Résistants chrétiens : une face sombre et l'autre lumineuse
On a beaucoup parlé de la lettre de Mgr Jules Saliège, lue dans les synagogues et les églises cet été. Avec Mgr Pierre Gerlier ou Mgr Paul Rémond, il fait partie de ces évêques pétainistes déclarés Justes parmi les nations. Un double-jeu ? On a entendu tout et son contraire sur la place des chrétiens durant la Seconde Guerre mondiale en France. Enquête sur une réalité complexe.
Edmond Michelet, l'archétype du résistant chrétien
Il a été l’un des premiers résistants catholiques français. Le 17 juin 1940, Edmond Michelet (1899-1970) déposait déjà des tracts dans les boîtes aux lettres de Brive, juste avant le fameux discours du général de Gaulle. Qu’est-ce qui a poussé un notable à la vie tranquille à prendre de tels risques ? "Je pense que c’est dans la continuité de son engagement chrétien et dans son engagement social", répond Jérôme Cordelier. On retrouve d'ailleurs cela chez tous ces résistants chrétiens, comme "un engrenage naturel". C'est l'un des enseignement que le rédacteur en chef du Point a tiré de son enquête, pour son livre "L'espérance est un risque à courir - Sur les traces des résistants chrétiens, 1939-1945" (éd. Calmann-Lévy).
Dans son livre, Jérôme Cordelier fait la part belle aux résistants chrétiens peu connus, du simple prêtre au paroissien ignoré de la grande Histoire. Des personnalités qui se sont engagées en rupture avec leur hiérarchie et leur milieu. Des histoires étonnamment peu connues, mais qui sont autant de "leçons de courage inouïes". "Hannah Arendt a montré la banalité du mal avec le procès Eichmann ; ce que j’ai vraiment découvert en faisant cette enquête c’est qu’il y avait une espèce de conjuration du bien."
Hannah Arendt a montré la banalité du mal avec le procès Eichmann ; ce que j’ai vraiment découvert en faisant cette enquête c’est qu’il y avait une espèce de conjuration du bien
Les chrétiens et Vichy, une instrumentalisation réciproque
Pour Jérôme Cordelier y a "deux faces" dans l’attitude des chrétiens pendant la guerre et l’occupation, une face lumineuse et l’autre sombre, qui a tendance à occulter la première. Il y a bien eu un "pacte sacré entre la hiérarchie de l’Église" et le régime de Vichy. L’auteur de "L'espérance est un risque à courir" évoque une "instrumentalisation mutuelle", où Pétain a voulu "utiliser l’Église pour pouvoir embrigader les esprits". D’un autre côté, séduits par la "restauration d’un ordre moral", "les cardinaux se reconnaissaient dans le triptyque : travail, famille, patrie".
Échaudé par l’anticléricalisme de la IIIe République, porté par un antibolchevisme viscéral, inquiet du mythe maçon, le haut clergé a manifesté une confiance absolue à Vichy. Ajouté à cela un "antisémitisme viscéral", précise Jérôme Cordelier, qui parle d’une "fascination" pour le régime de Vichy. Il faut voir dans sa politique nataliste, sa condamnation de l’adultère, ou encore ses aides aux écoles privées, les preuves d’un "numéro de séduction" de Pétain vis-à-vis de l’Église - "Pétain le mécréant", souligne Jérôme Cordelier. "C’est très important cette séduction… il a y eu une instrumentalisation politique vraiment de Pétain, qui s’est entouré de gens catholiques et protestants."
Les deux faces de l’attitude chrétienne pendant la guerre
Certaines personnalités de l’Église catholiques sont représentatives de ces deux faces. Ainsi, Mgr Pierre Gerlier (1880-1965), archevêque de Lyon. Connu pour sa formule "Pétain c’est la France", il n’en a pas moins couvert des filières d’évasion, ou aidé les Cahiers du Témoignage chrétien. Mgr Paul Rémond (1873-1963), évêque de Nice, affichait un pétainisme assumé ; il figure aujourd’hui au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, comme Juste parmi les nations. Mgr Jules Saliège (1870-1956), archevêque de Toulouse, est un autre exemple de pétainiste zélé devenu Juste parmi les nations.
Ont-ils affiché des convictions qui plaisaient à Vichy pour cacher leurs filières ? Ont-ils été sincèrement attachés à la Révolution nationale et réellement humanistes à la fois ? C’est sans doute "un peu de tout cela, répond Jérôme Cordelier, c’est la pâte humaine." Pour le rédacteur en chef du Point, la face lumineuse de la résistance chrétienne "rachète" les compromissions de la hiérarchie. En 1997, sous l’égide du cardinal Lustiger, l’Église de France a publié une déclaration de repentance sur son attitude d’inféodation. "On peut quand même s’étonner de cette réaction tardive même si le texte était magnifique…"
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