Poésie Musiques et Chansons. La poésie du XXème siècle devient chanson : Eluard, Aragon, Boris Vian.
Combien de poèmes d'amour bouleversants, magnifiques, troublants nous accompagnent. De la tristesse des amants, contraints de se séparer à la pointe du jour. Amour courtois, amour idéalisé, amour secret, en passant par l'amour imparfait, chaotique, amour nourri d'une bonne part de compensations, de rêveries entretenues, de désirs insatisfaits, la fuite du temps, la beauté qui se fane, la nécessité de jouir de chaque instant de la vie, attraction fatale, exaltation, caresses, parfums, intimité, érotisme, hardiesse d'écriture. Alors conjuguons l’amour en toute liberté en traversant, la première moitié du vingtième siècle.
Magritte. Les amants. 1928
Des regards qui se croisent, un bonheur entrevu, un baiser qu’on n’ose prendre.
C’est dans une brocante, que Georges Brassens découvre un recueil de poèmes d’un certain Antoine Pol, « Emotions poétiques », recueil datant de 1918. Des strophes attirent son attention, des strophes troublantes « Les passantes ». Des regards qui se croisent, l'esquisse d'un sourire, un bonheur entrevu, un baiser qu’on n'osera prendre. Dans ces vers, Antoine Pol traduira admirablement, tout ce que l'on peut entrevoir dans le regard de l’autre. Il confessera avoir vu souvent, dans le cœur des femmes, le drame infini, l'ennui d'une vie sans attrait. Je lisais dans leur âme, à livre ouvert, et leur peine soigneusement cachée, m'enseignait combien leur douleur était vive. Brassens demandera à Antoine Pol, l’autorisation de mettre en musique son poème. Celui-ci en sera très touché, et notre troubadour des temps modernes mettra des mois, des années, à chercher la bonne musique, à trouver le ton juste. Malheureusement, Antoine Pol ne pourra entendre sa chanson car il décédera quelques mois avant que Brassens ne l’enregistre.

Elles s’appelaient Gala, Nusch, muses, égéries de Paul Eluard.
Il a chanté le désir, la frustration, la solitude, l'échange, le temps, la mort, le hasard. Ses inspiratrices, ses muses porteront le nom de Gala, Nush, Dominique. Son chant d’amour sera unique, un chant fait d'alliage, entre le désespoir narcissique, la générosité, le social, les jubilations nuptiales, la mystique amoureuse, la sensualité brûlante, la clarté d’écriture. Il verra le jour en 1895. Il n'est autre que Paul Eluard. En 1917, il épouse sa première muse, Gala, fascinante, féériquement complice, mais au combien démone. Une diablesse qui deviendra la maîtresse du peintre Max Ernst, et quittera Eluard en 1929 pour épouser Salvador Dali.

Et puis arrive Nush, cette enfant de la balle, lumineuse, modèle de prédilection de Picasso, et du photographe Man Ray, pour qui elle posera nue. Picasso l'adorait. Il était pour elle comme un grand frère. Il la surnommait « soupe à l'oignon ». Elle était belle, les yeux gris, le teint frais, une poupée pathétique laquelle saura sourire aux intellectuels. Elle inspirera Eluard, se reflétant à l'infini à travers ses poèmes. Elle était sans tabou et notre poète totalement libéré sur le plan sexuel, la partagera avec quelques amis.

Mettre en musique Paul Eluard.
En 1917, Paul Eluard et Francis Poulenc se rencontrent à la librairie « Aux amis des livres » rue de l'Odéon, librairie tenue par Adrienne Monnier. Tous les écrivains et poètes, qui allaient compter dans la littérature de l'entre-deux-guerres, se retrouvaient dans ce lieu mythique. Ce n’est qu’en 1935 que Poulenc s'attaquera au lyrisme intime d’Eluard. Il redoutait, quelque part, cette prosodie truffée de pièges et il mettra des années à trouver la clé musicale de son œuvre poétique. Et puis un jour musique et poème s'uniront, de la façon la plus intime, en une alliance miraculeuse.

Les Ponts- de- Cé
Les Ponts-de-Cé est une commune française du Maine-et-Loire, située en un point stratégique, un axe central, axe de communication terrestre et fluvial. Les Ponts-de-Cé seront détruits le 19 juin 1940, afin de retarder l'arrivée des Allemands, et les combats seront d'une violence extrême. Le poète Aragon, pour devenir résistant, se devra de franchir ce pont. Un poème verra le jour, poème d’une beauté saisissante. L'écriture de ces vers feront référence au Moyen Âge, par l'utilisation d'un vocabulaire médiéval, une manière pour Aragon de rendre à la France sa dignité, dignité bafouée par la débâcle et par l'occupation. Transposons ce vocabulaire d’un autre temps, en langage du XXème siècle. Par exemple sous les vers « Une chanson des temps passés parle d'un chevalier blessé », le chevalier blessé ne pourra que nous renvoyer à la souffrance des soldats. Ensuite Aragon nous parlera du château d'un Duc insensé, et des cygnes dans les fossés. Au moyen-âge, le Duc est un meneur, qui plus est, insensé. On pourra faire référence à Hitler ou à Pétain. Et enfin un peu loin, on trouvera la phrase suivante « La Loire emporte mes pensées avec les voitures versées ». Le mot voiture ne pourra que contraster avec la couleur médiévale de ce poème et nous ramènera, de la sorte, à la dure réalité. Cette poésie est d'une force incroyable et Francis Poulenc décidera de la mettre en musique. Sur ce poème, bâti en octosyllabes, il écrira une de ces mélodies les plus poignantes. Comme à son habitude, il nous livrera ses sentiments avec une infime pudeur. Poulenc n’est pas du genre à s'étaler. La première phrase au piano dessinera un arc, et un arc qu'est-ce que c'est ? C’est un pont. La couleur harmonique, en accord avec le texte, en accord avec les rimes, sera d'une grande subtilité. Un chef d’œuvre.
Brassens, Ferrat, Ferré, Aragon.
C’est Georges Brassens qui, le premier, mettra en musique Aragon. « Il n'y a pas d'amour heureux », extrait du recueil « La Diane française », datant de 1943. Ce poème sera à double sens, dans la mesure où il mettra en avant, l'amour que porte Aragon à sa femme Elsa, mais également l'amour de la patrie, et la difficulté de pouvoir s'aimer, la difficulté de pouvoir vivre ensemble, en ces temps de guerre. Et puis viendront Jean Ferrat et Léo Ferré, lesquels honoreront le poète, chacun à leur manière. Deux personnalités, deux univers totalement opposés. Il y aura chez Léo Ferré une urgence, une hargne, tandis que Jean Ferrat se voudra plus suave, plus lisse. A chacun sa sensibilité. Mais Léo Ferré, en 1961, frappera un grand coup avec Aragon, le disque le plus vendu de poèmes mis en chansons. Le travail sur la musique se fera à quatre mains avec Aragon. Léo Ferré parlera de double vue, celle du poète qui écrit, et puis celle du musicien qui percevra les images musicales derrière la porte des paroles. Aragon lui, parlera de forme supérieure de la critique poétique, la musique selon lui, recréant le poème, donnant à un vers une importance, une valeur qu'il n'avait pas, une autre vitesse, un poids différent. Aragon sera extrêmement flatté de devenir populaire grâce à la chanson française.

Dans les caves de Saint Germain des Prés.
1945, Paris se réveille de cinq années de cauchemar. Une jeune fille, vêtue de noir, les cheveux longs et lâchés, à l'allure quelque peu provocante, erre dans les rues de Saint-Germain-des-Prés. Elle s'appelle Juliette. Elle observe, elle regarde, elle est timide, farouche. Des rencontres, des amitiés improbables vont se nouer. Anne-Marie Cazalis, Merleau-Ponty, Sartre, Simone de Beauvoir. La petite Juliette entre à l'université, celle du bistrot. Elle y fera ses classes. Sa personnalité est telle qu'elle attirera tous les regards. Un jour, par pur hasard, elle descend l'escalier d'un bar, ouvre une porte, et découvre une cave. Immédiatement on l'aménage et, quelques semaines plus tard, en avril 1947, on ouvre les portes de ce lieu de fête, lieu de rencontre, de partage « Le Tabou ». La jeunesse en avait tellement besoin. On installe un piano sur une petite estrade, et trois frères musiciens vont faire danser les jeunes, en mode jazzy. Alain, Lélio et Boris Vian, ce dernier délaissant sa plume pour aller jouer le soir de la trompinette.

Boris Vian un jour, au Café de Flore, commencera à écrire un texte sur la guerre d'Indochine « Monsieur Le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps ». Suivra « L'évadé », opposition entre la vie, la mort, la fuite, la sirène qui chante sans joie, l'abeille de cuivre chaud, les feuilles gorgées de soleil, la femme sur l'autre rive. Et puis il y aura les chansons d’amour, car notre Boris Vian aura la plume délicate, sensuelle, fiévreuse érotique. Et le langage poétique amoureux viendra s'enrichir de pistolets à gaufres, de cire godasses, de repasse limaces. Et quand pour les besoins de la rime, tourniquette s'accordera avec vinaigrette, alors ce sera le vertige !
Poésie, musiques et chansons. Acte 7/8 «La poésie du XXème siècle devient chanson : Eluard, Aragon, Boris Vian »
Samedi 23 aout à 16h, dimanche 24 aout à 00h et 20h. Philippe Soler.


La poésie serait le langage de l’invisible, le mariage du conscient et de l’inconscient, l’art de suggérer. Un poème pourra faire surgir en nous des images, des couleurs, et parfois même, un parfum. Feuilletons ensemble l’album sonore de la poésie française, partons à la découverte de ces auteurs compositeurs interprètes, qui vont s’emparer de ces mots, se les approprier afin de réécrire la partition, défiant par là même, la musique originale, la musique interne d’un poème.
