne commençant qu’en deuxième année.
Chacune des trois années que dure l’expérience Demos est ponctuée par un concert. À l’issue du dispositif, les enfants qui souhaitent poursuivre la pratique instrumentale peuvent conserver l'instrument qui leur a été fourni. « C'est d'autant plus pertinent qu'ils pourront poursuivre dans l'école de musique ou le conservatoire avec leur instrument, et que la discipline instrumentale qui est la leur aujourd'hui sera bien dispensée dans l'école de musique ou le conservatoire car dès le départ, la répartition instrumentale s'est faite aussi au regard des ressources qui existent sur leur commune » précise Cécile Martinon.
Dans les précédents orchestres, 60% des enfants poursuivent généralement la musique. C’est le cas de Liam, à Décines-Charpieu. Après un concert à la Philharmonie de Paris en juin 2024 qui a beaucoup ému sa maman, Nacera, il a conservé sa clarinette pour suivre des cours de musique près de chez lui. D’autres abandonnent la musique mais se mettent au hip-hop, au chant ou s’engagent dans des actions collectives comme un conseil municipal de jeunes.
Le premier trimestre d'ateliers a été consacré à de la danse et du chant - © RCF Lyon
Les enfants ont pu expérimenter la body percussion pour prendre conscience de leurs corps - © RCF Lyon
Les ateliers sont animés par deux musiciens et un travailleur social - © RCF Lyon
Les groupes locaux se retrouvent toutes les 6 semaines en tutti, des répétitions générales avec le concert - © RCF Lyon
Tous les instruments d'un orchestre symphonique sont représentés - © RCF LyonConcert de l'Orchestre Demos Lyon Métropole le dimanche 22 juin à 13h30 à l’Auditorium - Orchestre National de Lyon dans le 3e arrondissement.
Entrée gratuite.


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