COP30 et Laudato Si’ : une difficile continuité ?
Dix ans après la publication de l'encyclique Laudato Si’ et la signature de l’Accord de Paris sur le climat, la 30ᵉ COP s’est ouverte le 10 novembre dernier en Amazonie brésilienne avec l’attente d’engagements concrets de la part des 190 pays représentés. Pour évoquer ce sujet, à la lumière des écrits de François sur ces questions, les invités de Julien Bal dans l'émission de décryptage de RCF étaient le dominicain Laurent Mathelot et le prêtre diocésain dominicain Serge Maucq.
D. R. Une COP de la concrétisation des engagements
Cette COP, organisée en Amazonie, se tient dix ans après la publication de l’encyclique Laudato Si’ du pape François et dix ans après les accords de Paris. Les organisateurs la présentent aujourd'hui comme une conférence de la mise en œuvre plutôt que des idées nouvelles. Chaque pays est invité à déposer un plan national actualisé de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce contexte, Serge Maucq rappelle l’ancienneté, mais aussi l’utilité de ce rendez-vous planétaire : "La COP est une institution plus que trentenaire née dans le sillage du sommet de Rio en 1992. Elle a l'avantage de permettre de refaire le point et de montrer que les signes d'évolution ne sont pas positifs. On peut critiquer la COP, mais je crois qu'il faut maintenir ce rendez-vous, car c’est aussi le rendez-vous du développement humain intégral. Au-delà des questions climatiques au sens strict, je crois que, par l'apport de Laudato si’ notamment, on s'est finalement rendu compte que... "Tout est lié"".
Pour les deux prêtres, l’Église ne pèse sans doute pas lourd dans la diplomatie climatique, mais elle apporte une parole transversale, à la croisée du social, du spirituel et de l’écologique : "Dans ce processus, que pèse l'Église ? Interroge Serge Maucq. Que pèsent les chrétiens dans ce débat. Probablement assez peu de choses quantitativement parlant. Mais je crois que nous sommes une multinationale, nous aussi, et que cette multinationale, eh bien, elle a une voix, elle aussi, et que cette voix est utile".
Frère Laurent tient par ailleurs à insister sur le caractère volontairement modeste de cette 30ᵉ conférence, pensée comme une étape de consolidation des engagements existants plutôt que comme une COP de rupture : "Cette trentième COP ne s'est pas donnée de grandes ambitions. Elle se propose justement de renforcer les engagements qui ont été pris, de cimenter et d'assurer véritablement les fondements de ce qui avait été précédemment décidé, notamment de mobiliser 1,3 milliard de Dollars en faveur des pays en développement. C'est, je pense, une étape de consolidation : comment se donner les moyens des ambitions qui sont déjà en deçà de la réalité ?"
Alertes scientifiques et impatience sociale
Dès l’ouverture, le ton a été donné par les responsables scientifiques et onusiens. Selon Jim Skea, président du GIEC, il est désormais "presque inévitable" que le réchauffement dépasse 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Pour Simon Stiell, patron de l’ONU Climat, partant de ce constat partagé, "se lamenter n’est pas une bonne stratégie". Autrement dit, les trajectoires actuelles rendent très improbable le respect de la borne symbolique fixée à Paris, malgré les COP successives, les négociations et les appels à la responsabilité depuis dix ans.
Cette tension entre multiplication des rendez-vous diplomatiques et insuffisance des résultats a eu des effets sur les lieux mêmes de la conférence. Peu après l’ouverture de la COP en effet, des manifestants – en particulier des membres de la tribu Tupinambá, fomentés par des militants de gauche du PSOL – ont fait irruption sur le site, certains en tenue traditionnelle, d’autres brandissant des bâtons. Ils réclamaient une taxe sur les grandes fortunes pour financer les politiques climatiques et abonder les fonds promis aux pays les plus vulnérables. La question du rôle des ultra-riches et de l’outil fiscal se heurte toutefois à la crainte récurrente d’une "écologie punitive", notamment dans les milieux les plus aisés.
Face à ces colosses économiques, à la puissance des multinationales et à l’inertie des États, la tentation du découragement est grande. Serge Maucq plaide au contraire pour la persévérance des citoyens et des mouvements de base : "J'aime bien cette expression : "des fourmis décidées peuvent ébranler un éléphant". Oui, je crois à cela. L'inverse, ce serait la capitulation en race campagne, en se disant, face à ce poids des multinationales, face à ces colosses économiques, on peut rien faire. Ce n'est pas vrai. Je le dis. ne rentrons pas dans un scénario dépressif. Je crois que ce serait renforcer une spirale de la dépendance".
Sur le terrain, beaucoup de citoyens affirment déjà "faire leur part" : réduire leur consommation de viande, trier leurs déchets, limiter certains déplacements. Mais ces efforts contrastent avec le poids du transport maritime et aérien dans le commerce mondial, ou encore avec les décisions à rebours de certains dirigeants climato-négationnistes.
Une COP où Trump brille par son absence
L’absence du président américain, qui a présenté le réchauffement climatique comme "la plus grosse arnaque du siècle", illustre pour Frère Laurent le décalage entre la mobilisation citoyenne et l’engagement des grandes puissances. Les gestes individuels apparaissent alors à la fois nécessaires et insuffisants : "Oui, nos démarches sont a priori insuffisantes. Nous n'arrivons pas à rattraper ce dérèglement climatique. Les ambitions ne sont pas à la hauteur des enjeux. Tout le monde le sait. Et nous savons que nous avons des États-Unis tournés vers leur nombril, à savoir que America first, ce slogan dit bien ce qu'il veut dire. L'ami Trump, il met en place cette politique-là : l'industrie américaine va refaire des voitures, aller chercher des hydrocarbures en Alaska, il faut absolument que l'économie américaine tourne, tourne, tourne".
Certains observateurs soulignent que le protectionnisme américain favorise une part de relocalisation industrielle, ce qui pourrait limiter certains flux de marchandises, mais cette inflexion reste loin de compenser le choix massif en faveur des énergies fossiles.
Pour Laurent Mathelot, l’Occident ne peut de toute façon pas se défausser de ses responsabilités passablement glissées sous le tapis de la mondialisation : "Nous, Européens, sommes-nous si irréprochables que ça ? Nous achetons presque tout ce que nous consommons en Chine. Nous avons délocalisé notre pollution. On ne produit plus grand-chose en Europe en termes de grande industrie. En revanche, nous achetons tout à la Chine, donc tout arrive chez nous par cargo. Et il est vrai que le transport est l’un des facteurs importants de l’empreinte écologique. Ce n’est pas le seul : Internet commence à le dépasser. Nous sommes les plus grands pollueurs. L’Occident, par ses achats, par son mode de vie – même s’il ralentit – reste le plus grand pollueur. Ce n’est pas le petit paysan chinois qui achète énormément de choses sur Internet : lui, il les produit".
L’enjeu des COP dépasse donc les accords techniques : ces rendez-vous ont aussi une dimension pédagogique, destinée à faire évoluer imaginaires et comportements : "En réalité, ces COP ont aussi pour mission d’éduquer un peu, à l’échelle globale, de sensibiliser le monde, chacun d’entre nous. Et puis, Trump n’est pas éternel" poursuit frère Laurent Mathelot.
Serge Maucq lui emboîte le pas, en rappelant que les difficultés tiennent aussi à la lenteur de nos conversions collectives : "Trump n'est certes pas éternel, mais notre nature humaine, paresseuse, elle est éternelle. Il suffit de voir à quel point, après l’épidémie de Covid, il y a une prise de conscience des circuits de distribution, etc., et qu'en quelques mois, tout cela a été balayé, en moins de temps d’ailleurs qu'il faut pour le dire. La montagne de la persuasion et de la prise de conscience, c'est un fameux Everest à escalader. Mais il faut le faire, pas à pas, ne pas renoncer, surtout pas..."
Une COP pour rien ou pour plus tard ?
Selon nos invités en somme, la COP30 rappelle que la lutte contre le dérèglement climatique est à la fois une bataille de chiffres, de justice au sens large et de conversion intérieure – un chemin à gravir "pas à pas", sans céder, si possible, ni au déni ni à la résignation.


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