Quand Ennio Morricone partait à la conquête du western
En 1964, un Italo-américain du nom de Sergio Leone réinvente le western, avec des moyens modestes et une esthétique puissante mais surtout une bande son originale qui n’a rien à voir avec les canons hollywoodiens. Sifflements, guitares électriques, voix humaines, coups de fouet, cloches d’église, il veut une musique à la hauteur de ses visions et fait appel à un vieux camarade d’école primaire jadis à Rome, Ennio Morricone, qui va composer une musique capable de remplacer les dialogues. Allait naître le western spaghetti, monument de la pop culture des années 70. Retour en 6 films clés.
1-Pour une poignée de dollars en 1964 : l’acte fondateur
En 1963, Sergio Leone s’apprête à tourner un western inspiré de Kurosawa et des 7 Mercenaires, avec un budget minuscule. Le film s’appelle Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari) et c’est film italien mais tourné en Espagne et avec un acteur américain, inconnu ou presque, qui va tout changer. Tout droit sorti de la série Rawhide, Clint Eastwood a encore tout a prouvé mais le western, il connaît. Et pour donner chair au film, Sergio Leone veut une musique incarnée, grandiloquente. Ce sera Dan Savio qui va s’en charger. En réalité Ennio Morricone sous pseudonyme. Ce qui frappe immédiatement chez Leone, c’est le rythme, ses gros plans, et ses silences pesants. Ennio Morricone fait preuve d’une inventivité sans borne : des sifflements, des coups de fouet, des guitares électriques, une voix féminine, celle d’Edda dell’Orso comme un instrument. Il n’a pas d’orchestre philharmonique mais crée une signature sonore immédiatement reconnaissable.
2- Le Bon, la brute et le truand en 1966 : le meilleur de la trilogie dite "du dollar"
Le titre Ecstasy of gold, l’extase de l’or, est sans aucun doute la "master piece", la pièce maîtresse, du film Le Bon, la brute et le truand (ll Buono, il brutto, il cattivo). Sergio Leone et Ennio Morricone atteignent un sommet en 1966 avec le film le plus connu de la trilogie, dite "du dollar", le plus ambitieux aussi. Il mêle humour noir, quête absurde de l’or, et horreur de la guerre. Et encore une fois, la musique structure tout.
Dans The Ecstasy of gold, il y a clairement une montée en tension, et la voix troublante de soprano d’Edda Dell' Orso élève la quête de l’or au rang de tragédie antique. C’est la scène où Tuco, joué par Eli Wallach, court dans le cimetière à la recherche de la tombe. Un moment où la musique prend alors le pouvoir sur le montage. Avec ses deux notes sifflées devenues légendaires et la reproduction du cri du coyote, le thème principal du Bon, la brute et le truand est un appel sans équivoque. Ennio Morricone convoque la bête, le désert et le mystère. Chaque personnage a son motif, associé à un instrument : la flûte pour Clint Eastwood alias Blondin, la guitare électrique pour Tuco, le hautbois pour Sentenza joué par Lee Van Cleef. Avec plus de 6 millions de spectateurs rien qu’en France, le film sera celui de la trilogie qui fera le plus d’entrées et de recettes.
3-Il était une fois dans l’Ouest en 1968 : le chef-d’œuvre absolu
Restons dans le haut du panier pour le chef d’œuvre de Leone et Morricone en 1968, soit le quatrième western spaghetti en quatre ans, incroyable exploit, avec Il était une fois dans l’Ouest (C'era una volta il West).
C’est peut-être le plus beau western spaghetti jamais réalisé. Et c’est aussi la preuve qu’un genre populaire peut atteindre le sublime. Avec Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Leone est au sommet de son art. Il fait appel à Charles Bronson, Claudia Cardinale, et Henry Fonda dans un film plus lent, plus ample, et plus tragique aussi. Il n’est plus question de parodie ou de dérision. Il était une fois dans l’Ouest est un requiem.
La musique a été enregistrée avant le tournage et Leone demande aux acteurs de jouer en écoutant les morceaux sur le plateau. Une manière de faire ressentir le temps au cœur de chaque plan. A ce titre, le morceau le plus connu, associé au personnage de Claudia Cardinale (Jill McBain) est une œuvre d’art. Ennio Morricone compose une partition lyrique, presque wagnérienne.
4-Un Génie, deux associés, une cloche en 1975 : Beethoven à la sauce spaghetti
En 1975, pour Un Génie, deux associés, une cloche (Un Genio, due compari, un pollo), Ennio Morricone s’amuse avec les codes du western spaghetti, avec une ironie assumée, parfois même burlesque. On est à la fin de l’âge d’or du western spaghetti. Le genre s’essouffle, et les codes sont connus, parfois même caricaturaux. Damiano Damiani tourne un western parodique, dans la lignée des succès comiques de Terence Hill, qui tient d’ailleurs ici le rôle principal. On y suit un arnaqueur malin, un pseudo Robin des bois de l’Ouest, dans une série de manigances improbables, entre farce et aventure. Morricone se lâche totalement. Il pastiche et cite Beethoven dans La Cavalcata per Elisa, une sorte de chevauchée décalée, traversée par les premières notes reconnaissables de la Lettre à Élise. Une manière de désacraliser la musique classique et de la faire entrer dans le grand cirque du western à l’italienne.
5-Mon Nom est Personne en 1973 : quand le mythe parodie le mythe
La Horde sauvage est un des deux célèbre morceau extrait de Mon Nom est Personne (Il mio nome è Nessuno), sorti deux ans plus tôt et que l’on doit à Tonino Valerii, mais produit et largement influencé par Sergio Leone, avec Henry Fonda et également Terrence Hill dans un fameux mano a mano. La Horde sauvage, c’est en fait un clin d’œil musical à Pour une poignée de dollars, réutilisé ici de manière ironique. On y retrouve les coups de feu, les cris, les rythmes secs typiques du western spaghetti, mais dans un contexte plus distancié, agrémenté par un incroyable bruitage généré par l’usage d’un klaxon. Morricone se cite lui-même, mais avec un léger sourire au coin des lèvres. Comme si la musique elle-même savait que cette époque touche à sa fin. Légende du western classique américain, Henry Fonda incarne Jack Beauregard, un vieux tireur fatigué ; et Terence Hill, acteur emblématique du western comique italien, joue "Personne", un jeune admirateur malicieux et décalé.
Le film mêle hommage et ironie, regard tendre et regard critique. Il évoque la mort du western, la fin d’une époque héroïque. Leone, en filigrane, y dit adieu à son propre mythe.
Ennio Morricone écrit un hommage, une mélodie ample, pleine de nostalgie.
6-Les Huit Salopards en 2015 : enfin l’Oscar pour Ennio Morricone
En 2016, Ennio Morricone est enfin couronné par un Oscar, neuf ans après avoir reçu un Oscar d'honneur. Mais cette fois-ci, il le gagne pour Les Huit Salopards (Gli Odiosi Otto). Pour le film de Quentin Tarantino, il ne copie pas son style des années 60 : au contraire il le transforme, l'assombrit, le condense et revient avec son écriture si singulière, mais adaptée à l’univers brutal du cinéaste américain. Une fusion inattendue mais organique, qui lui vaut la récompense suprême dans le temple du cinéma, à 87 ans. Une reconnaissance tardive mais éclatante. Le titre L’Ultima diligenza di Red Rock, "La dernière diligence pour Red Rock", est une pièce pour le moins magistrale, presque oppressante par ses cordes basses, ses dissonances et ses nappes longues. Morricone construit un climat de paranoïa latente, presque hitchcockien, qui évoque autant le western spaghetti que le thriller psychologique.


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