Poésie Musiques et Chansons. A l'aube du XXème siècle. De Jean Richepin à Apollinaire.
Nous voici parvenus à l'aube du XXème siècle. La poésie, ce langage de l'invisible, va se décliner, va se chanter sous différentes formes. Des nouvelles couleurs vont apparaître, nous dévoilant ainsi d'autres rythmes, d'autres musiques. Nos compositeurs, nos musiciens vont s'emparer de ces vers, et se les approprier. Certains fréquenteront nos poètes. Des écrivains appartenant au siècle précédent, assisteront à l'éclosion de nouveaux mouvements, et iront jusqu'à traverser la seconde guerre mondiale. Il y aura des parallèles, des obliques, il y aura cohabitation. Debussy, Fauré, Ravel s’en iront rejoindre les étoiles, pendant que Francis Poulenc œuvrera pour la poésie de son temps.
Apollinaire par Picasso 1916
Jean Richepin, frère de Rimbaud.
C'est par le biais de la chanson, que je découvre Jean Richepin. Sa poésie originale, brutale, flirtera avec la censure. Il traitera des révoltes, des gueux, il saura écouter la voix populaire, les cris de la rue, s'attirant les foudres de la justice. Il sera frère de Rimbaud et comme lui, s'en ira les poings dans ses poches crevées. Homme de théâtre, écrivain, acteur, entre autres au côté de Sarah Bernhardt, il écrira des chansons pour Eugénie Buffet, Yvette Guilbert. Il sera chanté par Piaf, Damia. Et puis consécration suprême, il se verra mettre en musique par Gabriel Fauré. En 1969, Georges Brassens grattera sa guitare sur des vers de Richepin « Les oiseaux de passage » poème extrait de « La Chanson des gueux ». Ce texte ne sera rien d’autre qu'une attaque contre les bourgeois, ces bourgeois qui vont trouver leur content de hasard, dans une vie bien réglée, une vie bien assurée. La dernière strophe de ce poème en dira long. « Regardez les vieux coqs, jeune oie édifiante, rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux, et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente. Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux. Cette « Chanson des gueux » vaudra à son auteur un procès pour outrage aux bonnes mœurs, avec un mois d'emprisonnement.

Quand la chanson nous amène vers la poésie.
Certaines rencontres vont se faire au détour d'une chanson. « Et s'il revenait un jour » Juliette Gréco, chanson enregistrée en 1969. J'accroche au titre, et sur la pochette du disque, je lis, poème de Maurice Maeterlinck, le librettiste de Claude Debussy, de Paul Dukas. Pelléas et Mélisande, Ariane et Barbe-Bleue. La poésie de Maeterlinck sera intuitive, glanant les états d'âme avec subtilité, teintée toutefois de tristesse lourde, de pessimisme quelque peu aérien, de morbide. Et s'il revenait un jour ? Que faut-il lui dire ? Ces absences, ces attentes dont on ignore le sens. La lampe éteinte, l'anneau d'or, comment ne pas penser à Pelléas, chaque fin de strophe laissée comme en suspens, la voix ne s'exprimant que sous forme interrogative, force inquiétante, invisible, caractère abstrait, avec une interprétation de Madame Juliette Gréco, d'une rare intelligence.

Paul Fort et Georges Brassens.
J'ai une profonde reconnaissance pour ces chanteurs des années 1950/60 qui vont œuvrer, qui vont tout faire afin que la poésie, afin que les beaux textes puissent pénétrer dans les foyers, puissent être écoutés, là où ils ne l'auraient pas été nécessairement. On devra à Georges Brassens, poète à part entière, la mise en musique de Francis Jammes, Paul Fort. Ah Paul Fort ! Durant toute sa vie, il tracera le même sillon, celui de la Ballade, une prose écrite en vers, avec rimes et assonances, avec ces finales muettes, son usage délibéré du hiatus. Son œuvre sera conséquente. Chez lui coulera à profusion les fruits d'une inspiration multiple, inspiration fraternelle, tendre, s'adressant aussi bien aux orfèvres amoureux de poésie, qu'à un public plus large, un public populaire. Ses poèmes pourront être ironiques, malicieux, pittoresques, touchants, graves, mélancoliques.

Le petit cheval.
La scène se passe au début des années 1950. Georges Brassens est invité chez un ami, un chansonnier du nom de Jacques Grello. Celui-ci a une fille qui se prénomme Catherine, à peine âgé de huit ans et qui rencontre quelques difficultés, à apprendre sa récitation pour l'école, une poésie de Paul Fort « La complainte du petit cheval » Brassens se met en quête de l'aider. Pour cela, il prendra sa guitare et composera, en toute simplicité, une musique sur ce poème, afin de l’aider à le mémoriser. Et c'est ainsi que serait né « Le petit cheval » Par la suite, Georges Brassens rencontrera Paul Fort, et nouera une amitié solide avec lui, mettant en musique divers de ses poèmes.

Un pyrénéen du nom de Francis Jammes.
Francis Jammes voit le jour à Tournay, dans les Hautes-Pyrénées, près de Tarbes. Il passera son existence dans le Béarn, à Orthez, et puis dans un petit village du Pays basque, Hasparren. Poète, romancier, dramaturge, son œuvre sera pétrie de tendresse, de simplicité, d'humilité, apportant un souffle nouveau à la poésie française. Mallarmé le conseillera avec bonheur, il enchantera René Maria Rilke, Kafka, Proust. Et puis Anne de Noailles sera bouleversée par sa poésie. Il aura comme amis André Gide, Paul Claudel, Henri Duparc. Il parlera une langue simple, une langue faite de fraîcheur, de naturel, d'une sincérité déconcertante. Reconnu unanimement de son vivant, il est aujourd'hui quelque peu relégué dans l'ombre. Dommage car son œuvre est conséquente, d'une grande originalité, extérieure à tout processus inimitable, et par la même attachante. Dans son poème « La prière » je retiens tout d'abord le « Je vous salue Marie » et puis l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre. Francis Jammes écrira qu’il y avait dans le regard des bêtes, une lumière profonde et doucement triste, qui lui inspirait une telle sympathie, que son âme s'ouvrait comme un hospice, à toutes les douleurs animales. Francis Jammes aimera par dessous tout les ânes. « J'aime l'âne si doux marchant le long des routes. Il prend garde aux abeilles et bouge ses oreilles, d'un petit pas cassé. Ces petits ânes si doux l'accompagneront tout au long de sa vie.

De Montmartre à Montparnasse avec l’Apollinaire.
La naissance d'Apollinaire sera entourée de mystères, ce qui ne sera pas pour nous déplaire. Ainsi nous pourrons faire naître des légendes, sacrifier au romanesque. Une mère polonaise, un père inconnu, naissance à Rome, enfance et adolescence à Monaco, Nice, et enfin installation à Paris. Il commencera à y vivre de manière précaire. Et puis, il deviendra précepteur de la fille d'une Vicomtesse allemande, tombant amoureux fou de la gouvernante anglaise. Elle lui refusera ses avances. Il en souffrira. Dieu merci, la littérature sera là pour lui servant de purge. « La chanson du mal aimé » La fluidité de son rythme poétique, l'élégance de ses vers, ne feront que masquer une douleur profonde. Apollinaire rassemblera des mots, d'apparence hétéroclite. Il les réinventera pour en extraire les forces endormies. Il les verra en avenir, il ouvrira des portes. Apollinaire, ce brocanteur du verbe !

Calligrammes.
Et puis nous aurons les calligrammes. Apollinaire mettra sur le papier une contraction de calligraphies et d’idéogrammes. La poésie deviendra image, les mots étant disposés de manière à former un objet. Pour les musiciens ce ne sera pas évident car cela impliquera une remise en question, pour ce qui est de la relation musique-texte, la poésie devenant graphisme, ce graphisme affaiblissant le mode de perception sonore au profit du visuel. Habiller Apollinaire de musique ne sera pas chose simple. A moins que le compositeur ne s'appelle Francis Poulenc, Poulenc amoureux fou de poésie et qui trouvera dans l'écriture de la mélodie, son terrain d'expression favori.

Poulenc et Apollinaire.
Quand je pense aux mélodies de Poulenc sur des poèmes d'Apollinaire, une des premières qui s'impose est « Montparnasse » ce quartier avec sa Closerie des Lilas, le Dôme, la Rotonde, lieu de rencontre des artistes, des peintres, des poètes qui ont quitté la butte Montmartre pour descendre vers ce nouveau lieu d'échange. On y croisera Paul Fort, Soutine, Braque, Modigliani et bien sûr Apollinaire, lequel célébrera plusieurs fois dans son œuvre, le Paris d'avant-guerre du pont Mirabeau à Montparnasse. Un jour que je passais devant la Closerie des Lilas, j'imaginais Guillaume Apollinaire assis à une table. Il fumait sa pipe, il tendait une main un peu molle à Picasso, à Max Jacob, sans cesser la conversation qu'il avait entreprise avec ses voisins, des courtiers, des voyageurs de commerce. Les replis de ses vêtements semblaient dissimuler des ouvrages de toute nature. Prose, vers, philosophie, qu’Apollinaire exhibait les tendant, les reprenant, les lisant, s'enthousiasmant pour un quatrain, parlant d'une ville, chantonnant, décrivant une image, l'odeur d'un pain. Cet homme était d'une curiosité insatiable. Combien j'aurais aimé, quelque part, l'apercevoir, le croiser pas très loin du pont Mirabeau.
Poésie, musiques et chansons. Acte 6/8 « A l'aube du XXème siècle. De Jean Richepin à Apollinaire »
Samedi 16 aout à 16h, dimanche 17 aout à 00h et 20h. Philippe Soler.


La poésie serait le langage de l’invisible, le mariage du conscient et de l’inconscient, l’art de suggérer. Un poème pourra faire surgir en nous des images, des couleurs, et parfois même, un parfum. Feuilletons ensemble l’album sonore de la poésie française, partons à la découverte de ces auteurs compositeurs interprètes, qui vont s’emparer de ces mots, se les approprier afin de réécrire la partition, défiant par là même, la musique originale, la musique interne d’un poème.
