Pierre Teilhard de Chardin, Charles de Foucauld : la foi et l'humilité de deux hommes de sciences
Quels points communs peut-il y avoir entre Pierre Teilhard de Chardin, jésuite paléontologue critiqué par l'Église de son temps pour son interprétation de la théorie de l'évolution, et saint Charles de Foucauld, humble ermite dans le désert du Sahara occidental ? De la confrontation imaginée de ces deux figures, le prêtre et physicien Thierry Magnin montre ce qu'est la science quand elle dialogue avec une foi chrétienne vécue dans l'humilité et l'authenticité.
Charles de Foucauld, Pierre Teilhard de Chardin "ont beaucoup à nous apporter aujourd’hui" ©Wikimédia commonsIl y a soixante-dix ans, le 10 avril 1955, jour de Pâques, s’éteignait Pierre Teilhard de Chardin. Dans son ouvrage "Le scientifique et l'ermite - Quand Teilhard de Chardin dialogue avec Charles de Foucauld" (éd. Desclée de Brouwer, 2025), Thierry Magnin imagine un dialogue virtuel entre le jésuite paléontologue et saint Charles de Foucauld. Scientifique, physicien, théologien, recteur délégué aux humanités à l’université catholique de Lille, il s’est inspiré de leurs textes décrit et "de l’écho que ces textes peuvent avoir en moi et à partir des questions d’aujourd’hui. Ils ont beaucoup à nous apporter aujourd’hui."
Charles de Foucauld et Pierre Teilhard de Chardin, l’amour du prochain
Contemporains, Pierre Teilhard de Chardin et Charles de Foucauld auraient pu se rencontrer. Le premier avait 35 ans quand l’ermite du Hoggar est mort – tragiquement, en 1916, à l’âge de 58 ans. Charles de Foucauld (1858-1916) a eu un chemin de foi exceptionnel de la trappe de Notre-Dame-des-Neiges, où il a été ordonné prêtre en 1901, jusqu’au Sahara où il partagea la vie des Touaregs.
Entré comme novice à 18 ans à la Compagnie de Jésus, Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) a été ordonné prêtre en 1911. Doté d’un esprit tout autant scientifique que philosophe, il publia des livres fondamentaux pour penser notre monde, "Le phénomène humain" (1955) ou "Comment je crois" (1969).
Quels points communs entre le trappiste vivant au milieu des Touaregs et le jésuite paléontologue ? Ce sont deux esprit scientifiques, habités par une soif de comprendre le monde et une dévotion très grande au cœur de Jésus. Ils ont développé une spiritualité de la rencontre, entre universalité et individualité. L’un des commandements de la Bible est l’amour du prochain : Thierry Magnin maintient que "sans être parfaits, ils sont tous deux exemplaires à ce niveau-là !"
Pierre Teilhard de Chardin : le Christ et la théorie de l’évolution
Né un an avant la mort de Darwin, le père de la théorie de l’évolution, Pierre Teilhard de Chardin a connu une époque où "beaucoup d’anathèmes étaient lancés entre le monde scientifique et le monde de l’Église catholique, en Occident en tout cas". Paléontologue, géologue et membre de l’Académie des sciences, Teilhard de Chardin a subi la désapprobation de son Église, en particulier au sujet de son interprétation de l’évolution.
"Dans un monde où la place du Créateur apparaissait de moins en moins, explique Thierry Magnin, Teilhard a su entrer dans le travail scientifique pour comprendre cette formidable évolution dont nous disons aujourd’hui qu’elle a 14 milliards d’années depuis le Big Bang." Et dans "cette articulation entre évolution et création", le jésuite a su introduire l’amour du Christ.
"Au nom de notre foi, disait Teilhard de Chardin, nous avons le droit et le devoir de nous passionner pour les choses de la terre. Je veux me vouer corps et âme au devoir sacré de la recherche." Avec le jésuite, on sort d’un anthropocentrisme. Pour lui, la création est remise par Dieu à l’humanité, qui a pour mission de la conduire à son achèvement, vers sa destinée finale qu’est le Christ universel.
Charles de Foucauld, la connaissance au service de l’amitié sociale
Médaille d’or de la Société de géographie en 1885 pour ses travaux au Maroc, Charles de Foucauld aussi était un scientifique. Son dictionnaire touareg-français reste une référence aujourd’hui. "Il a mis progressivement sa science, ses connaissances, au service de l’amitié sociale, décrit Thierry Magnin. Il montre comment science et foi peuvent être en alliance pour servir l’humanité."
Pour cet ermite du désert, la vie se prolonge et s’intensifie dans notre relation au monde et aux êtres vivants, dans la relation fraternelle et dans l’amour. "Pour moi il est impossible de comprendre l’amour sans le partage de toutes les peines, sans l’ardent désir de vie, et sans le besoin de partager toutes les croix."
Charles de Foucauld a été marqué par les musulmans et le fait qu’ils s’arrêtent cinq fois par jour pour prier. Lui qui "était parti comme un bon chrétien de son époque pour tous les convertir d’une certaine manière, il a appris à dialoguer avec les musulmans, rappelle Thierry Magnin. Il ne s’est pas converti à l’islam, pas du tout ! Il a approfondi sa foi chrétienne en respectant profondément la foi des musulmans et surtout en vivant une fraternité du quotidien."
La place du serviteur
On retrouve chez les deux hommes une foi vécue dans l’humilité, un savoir scientifique mis au service de l’autre. Charles de Foucauld "nous montre comment le service de l’autre est à la base de la paix, et de la construction de la paix. Ce qui suppose une forme d’humilité et en même temps approfondir sa propre foi pour être mieux à même de dialoguer avec la foi de l’autre."
Il était très marqué par le fait que Jésus a passé trente ans de sa vie à Nazareth : qu’est-ce donc qu’il a donc appris pendant cette vie cachée ? "En fait Jésus a appris à prendre la dernière place, la place du serviteur, explique Thierry Magnin, une manière d’être capable accueillir tous ceux qui passaient. C’est ça l’amitié sociale, cette relation avec le frère et en particulier le plus démuni, celui qui ne va pas pouvoir rendre l’invitation. C’est là qu’on apprend le véritable amour."
Être serviteur, cela n’est pas anodin pour un scientifique. Alors même que "les sciences et technologies peuvent donner le sentiment de toute-puissance et de sans limite". Teilhard de Chardin a donné l’exemple d’une "forme de puissance qui est une non puissance, qui devient service, qui se converti en service de l’autre". Thierry Magnin souligne qu’il y a deux mots en grec pour dire la limite. Un pour désigner celles qui sont faites pour être dépassées, comme on apprend à faire du vélo. Un autre pour évoquer les limites dangereuses à dépasser, au risque de déshumaniser les autres et soi-même.
L'unité en Christ
Teilhard de Chardin était fasciné par le monde du dedans, là où l’être est animé par une énergie créatrice. Comment, à partir de l’union de deux atomes, la conscience finit-elle par apparaître ? Et notre capacité de réfléchir ? "Je crois que l’univers est une évolution, disait Teilhard, je crois que l’évolution va vers l’esprit, je crois que l’esprit s’achève en du personnel, je crois que le personnel suprême est le Christ universel."
"Et plus les humains cherchent à s’unir, plus ils découvrent ce qui les unit", commente Thierry Magnin. Teilhard de Chardin opère "une synthèse" qui, "loin de conduire à un grand tout indifférencié" permet à chacun de se personnaliser. "Pour lui le fin du fin du personnel, c’est le Christ qui nous donne notre propre personnalité. Et il n’y a d’union qu’à partir du respect des personnalités."


Mieux comprendre le monde, dans lequel nous sommes invités à vivre en chrétiens, grâce aux travaux des historiens, des sociologues et des artistes ainsi qu’à travers la réflexion philosophique. C'est ce que vous proposent Monserrata Vidal et Sarah Brunel.




