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Violence d'État et guerres de religions, enjeux de pouvoir et autres manipulations

RCF, le 1 août 2018 - Modifié le 18 avril 2024

L'histoire de France est marquée par la violence d'État et les guerres de religion. Quels sont les ressorts de la violence ? Comment passe-t-on de la religion à la guerre de religion ?

Wikimédia Commons - "La Saint-Barthélémy dans sa seconde phase, celle des tueries généralisées, fut un drame de la peur de l'autre", écrit Arlette JouannaWikimédia Commons - "La Saint-Barthélémy dans sa seconde phase, celle des tueries généralisées, fut un drame de la peur de l'autre", écrit Arlette Jouanna

Alors que nous nous étonnons parfois de la prolifération de la violence religieuse ou de la violence d'État, Frédéric Mounier s'interroge sur la façon dont l'histoire de France est elle-même marquée par la violence d'État et les guerres de religions.

Derrière les mouvements de violence religieuse en apparence spontanés, il y a toujours, sans exception, des enjeux de pouvoirs, de manipulation


S'habituer à la violence ?


Les guerres de religion, la guerre de Cent Ans, la Fronde, la Révolution, la Restauration... Notre histoire le montre, pendant les périodes de troubles, on s'habitue à la violence. D'une part parce que l'État qui voit son pouvoir menacé y a recours. Et aussi, comme le décrit Benoît Garnot, auteur de La peine de mort en France (éd. Belin), c'est "une ambiance" où l'on s'attend à voir les "criminels punis sévèrement". Ainsi, durant les trois ou quatre années qui ont suivi la Libération de 1945, on a vu le nombre d'exécutions capitales tripler par rapport à avant la Seconde Guerre mondiale.

Si l'on veut comprendre quelque chose aux tensions entre chiites et sunnites, et même à toutes les tensions intercommunautaires, non seulement "on peut mais on doit" faire le parallèle avec ce qui a pu se passer dans l'Occident médiéval, pour l'historien Julien Théry. Une "construction fantasmatique" du voisin dangereux, accompagnée d'un discours simpliste - "c'est eux ou nous", et qui relève d'un type de mécanisme de peur. Que l'on ne cesse d'observer dans les grandes périodes de troubles.


La Saint-Barthélémy, de la justice préventive à la tuerie de masse


L'exemple de la Saint-Barthélémy l'illustre bien. Comme le précise Arlette Jouanna, auteure du remarqué La Saint-Barthélemy (éd. Gallimard), on devrait dire les Saint-Barthélémy au pluriel car à Paris, il y en a eu deux. Celle, royale, décidée par le conseil du roi Charles IX, dans la nuit du 23 au 24 août et qui visait "seulement" les chefs protestants. Ensuite, la vague de violences s'est étendue à Paris et visait tous les protestants, avec un pic de violence atteint dans la nuit du 24 août et qui a ensuite atteint 15 autres villes en Province. Au total, on a compté environ 10.0000 morts, dont 3.000 à Paris.

"Jusqu'à une date assez récente prévalait encore la conviction que des faits aussi barbares que la Saint-Barthélémy appartenait à la sauvagerie d'un siècle révolu, et que leur retour était impensable et ces temps devenus civilisés. La résurgence actuelle des tensions intercommunautaires fait renaître un doute sur les freins que la civilisation pourrait opposer au déchaînement de la violence.
La Saint-Barthélémy dans sa seconde phase, celle des tueries généralisées, fut un drame de la peur de l'autre, incitant à ressentir la différence comme une menace et notamment à confondre altérité religieuse et subversion. Ces phobies et ces angoisses, ces déformations du regard ne sont-elles pas toujours prêtes à ressurgir ?"
Arlette Jouanna, "La Saint-Barthélémy" (éd. Gallimard)


Ce que montre Arlette Jouanna c'est que la décision de Charles IX d'éliminer les chefs protestants relève d'une "justice extraordinaire", selon l'expression même du roi. On est dans le registre d'une justice préventive étendue à "une guerre d'éradication visant à extirper méthodiquement les adversaires qui menacent la sécurité". Pour l'historienne, il y a des "parallèles à établir" entre cette tuerie de masse parisienne au XVIè siècle, et ce que l'on a vu plus tard dans les Balkans, en ex-Yougoslavie, au Rwanda. Où exterminer son voisin relevait de la légitime défense, selon le scénario "c'est eux ou nous".


La définition de "l'hérétique", violence religieuse ou politique ?


"Le grand précurseur dans la définition de l'hérésie dans le midi, et dans sa répression, c'est le roi d'Angleterre qui était aussi duc d'Aquitaine et qui avait des vues sur les terres du comte de Toulouse", explique Julien Théry. Souverain qui a construit l'idée selon laquelle l'Occitanie était alors peuplée d'hérétiques. Et à mesure que le supplice par le feu - symbole de purification - réservé aux hérétiques, s'est généralisé dans la seconde moitié du XIIe siècle en Europe, le nombre de personnes entrant dans la catégorie des hérétiques - les juifs, les lépreux, les sorcières, les homosexuels masculins, les prostituées - s'est peu à peu élargit de façon "démesurée", note l'historien, au gré des circonstances et des jeux de pouvoir.

"Les études sociologiques montrent que derrière les mouvements de violence religieuse en apparence spontanés, il y a toujours, sans exception, des enjeux de pouvoirs, de manipulation", affirme l'historien, traducteur de "Hérétiques - Résistances et répression dans l'Occident médiéval" (éd. Belin), un ouvrage de Robert Ian Moore - dont l'auteur lui-même a déploré que ses lecteurs ne concluaient qu'à une violence religieuse. "Alors que lui a passé son temps à montrer comment il y a une manipulation permanente de la part des pouvoirs politiques", remarque Julien Théry.

Émission réalisée en décembre 2017

 

 

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