Pêche durable, un défi pour les Hauts-de-France
À l’approche de la 3e Conférence de l’ONU sur l’Océan à Nice, la question de la pêche durable s’impose dans les Hauts-de-France, première région halieutique française. Comment concilier consommation, préservation des ressources et adaptation des modèles économiques dans un contexte de changement global ?
Une émission co-réalisée par Raphaëlle Remande, journaliste à la Voix du Nord et Anne Henry, journaliste à RCF Hauts de France.
Emission spéciale Voix du Nord - RCF Hauts de France avec Anne Henry, Raphaëlle Remande, Justine Delettre et Olivier Leprêtre Crédit Emilien Vandenbussche RCF Hauts de France Mondialement, plus de 38 % des stocks de poissons sont surexploités. Toutefois, la France progresse : 46 % de ses stocks sont aujourd’hui en bon état, contre seulement 37 % en 2015. Une donnée encourageante mais la situation reste préoccupante. Selon l’antenne de l’Ifremer, Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, basée à Boulogne-sur-Mer premier port de pêche français (28 000t/an en 2024), un poisson sur quatre est aujourd’hui en situation de surpêche. Face à ce constat, la question de la consommation responsable prend tout son sens.
Comment consommer durablement ?
Pour Justine Delettre, coordinatrice du programme Mr Goodfish piloté par Centre de la mer Nausicaa à Boulogne, il est possible de consommer un « poisson durable ». C'est-à-dire un poisson dont on respecte la saisonnalité et le repos biologique afin de permettre le renouvellement des populations. Elle recommande également de manger moins de poissons importés comme le saumon ou la crevette. Avec 70 espèces débarquées à Boulogne, il n’est pas nécessaire d’aller chercher plus loin : il suffit d’être curieux dans ses choix.

Dans le programme Mr Goodfish, elle est amenée à travailler avec des restaurateurs. Elle recommande de privilégier la pêche du jour ou les poissons locaux pour non seulement soutenir la filière régionale, mais aussi préserver la ressource pour les générations futures.
Olivier Leprêtre, président du Comité régional des pêches marines et élevages marins basé à Boulogne, souligne notamment les difficultés rencontrées à cause du réchauffement climatique :
Les eaux sont plus chaudes, donc on n'a plus affaire aux mêmes espèces. Le thon rouge est ainsi apparu en masse, ce qui pose problème car nous n’avons pas de quota pour pouvoir le pécher et le débarquer.
Mais à noter que la Baie de Seine et la Côte d’Opale présentent aujourd’hui le plus gros gisement de coquilles Saint-Jacques. C’est d’ailleurs la seule espèce gérée uniquement par les professionnels de la pêche, sans l’intervention de l’UE.
L’alternative au chalut de fond
Le choix des techniques de pêche est au cœur du débat sur la durabilité. Le chalutage est souvent pointé du doigt : il est accusé de détruire les fonds marins, d’impacter les populations juvéniles et de provoquer une véritable « déforestation » des habitats sous-marins. Face à ces impacts, de nombreuses associations réclament l’interdiction pure et simple de cette méthode dans les AMP de France, Aires marines protégées (c’est déjà le cas en Grande-Bretagne depuis le 22 mars 2024 avec des amendes importantes en cas de non respect).
Il convient toutefois de distinguer le chalutage pélagique, qui cible les poissons dans la colonne d’eau, du chalutage de fond, beaucoup plus destructeur car il racle littéralement le plancher marin. Cette distinction est essentielle, notamment dans les Aires marines protégées où la préservation des écosystèmes est une priorité.

Olivier Leprêtre ne comprend pas cette critique du chalut de fond : « J’ai derrière moi cinq générations de patrons de pêche. Si les fonds marins étaient détruits, il y a très longtemps qu’il n’y aurait plus de poisson». Le processus de « déchalutisation » (c’est-à-dire la transition vers des techniques moins invasives) pose lui aussi de nombreux défis. Il représente un « coût économique important pour les pêcheurs », comme le souligne Olivier Leprêtre. Pour Justine Delettre, si le chalut venait à être interdit, le prix du poisson grimperait en flèche, posant un vrai problème social, et risquerait de déplacer la pression de pêche vers d’autres techniques ou d’autres zones. Par ailleurs, selon Didier Gascuel professeur en écologie marine, 50% des subventions européennes vont au chalutage de fond. Se priver de ces aides poserait problème à une filière en crise depuis 25 ans avec l’emploi divisé par trois et le nombre de navires divisé par deux.
Solutions économiques et technologiques
Le boulonnais Le Garrec et Compagnie a pourtant réussi ce pari de stopper le chaut de fond sur une flottille de 8 navires, en passant à la palangre (technique qui permet de pêcher moins mais que des gros poissons) dans les Terres australes, « grâce à un prix élevé du poisson péché sur place et à un nombre d’opérateurs de pêches limité » souligne son directeur général Antoine Le Garrec.
D’ailleurs, un récent rapport « S’affranchir du chalut » réalisé par des scientifiques de l’institut Agro et le Muséum national d‘histoire naturel soulignent que 85% des volumes de poissons capturés par les chaluts de fonds pourraient être péchés par des techniques de pêche moins impactantes comme les lignes, les casiers ou les filets.
Justine Delettre met en avant les innovations technologiques qui permettent de limiter l’impact sur les fonds marins comme l’utilisation de « boudins roulants qui réduisent le contact avec le sol », ou encore l’installation de caméras pour surveiller les prises. Pour Olivier Leprêtre,
ce qui tue, c’est le gigantisme, aussi bien pour les espèces que pour les fonds.
Il rappelle qu’il n’existe pas de « mauvaise technique » en soi, mais de mauvaises pratiques : la clé réside dans la gestion raisonnée, l’innovation et l’adaptation continue des méthodes de pêche. Le président du Comité régional des pêches évoque ainsi le chalut à moindre impact La Frégate, présenté en 2024, qui effleure le fond, plus léger, conçu avec l’Ifremer mais bloqué dans son développement : « Malheureusement, on ne peut pas poursuivre le projet car la réglementation ne suit pas. »
Création de réserves à poissons
Avec une consommation moyenne de 34 kilos de produits de la mer par an et par habitant, la question d’une gestion équilibrée des ressources halieutiques se pose. La réglementation joue un rôle clé, mais elle doit être élaborée en concertation avec les professionnels du secteur. Olivier Leprêtre insiste sur ce point : « La discussion n’est pas bloquée, mais il faut énormément d’écoute des professionnels pour comprendre le métier. » Il salue d’ailleurs l’écoute des pouvoirs publics, tout en exprimant ses craintes à l’approche de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) : « Il ne faut pas interdire la pêche dans les aires marines protégées, ce serait une catastrophe, les pêcheurs auraient beaucoup de mal à s’en sortir. » Et ce d’autant plus que dans les Hauts-de-France (Manche et sud de la Mer du Nord), le long des 250 km de côte, 83% du territoire de pêche est couvert par des AMP (Zone Natura 2000, parc marin …).
Pourtant, certains avancent des pistes concrètes comme François Chartier, chargé de campagne océan chez Greenpeace. A l’appui d’un rapport produit avec le CNRS en avril 2025, il milite pour redéfinir la taille des AMP par secteur et pour interdire la pêche de façon stricte dans 10% des AMP :
Ce qui a été montré en Méditerranée, c’est que grâce à la protection stricte, l’effet débordement est efficace et rapide. Il y a un effet bénéfique pour la pêche, en terme de volume et de taille de poissons. Cela devient une réserve à poissons et une solution pour augmenter les captures.
Des propositions sur lesquelles Olivier Leprêtre serait prêt à discuter, « même si nous travaillons déjà pour définir des zones de protection forte, qui seront interdites au chalut, avec l’OFB, le Parc marin et les services administratifs. On est sur le point d’aboutir. »
L’enjeu est donc de concilier impératifs écologiques et réalités économiques. Justine Delettre souligne l’importance de solutions concertées, construites progressivement avec les acteurs de la filière, pour éviter des décisions brutales qui mettraient en difficulté toute une profession. Elle rappelle que la durabilité repose sur trois piliers indissociables : « l’écologie, l’économie et le social. » Et pour Olivier Leprêtre, il en va de la survie de la profession :
Ce sont des métiers qui se transmettent de père en fils. Si on fait n’importe quoi avec la ressource, mon fils n’aura plus rien à pêcher.
Le Comité national des pêches marines sera présent à l’UNOC3 du 9 au 13 juin, pour suivre les négociations durant la 3ème Conférence internationale de l’ONU sur l’Océan à Nice. Et quelques acteurs des Hauts-de-France seront présents : Nausicaa, Le Garrec et Compagnie, Décatlon, Aquimer, Unipêche et Boulogne-sur-Mer développement Côte d’Opale.
=> Pour retrouver le débat en vidéo : Océan, quelle pêche durable dans les Hauts-de-France ?
=> Pour accéder aux podcasts écologiques « Commune Planète » Voix du Nord - RCF Hauts de France


Dédiée à l'écologie intégrale, l’émission Commune Planète vous fait découvrir des solutions qui respectent l'environnement et les plus fragiles. A travers des rencontres, des reportages et des décryptages, Commune Planète cherche à comprendre les enjeux du réchauffement climatique, de la perte de la biodiversité et tente de répondre aux questions qui fâchent avec lucidité et espérance.
Une fois par mois l'émission et co-produite et co-diffusée en partenariat avec La Voix du Nord.
